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Particularités syntaxiques dans les textes littéraires : quels apports pour la linguistique
24 mars 2022 · 14h00 – 17h00
Conférence par Andreas Dufter, Ludwig-Maximilians-Universität, Munich.
Selon un adage bien connu de Labov, la linguistique historique serait « the art of making the best use of bad data » (1994 : 11). Parmi ces données inévitablement imparfaites, les textes littéraires ont toujours occupé une place privilégiée en linguistique romane. Les diachroniciens du français s’appuient, dans nombre de travaux, sur le corpus Frantext, contenant pas moins de 90% de textes qualifiés comme « littéraires ». Pour reconstituer les variétés orales des époques antérieures, l’oralité « mise en scène » dans les textes de théâtre ainsi que dans les discours directs des romans et d’autres genres narratifs continue d’être une source de première importance (Ayres-Bennett 2018, Pustka/Dufter/Hornsby 2021, Dufter/Hornsby/Pustka sous presse). Les grammaires du français contemporain ont, elles aussi, souvent recours aux données littéraires. Le dernier ouvrage de référence, la Grande Grammaire du Français (Abeillé/Godard (éds.) 2021), comporte “environ 2 600 exemples tirés d’ouvrages de littérature et de sciences humaines” (Abeillé 2021: xxvii), la plupart d’entre eux provenant, une fois de plus, de la base Frantext. En même temps, plusieurs linguistes ont mis en question la fiabilité d’un tel fondement empirique, soulignant « the oddity of literary language » (Fabb 2008 : 1135) et plus spécifiquement « les tours syntaxiques inédits ou transgressifs » (Siouffi 2020 : 148) qui limiteraient considérablement la valeur évidentielle de la littérature pour la linguistique diachronique. Ceci vaudrait en particulier pour les littératures romanes à la fin du Moyen Âge et au début des temps modernes, contaminées, pour ainsi dire, par des latinismes de syntaxe à caractère plus ou moins « déviant » (cf. Lorian 1967, Cornillie/Drinka 2019).
Notre communication s’articule en trois volets. Dans un premier temps, nous nous interrogerons sur une particularité syntaxique fortement associée au style latinisant, à savoir les constituants discontinus traditionnellement regroupés sous le terme d’hyperbate. En nous focalisant sur la littérature du Siècle d’or espagnol, nous passerons en revue les inventaires de l’hyperbate proposés dans la tradition hispanique, avant de classifier les données en fonction de leurs structures syntaxiques et informationnelles. La deuxième partie sera consacrée à la présence des dislocations syntaxiques dans la littérature moderne en langue française, qui ont souvent été considérées comme relevant d’une tentative d’écriture mimétique pour « faire oral ». La confrontation des données littéraires avec celles des corpus oraux fera apparaître des tendances communes, mais aussi quelques différences, notamment une proportion plus importante de dislocations à droite dans l’oral représenté que dans l’oralité enregistrée des corpus. En guise de conclusion, nous offrirons quelques réflexions générales sur les apports, et les limitations inhérentes, des données littéraires pour l’étude de la variation et du changement syntaxiques.