Métrique en Ligne
LFT05/LFT05
Jean de LA FONTAINE
1671
DAPHNÉ
OPÉRA
PROLOGUE
PERSONNAGES DU PROLOGUE
JUPITER
L'AMOUR
VÉNUS
MINERVE
MOMUS
PROMÉTHÉE
CHOEUR
UN MODÈLE DE NOUVEAUX HOMMES QUE PROMÉTHÉE A FORGÉ
Le théâtre s'ouvre, et laisse voir dans le fond et aux deux côtés une suite de nuages à dix pieds de terre, et dans ces nuages les palais des dieux. Les dieux y paraissent assis et dormant. Au-dessous de ces nuages, la terre est représentée telle qu'elle était incontinent après le déluge, avec les débris qu'il a laissés. Pendant que la plupart des dieux dorment, Jupiter descend de sa machine, accompagné de Momus. Vénus, l'Amour et Minerve descendent aussi de la leur.
PROLOGUE
JUPITER
Vous, qui voulez qu'à la fureur de l'onde 10
Jupiter mette un frein, et repeuple ces lieux, 12
Vous vous lassez trop tôt d'être seul dans le monde ; 12
Mille vœux vont troubler cette paix si profonde 12
5 Dont la terre à présent laisse jouir les cieux. 12
VÉNUS
Charmante oisiveté, repos délicieux ! 12
MINERVE
Ou plutôt, repos ennuyeux ! 8
VÉNUS
Quoi ! le sommeil pourrait aux déesses déplaire ! 12
Ne point souffrir, 4
10 Ne point mourir, 4
Et ne rien faire, 4
Que peut-on souhaiter de mieux ? 8
Ce qui fait le bonheur des dieux, 8
C'est de n'avoir aucune affaire, 8
15 Ne point souffrir, 4
Ne point mourir, 4
Et ne rien faire. 4
MINERVE
Est-ce ainsi qu'on a des autels ? 8
JUPITER
Eh bien, faisons d'autres mortels : 8
20 Vos talents et nos soins deviendront nécessaires. 12
MOMUS
Ne vous faites point tant d'affaires. 8
JUPITER
Les premiers des humains sont péris sous les eaux : 12
Fille de ma raison, forgeons-en de nouveaux. 12
Prométhée en fait des modèles ; 8
25 Vents, allez le chercher, qu'il vienne sur vos ailes. 12
À ce commandement de Jupiter, les Vents partent de tous les côtés du théâtre, et apportent Prométhée.
PROMÉTHÉE
Que me veut Jupiter ?
JUPITER
Ouvre tes magasins.
PROMÉTHÉE
Paraissez, nouveaux humains. 7
À ce commandement de Prométhée, les toiles qui représentent la terre s'ouvrent de côté et d'autre, et au fond aussi, et laissent voir de toutes parts une boutique de sculpteur avec force outils et morceaux de toutes matières, et des statues d'hommes et de femmes debout sur des cubes.
MOMUS
Sont-ce là des humains ? Quelle race immobile ! 12
J'aimais mieux la première, encor que moins tranquille. 12
PROMÉTHÉE
30 Vous ne les connaissez pas. 7
MOMUS
Fais-leur faire quelques pas. 7
PROMÉTHÉE
Descendez.
Les statues descendent, et viennent à pas lents et graves faire une entrée, dansant presque sans mouvement, et d'une façon composée, comme feraient des sages et des philosophes.
MOMUS
Quelles gens ! Ce n'est qu'une machine.
PROMÉTHÉE
C'est l'idole d'un sage.
LES DIEUX
Hé quoi ! la passion
Jamais chez eux ne domine ! 7
PROMÉTHÉE
35 Leur cœur en est tout plein ; ce n'est qu'ambition, 12
Colère, désespoir, crainte, ou joie excessive. 12
Machine, on veut voir vos ressorts ; 8
Quittez tous ces trompeurs dehors. 8
Les nouveaux hommes, qui paraissaient de véritables statues, quittent une partie de l'habit qui les enveloppe, et se font voir tels qu'ils sont dans l'intérieur, l'un représentant l'ambition, l'autre, la colère, la crainte, le désespoir, la joie excessive, etc. En cet état ils dansent en confusion et d'une manière aussi impétueuse et aussi vive que l'autre était grave et peu animée.
MOMUS, considérant les divers ressorts de cette machine, dit ces paroles
Je la trouvais trop lente, et la voilà trop vive. 12
MINERVE
40 Laissez-moi régler ces transports. 8
VÉNUS
Mon fils, par de secrètes causes, 8
Peut encor mieux que vous les calmer à son tour : 12
Rien n'a d'empire sur l'Amour, 8
L'Amour en a sur toutes choses. 8
45 Le plus magnifique don 7
Qu'aux mortels on puisse faire, 7
C'est l'amour.
MINERVE
C'est la raison.
Le don le plus nécessaire 7
Aux hôtes de ce séjour, 7
C'est la raison.
VÉNUS
50 C'est l'amour.
L'AMOUR
L'effet en jugera : servez-vous de vos armes, 12
Et moi j'emploierai mes charmes. 7
MINERVE, aux hommes
Que vous vous tourmentez, mortels ambitieux, 12
Désespérés et furieux, 8
55 Ennemis du repos, ennemis de vous-mêmes ! 12
A modérer vos vœux mettez tous vos plaisirs : 12
Régnez sur vos propres désirs ; 8
C'est le plus beau des diadèmes. 8
Les hommes qui s'étaient arrêtés quelques moments pour ouïr Minerve, attendent à peine qu'elle a achevé, et ne laissent pas, malgré ses conseils, témoigner toujours la même fureur et le même emportement. L'Amour leur faisant signe qu'il veut parler, ils s'arrêtent.
L'AMOUR, à Minerve
De vos sages discours voyez quel est le fruit 12
Je ne dirai qu'un mot.
Aux hommes.
Aimez.
À ce mot, ceux qui dansaient en confusion et en tumulte dansent deux à deux comme personnes qui s'aiment.
60 On obéit :
Vous le voyez.
VÉNUS
Amour, qu'il est doux de te suivre !
JUPITER, aux nouveaux hommes
Vivez, nouveaux humains. 6
LE CHOEUR DES DIEUX
Vivez, nouveaux humains. 6
VÉNUS
Laissez-vous enflammer. 6
65 Que vaut la peine de vivre, 7
Sans le doux plaisir d'aimer ? 7
LE CHOEUR
Que vaut la peine de vivre, 7
Sans le doux plaisir d'aimer ? 7
MOMUS
D'où vient que si mal assortie 8
70 Cette belle a fait choix d'un vieillard pour amant ? 12
L'AMOUR
C'est l'effet merveilleux d'un secret sentiment 12
Que j'appelle sympathie. 7
VÉNUS
Le démon opposé n'a pas moins de pouvoir. 12
Souvent nous haïssons ce qui devrait nous plaire. 12
JUPITER
75 Tel dieu sait l'avenir, qui n'a pas su prévoir 12
Quels maux ce démon lui va faire. 8
Mais un jour un prince viendra 8
Qui plaira plus qu'il ne voudra. 8
Le Destin parmi nous lui garde un rang insigne, 12
80 Et je lui veux accorder, 7
Afin qu'il en soit plus digne, 7
L'art de savoir commander. 7
Mars lui promet en apanage 8
La grandeur d'âme et de courage. 8
MINERVE
Moi, la vertu.
VÉNUS
85 Moi, l'agrément.
L'AMOUR
Et moi le don d'aimer et d'être heureux amant. 12
VÉNUS, L'AMOUR ET MINERVE ensemble
Amour et la Raison s'accorderont pour faire 12
Qu'aux cœurs comme aux esprits ce prince plaise un jour 12
LE CHOEUR
Heureux qui par raison doit plaire ! 8
90 Plus heureux qui plaît par amour ! 8
DAPHNÉ
OPÉRA
PERSONNAGES
APOLLON
MOMUS
PÉNÉE dieu d'un fleuve
DAPHNÉ fille de Pénée
LEUCIPPE amant de Daphné
APOLLON sous le nom de Tharsis, Prince de Lycie, amant de Daphné
MOMUS sous le nom de Télamon, confident de Tharsis
APIDAME fleuve de la Cour de Pénée
AMPHRISE fleuve de la Cour de Pénée
SPERCHÉE fleuve de la Cour de Pénée
MEROÉ nourrice et gouvernante de Daphné
CLIMÈNE confidente de Daphné
CHLORIS nymphe de Daphné
AMYNTE nymphe de Daphné
ISMÈLE sybille ou pythonisse
UN SACRIFICATEUR
VÉNUS
L'AMOUR
DIANE
Troupe de Sylvains, de chasseurs et de bergers
MERCURE
MELPOMÈNE
THALIE
Un POÈTE héroïque
Un POÈTE lyrique
Un POÈTE satyrique
PHILIS jeune muse du genre lyrique
DAPHNIS poète lyrique, amant de Philis
CHOEURS
ACTE I
La décoration de cet acte représente la vallée de Tempé, et au fond les eaux du Pénée, avec une prairie couverte de fleurs ; le Parnasse en éloignement.
SCÈNE PREMIÈRE
Chloris, Aminte
CHLORIS et AMINTE, NYMPHES entrent sur la scène en se tenant
par la main, et chantent ensemble cette chanson
Allons dans cette prairie : 7
C'est un tranquille séjour ; 7
Jamais les larmes d'amour 7
N'y baignent l'herbe fleurie ; 7
95 Les moutons y sont en paix, 7
Et les loups n'y font jamais 7
D'outrage à la bergerie. 7
CHLORIS
Viens, ma sœur.
AMINTE
Je te suis.
CHLORIS
Viens goûter une vie
Dont le calme est digne d'envie. 8
100 Notre Nymphe a banni de ces lieux si charmants 12
Ce peuple d'importuns que l'on appelle amants. 12
La voici.
AMINTE
Que d'appas, de beautés, et de grâces !
Dirait-on pas que l'air s'embellit à ses traces ? 12
SCÈNE II
Daphné ; Clymène, sa confidente ; Méroé, sa nourrice et sa gouvernante ; Chloris, Aminte
DAPHNÉ
Amour, n'approche point de nos ombrages doux, 12
105 De nos prés, de nos fontaines ; 7
Laisse en repos ces lieux ; assez d'autres que nous 12
Se feront un plaisir de connaître tes peines. 12
DAPHNÉ, à Chloris
Chloris, n'est-ce pas la ta sœur que tu m'amènes ? 12
CHLORIS
Je vous la viens offrir. Nous cherchions en ces lieux 12
110 Ce que Flore a pour vous de dons plus précieux. 12
DAPHNÉ
Cherchons, cherchons des fleurs ; l'âge nous y convie : 12
Parons-nous de bouquets pendant notre printemps : 12
Les plaisirs ont chacun leur temps, 8
Comme les saisons de la vie 8
Daphné, ayant achevé ces paroles, se baisse pour cueillir des fleurs, et les Nymphes de la suite en font autant ; pendant quoi un chœur de bergers, demeuré par respect derrière le théâtre, répète ces mots.
CHOEUR de BERGERS
115 Cherchons, cherchons des fleurs ; Daphné nous y convie. 12
DAPHNÉ
J'entends de nos bergers le concert plein d'appas. 12
Qu'ils chantent, je le veux, mais qu'ils n'approchent pas. 12
CHOEUR de BERGERS
Cherchons, cherchons des fleurs ; Daphné nous y convie 12
Il en renaît sous ses pas. 7
DAPHNÉ
Déployons nos trésors.
CHLORIS
120 J'ai cueilli les plus belles.
AMINTE
Et moi, les plus nouvelles. 6
MÉROÉ
Moi, les plus vives en couleur. 8
DAPHNÉ, à Clymène
Et vous ? Quel mauvais choix vous avez fait, ma sœur ! 12
Vous nous direz, pour votre peine, 8
125 Une chanson contre l'Amour. 8
Cependant je veux que ma Cour 8
Jure de lui porter une éternelle haine ; 12
Jurez la première, Clymène ! 8
CLYMÈNE
Tout serment 3
130 De n'avoir jamais d'amant 7
Est chose fort incertaine ; 7
Il en est peu que l'on tienne 7
Plus d'un jour, plus d'un moment : 7
Tout serment 3
135 De n'avoir jamais d'amant 7
Est chose fort incertaine. 7
DAPHNÉ
Je veux que vous juriez ; dites donc après moi : 12
Amour,
CLYMÈNE
Amour,
DAPHNÉ
Si jamais sous ta loi
Je respire, 3
CLYMÈNE
140 Si jamais sous ta loi 6
Je respire, 3
DAPHNÉ
Je consens de mourir.
CLYMÈNE
Mourir ? c'est beaucoup dire.
DAPHNÉ
Je consens de mourir, si jamais je soupire. 12
CLYMÈNE
Je consens de mourir, si jamais je soupire. 12
DAPHNÉ
145 Clymène, acquittez-vous ; accompagnons ses sons, 12
Et que nos pas animent nos chansons. 10
Daphné et les personnes de sa suite se prennent alors par la main, et Clymène chante cette gavotte que toute la troupe danse, la répétant après elle :
CLYMÈNE
L'autre jour sur l'herbe tendre 7
Je m'assis près de Philandre : 7
Il me conta ses tourments ; 7
150 Ma mère alors me querelle. 7
« Petite fille, dit-elle, 7
N'écoutez point les amants. 7
Ils sont indiscrets, volages, 7
Téméraires, et peu sages ; 7
155 Ils font mille faux serments : 7
Ils sont jaloux, ils sont traîtres, 7
Et tyrans quand ils sont maîtres, 7
N'écoutez point les amants. » 7
Écoutez ma chansonnette, 7
160 Et l'écho qui la répète, 7
Et ces rossignols charmants : 7
Leur musique est sans pareille ; 7
Mais ne prêtez point l'oreille 7
Au ramage des amants. 7
DAPHNÉ
165 Méroé, poursuivez nos divertissements. 12
MÉROÉ
J'ai vu le temps qu'une jeune fillette 10
Pouvait, sans peur, aller au bois seulette. 10
Maintenant, maintenant les bergers sont loups : 11
Je vous dis, je vous dis : « Filles, gardez-vous. » 11
SCÈNE III
Apollon, Momus
Pendant que ces Nymphes dansent, Apollon et Momus passent. C'était incontinent après la défaite du serpent Python. Toute la troupe des jeunes filles, à la vue de ces étrangers, s'enfuit, l'une d'un côté, l'autre de l'autre. Apollon et Momus demeurent.
APOLLON
170 Voici Tempé, cette vallée 8
Dont on vante partout l'ombrage et les beautés ; 12
Et voilà les flots argentés 8
Qu'y fait couler le dieu Penée. 8
Plus loin vers ces sommets mon empire s'étend. 12
175 N'y veux-tu pas venir, Momus ? On nous attend. 12
MOMUS
Demeurons encore où nous sommes : 8
Ai-je pu voir en un instant 8
Toutes les sottises des hommes ? 8
Par vos puissants efforts, invincible Apollon, 12
180 On ne craint plus ici les fureurs de Python. 12
Les habitants de ces rivages 8
DeVÉNUS plus heureux, n'en seront pas plus sages : 12
Le temps de la sottise est celui du bonheur. 12
APOLLON
Mais que dis-tu de ma victoire ? 8
MOMUS
185 Elle vous a comblé d'honneur, 8
Et rien n'égale votre gloire. 8
APOLLON
Que le fils de VÉNUS cesse de se vanter 12
Qu'ainsi que nous il sait porter 8
Un carquois, un arc, et des flèches ; 8
190 C'est un enfant qui fait des brèches 8
Dans les cœurs aisés à dompter. 8
Il remporte toujours des victoires faciles ; 12
Je défais des serpents qui dépeuplent des villes. 12
MOMUS
Vous méprisez celui qui tient tout sous sa loi. 12
Si l'Amour vous entend ?
APOLLON
195 Et que crains-tu pour moi ?
MOMUS
Parlez bas, c'est un dieu ; s'il venait à paraître ? 12
APOLLON
Un dieu ! c'est un enfant : quitte ce vain souci. 12
MOMUS
Qui donne à Jupiter un maître, 8
Vous en pourrait donner aussi. 8
SCÈNE IV
Momus, Apollon, Cupidon
Dans le temps que Momus achève ces mots, l'Amour descend du ciel comme un trait, et se vient placer entre Apollon et Momus.
CUPIDON, à Apollon
200 Quel est l'orgueilleux qui me brave ? 8
Quel téméraire ose attaquer l'Amour ? 10
Ah ! je vous reconnais : vous serez mon esclave 12
Avant la fin du jour. 6
Ces paroles dites, Cupidon s'en revole dans les airs.
SCÈNE V
Apollon, Momus
MOMUS
Que cet enfant est fier ! Voyez comme il menace ! 12
205 Ne le prendrait-on pas pour l'aîné des Titans ? 12
Je plains le dompteur de serpents ; 8
Il ne fait pas sûr en sa place. 8
Tandis que Momus dit ces paroles, Daphné avec ses compagnes, par une curiosité de jeunes filles, avance un peu la tête sur le théâtre, et fait quelques pas dans la scène pour voir ces deux étrangers. Apollon la voit un moment ; aussitôt l'Amour, qui est demeuré dans l'air, fait son coup, et Daphné avec sa troupe s'enfuit encore une fois.
APOLLON
Ah ! Qu'ai je vu, Momus ! Que de traits éclatants ! 12
Que de jeunesse, que de grâce ! 8
MOMUS
Elle fuit.
APOLLON
210 Mille amours avec elle ont paru.
MOMUS
Mille amours ? C'est beaucoup ; je n'en ai pas tant vu. 12
Vous aimez ; vous voyez d'un autre oeil que le nôtre : 12
De quelques qualités qu'un objet soit pourvu, 12
L'amant y voit toujours ou plus ou moins qu'un autre. 12
APOLLON
215 Déesse, tu me fuis ? T'ai-je déjà déplu ? 12
C'est pourtant Apollon qui t'aime, qui t'adore. 12
Je n'en puis plus, je sens un feu qui me dévore : 12
Reviens, charmant objet ! Et vous, Olympe, cieux, 12
Je vous dis d'éternels adieux ; 8
220 Je vous méprise, je vous laisse : 8
Qu'êtes-vous près de ma déesse ? 8
Tout votre éclat vaut-il un seul trait de ses yeux ? 12
Ne la verrai-je plus ? Faut-il que cette belle 12
Emporte mes plaisirs et mon cœur avec elle ? 12
225 Demeurons sur ces bords, je ne les puis laisser. 12
MOMUS
Passerons-nous pour dieux ?
APOLLON
Et pour qui donc passer
MOMUS
Pour mortels, car les dieux, par leur grandeur suprême 12
Ne font souvent qu'embarrasser : 8
On les craint plus qu'on ne les aime. 8
230 Les vrais amants doivent toujours 8
Sous un maître commun vivre d'égale sorte : 12
Ou monarques ou dieux, n'entrez chez vos amours 12
Qu'après avoir laissé vos grandeurs à la porte 12
APOLLON
Je te croirai ; changeons de nom : 8
235 Je m'appelle Tharsis, satrape de Lycie. 12
MOMUS
Et moi, son suivant Télamon 8
Que si sur mon chemin quelque Nymphe jolie 12
Se rencontre en passant, je prétends bien aussi 12
La cajoler, m'approcher d'elle, 8
240 Non pas en amoureux transi : 8
Je vous veux servir de modèle 8
Et cependant, allons conquérir votre belle. 12
SCÈNE VI
VÉNUS, descendant dans une machine
Qu'est devenu mon fils ? Mortels, le savez-vous ? 12
Je souffre, je languis, je meurs en son absence : 12
245 Si l'Amour ne me suit, rien ne me semble doux. 12
Heureux les lieux qu'anime sa présence ! 10
Heureux tout l'Univers qui me doit sa naissance ! 12
Qu'est devenu l'Amour ? Échos, le savez-vous ? 12
Quel nouveau cœur aujourd'hui de ses coups 10
250 Éprouve la puissance ? 6
Qu'est devenu l'Amour ? Échos, le savez-vous ? 12
Je souffre, je languis, je meurs en son absence. 12
Ce récit fait, l'Amour se vient jeter dans le giron de sa mère.
VÉNUS
Ah ! Mon fils, d'où viens-tu ?
L'AMOUR
De blesser Apollon.
Je l'ai rendu pour Daphné tout de flamme ; 10
255 Tandis qu'un autre trait, par un autre poison, 12
Fait que pour lui Daphné n'a que haine dans l'âme. 12
VÉNUS, à son fils
Amour, tu sais dompter les cœurs et les esprits. 12
Aux dieux et aux hommes :
Que la terre et les cieux célèbrent de mon fils 12
La dernière victoire ! 6
260 Mortels et dieux, chantez sa gloire. 8
Pour obéir à ce commandement de Vénus, on chante et on danse sur la terre, et dans la gloire, qui est au fond du théâtre : sur la terre, des personnes de toutes conditions, et dans la gloire, des enfants qui représentent les Amours, les Jeux et les Ris. La danse achevée, Vénus, dont le char est entouré d'enfants chante ces paroles :
Allez de toutes parts, courez, Amours et Ris ; 12
Faites connaître de mon fils 8
Le doux et le suprême empire : 8
Ne laissez rien qui ne soupire. 8
265 Allez de toutes parts, courez, Amours et Jeux ; 12
Rendez l'Univers amoureux 8
ACTE II
Le théâtre représente le palais d'un dieu de fleuve, avec de l'eau véritable, qu'on voit tomber et saillir de tous les côtés.
SCÈNE PREMIÈRE
Pénée, avec sa Cour, composée des fleuves Sperchée, Amphrise, Apidame, et autres dieux des sources voisines
PÉNÉE
Dieux tributaires de mon onde, 8
Je veux, par les beautés de ce moite séjour, 12
Arrêter quelque temps deux princes à ma Cour ; 12
270 Que votre zèle me seconde ! 8
LES FLEUVES
Commandez.
PÉNÉE
Que le Sort vous a rendus heureux !
Hyménée et l'Amour fréquentent vos rivages : 12
Vos grottes quelquefois leur prêtent des ombrages : 12
Ces dieux me méprisent tous deux. 8
APIDAME
275 Laissez agir le temps ; il peut tout auprès d'eux. 12
A peine a-t-il encor fait passer la princesse 12
Des appas de l'enfance à ceux de la jeunesse : 12
Deux soleils ont à peine éclairé son printemps. 12
PÉNÉE
Combien de cœurs depuis ce temps 8
280 Ont en vain soupiré pour elle ! 8
Ah ! si Tharsis pouvait la rendre moins cruelle ! 12
SPERCHÉE
Consultez la Sibylle Ismèle : 8
Les dieux peut-être par sa voix 8
Obligeront Daphné de suivre votre choix 12
PÉNÉE
285 Hélas ! Jamais Daphné n'aimera que les bois. 12
AMPHRISE
Ces plaisirs passeront : tout passe dans la vie ; 12
De différents désirs elle est entre-suivie ; 12
On y change d'humeur, on y change d'envie ; 12
On y veut goûter de tout. 7
290 Le plus libre enfin se lie ; 7
Tôt ou tard on s'y résout. 7
APIDAME
Il faut peu pour changer ces âmes si sévères ; 12
L'exemple à ce doux nœud les amène toujours. 12
Des bergers chantant leurs amours, 8
295 Dans les bras de l'hymen voir mener des bergères, 12
Et leurs folâtres jeux sur les vertes fougères, 12
Apprivoisent les cœurs, qui, deVÉNUS plus doux, 12
S'accoutument aux mots d'amour, d'amant, d'époux ; 12
Des mots on en vient au mystère. 8
PÉNÉE
300 J'approuve vos raisons ; et Daphné, pour me plaire, 12
Doit faire en mon palais les honneurs de ce jour. 12
On y va célébrer l'hymen du jeune Amphrise 12
Il s'engage avecque Florise ; 8
La fête arrêtera ces princes à ma Cour : 12
305 Allons en prendre soin. Daphné vient, et Clymène ; 12
Entrons dans la grotte prochaine. 8
SCÈNE II
Daphné, Clymène
DAPHNÉ
Ah, Clymène ! Plains-moi. 6
CLYMÈNE
Princesse, vous pleurez ; puis-je savoir pourquoi ? 12
DAPHNÉ
Je ne me connais plus ; ce n'est plus moi, Clymène : 12
310 Ces puissants dédains, cette haine, 8
Ces serments contre Amour, que sont-ils deVÉNUS. 12
Un mortel les rend superflus. 8
Hélas ! il vient de me dire sa peine, 10
Et depuis ce moment je ne me connais plus. 12
CLYMÈNE
315 Un des princes, sans doute, a causé ces alarmes. 12
Serait-ce point Tharsis ? Je lui trouve des charmes 12
Contre qui je sens bien que ma sévérité 12
N'emploierait pas toutes ses armes. 8
DAPHNÉ
Je crois ? Si tu le veux, qu'on en est enchanté, 12
320 Cependant il me cause une invincible haine ; 12
Contre lui dans mon âme un dieu me semble agir. 12
CLYMÈNE
Je le connais, ce dieu : c'est L'eucippe.
DAPHNÉ
Ah, Clymène !
Ne me regarde point, tu me ferais rougir. 12
CLYMÈNE
Pourquoi rougir ? commettez-vous un crime ? 10
325 Le Ciel permet-il pas d'aimer ou de haïr ? 12
Est-il rien de si légitime ? 8
Tircis est des plus charmants, 7
Je méprise son martyre ; 7
Cependant sous mon empire 7
330 Il languit depuis longtemps. 7
Philandre à peine y soupire, 7
Son service est reconnu ; 7
La raison, je vais la dire : 7
Mon temps d'aimer est venu. 7
DAPHNÉ
335 Hélas ! le mien aussi ; mais garde-toi, Clymène 12
De découvrir ma flamme, et l'exposer au jour : 12
Plains-toi que de Tharsis je méprise la peine ; 12
Notre sexe veut bien que l'on sache sa haine, 12
Mais il met tous ses soins à cacher son amour. 12
CLYMÈNE
340 Le voila, ce Tharsis ; son malheur vous l'amène. 12
SCÈNE III
Tharsis, Daphné
THARSIS
Que je dois au Destin de m'avoir arrêté 12
En des lieux ou l'on voit briller votre présence ! 12
Vous y régnez par la beauté, 8
Aussi bien que par la naissance : 8
345 Souffrez que j'y demeure au rang de vos sujets. 12
DAPHNÉ
Non, Seigneur, je ne puis recevoir vos hommages ; 12
Offrez-les à d'autres objets ; 8
Abandonnez nos rivages : 7
Quel plaisir aurez-vous parmi des cœurs sauvages ? 12
THARSIS
Je vous verrai.
DAPHNÉ
350 Fuyez cette triste douceur.
Il vaut mieux qu'une prompte absence 8
Rende le calme à votre cœur, 8
Que de vous voir enfin guéri par ma rigueur, 12
Ma haine, ou mon indifférence. 8
THARSIS
355 Ô Ciel ! Lui dois-je ajouter foi ? 8
Quoi ! Ne pouvoir m'aimer ! me haïr ! me le dire ! 12
Amour, tyran des cœurs, depuis que sous ta loi 12
On gémit, on pleure, on soupire, 8
Fut-il jamais amant plus malheureux que moi ? 12
360 Que je sache au moins, inhumaine, 8
Ce qu'a Tharsis en lui de si digne de haine ? 12
DAPHNÉ
Son amour ; c'est assez : je le dis à regret. 12
Vous avez dans mon cœur quelque ennemi secret 12
Qui met un voile sur ces charmes 8
365 A qui d'autres auraient déjà rendu les armes. 12
Enfin quittez nos bords, Seigneur, vous ferez mieux ; 12
Qui ne peut être aimé doit s'éloigner des lieux 12
Où sans cesse il peut voir le sujet de ses peines. 12
Faut-il livrer son cœur à d'éternelles gênes 12
370 Pour le plaisir de ses yeux ? 7
Je vous laisse, et me tais ; ma fuite et mon silence 12
Vous seront des tourments plus doux. 8
THARSIS
Princesse, demeurez : je trouve votre absence 12
Plus cruelle encor que vous. 7
SCÈNE IV
Tharsis, Télamon
TÉLAMON
375 Ceci vous trouble et vous étonne. 8
THARSIS
Suis-je donc le fils de Latone ? 8
Ai-je dompté Python ? Suis-je un dieu ? Je n'ai pu 12
Gagner une mortelle ! un enfant m'a vaincu ! 12
Qu'il m'ôte mes autels : que sert-il qu'on me donne 12
380 En ces lieux l'encens qui m'est dû ? 8
Et qu'est-ce que l'encens qu'une chose frivole 12
Près des moindres faveurs que nous font de beaux yeux ? 12
Daphné, vous me pourriez d'une seule parole 12
Mettre au-dessus des autres dieux. 8
TÉLAMON
385 Espérez ce mot favorable : 8
Il n'est amant si misérable 8
Qui n'espère.
THARSIS
Tu ris.
TÉLAMON
Jupiter vous vaut bien :
Je ris aussi quand l'Amour veut qu'il pleure. 10
Vous autres dieux, n'attaquez rien 8
390 Qui, sans vous étonner, s'ose défendre une heure : 12
Sachez que le temps seul en a plus couronné 12
Que tous les efforts qu'on peut faire. 8
THARSIS
Je n'ose plus parler de mes feux à Daphné. 12
TÉLAMON
Laissez dormir sa colère. 7
395 Après que l'on vous aura 7
Contraint longtemps de vous taire, 7
Un moment arrivera 7
Que l'on vous écoutera. 7
SCÈNE V
Penée et sa Cour entrent sur la scène, et la noce ensuite. Daphné conduit l'épousée, et un des fleuves le marie. Toute cette troupe fait le tour du théâtre en cérémonie. Deux bergers chantent ces paroles, que le chœur répète.
TOUS
Hymen, Hyménée. 5
Après que chacun s'est rangé et a pris sa place, les deux bergers chantent ce premier couplet de l'épithalame.
DEUX BERGERS
400 Florise est donnée 5
A l'un des plus beaux 5
Qui porte à Pénée 5
Tribut de ses eaux : 5
Qu'il ait chaque année 5
405 De nombreux troupeaux, 5
Et chaque journée 5
Des plaisirs nouveaux. 5
Hymen, Hyménée. 5
Daphné présente au sacrificateur l'épousée, et un des fleuves le marié.
LE SACRIFICATEUR prend leurs mains, et dit ces paroles
Amants, je vous unis ; vivez sous mêmes nœuds. 12
LE CHOEUR
410 Parmi les plaisirs et les jeux. 8
MOMUS
A quelques filles de la noce, près desquelles il se rencontre :
Pour un pareil lien formez-vous point des vœux ? 12
Songez-y bien, bergères : 6
Hyménée est un dieu jeune, charmant, et blond ; 12
Mais les jours avec lui ne se ressemblent guères : 12
415 Le premier est amour, amitié le second, 12
Le troisième froideur ; songez-y bien, bergères. 12
MÉROÉ, interrompant Télamon
Vraiment, Télamon, 5
La leçon 3
Est jolie. 3
420 Changez de place, Iris ; venez ici, Célie, 12
Pholoé, ne l'écoutez plus. 8
J'en suis d'avis ; mes soins deviendront superflus ; 12
Télamon corrompra cette troupe innocente. 12
MOMUS
Que vous êtes reprenante, 7
425 Gouvernante ! 3
Laissez-nous causer en paix : 7
Laissez la jeunesse rire : 7
Elle inspire 3
Toujours d'innocents secrets. 7
430 Je crois que vous êtes sage : 7
À votre âge 3
On le doit être, ou jamais. 7
Vingt ou trente ans de veuvage, 7
C'est dommage, 3
435 Ont refroidi vos attraits. 7
Ah ! si selon vos souhaits 7
Vous redeveniez aurore, 7
Vous vous serviriez encore 7
De vos traits. 3
MÉROÉ
440 Me faudra-t-il aussi souffrir la raillerie ? 12
PÉNÉE, à Méroé et à Télamon
Laissez-nous achever cette cérémonie. 12
LE SACRIFICATEUR
Hymen, Amour, joignez vos nœuds, 8
Et rendez ces amants heureux. 8
Les gens de la noce dansent, et pendant qu'ils se reposent on chante ces deux autres couplets de l'épithalame :
Des pas de Florise 5
445 Loin, bien loin les loups ; 5
Et de ceux d'Amphrise 5
Les soupçons jaloux ! 5
Que leur destinée 5
N'ait rien que de doux, 5
450 Et que la lignée 5
Ressemble à l'époux. 5
Hymen, Hyménée. 5
Jamais la constance 5
Aux amants ne nuit ; 5
455 On vit d'espérance, 5
Puis le reste suit. 5
L'amour obstinée 5
Porte fleur et fruit. 5
Ô douce journée ! 5
460 Ô plus douce nuit ! 5
Hymen, Hyménée. 5
Le chœur répète à chaque fois ces deux dernières paroles.
ACTE III
La décoration de cet acte est une forêt mêlée d'architecture, comme d'un temple de Diane.
SCÈNE PREMIÈRE
CLYMÈNE
Tout me semble parler d'amour 8
En ces lieux amis du silence : 8
Ici les oiseaux nuit et jour 8
465 Célèbrent de ses traits la douce violence. 12
Tout me semble parler d'amour 8
En ces lieux amis du silence. 8
Heureux les habitants de ces ombrages verts, 12
S'ils n'avaient que ce mal à craindre ! 8
470 Mais nous troublons leur paix par cent moyens divers : 12
Humains, cruels humains, tyrans de l'Univers, 12
C'est de vous seuls qu'on se doit plaindre. 8
Après ces paroles, on entend un bruit de cors et de cris de chasse.
Vois-je pas Télamon, confident de Tharsis ? 12
Hélas ! il vient en vain me conter les soucis 12
475 D'un prince que Daphné devrait trouver aimable. 12
Plût au Ciel qu'elle fut à ses vœux favorable ! 12
SCÈNE II
Télamon, Clymène
TÉLAMON
Que vous avez de grâce à porter un carquois ! 12
Rien ne vous sied si bien.
CLYMÈNE
On me l'a dit cent fois.
TÉLAMON
On ne vous l'a pas dit peut-être au fond d'un bois. 12
480 En ces forets, je vous prie, 7
Écartons-nous un moment, 7
Et mettons de la partie 7
L'ombre et l'amour seulement. 7
CLYMÈNE
Tout rendez-vous un peu sombre 7
485 Doit toujours être évité : 7
Quand je vois l'amour et l'ombre, 7
Je vais d'un autre côté. 7
TÉLAMON
C'est trop s'en défier. Mais, dites-moi, Clymène, 12
Daphné montre en ses yeux une secrète peine ; 12
490 Qui la cause ? Leucippe est-il ce bienheureux ? 12
Ou plutôt est-ce un dieu qui s'attire ces vœux ? 12
Je m'y connais, l'Amour la touche. 8
CLYMÈNE
On se laisse assez toucher, 7
Mais on aime à le cacher ; 7
495 Et d'une jeune farouche 7
L'Amour est plus tôt vainqueur 7
Qu'il n'a tiré de sa bouche 7
Le nom qu'elle a dans le cœur. 7
TÉLAMON
N'en saurai-je pas plus ?
CLYMÈNE
Je n'ai rien appris d'elle.
TÉLAMON
500 Vous voulez garder ce secret : 8
Je serais importun aussi bien qu'indiscret 12
Si je vous pressais trop, et la chasse m'appelle. 12
Adieu, Nymphe cruelle. 6
SCÈNE III
Daphné, Clymène
DAPHNÉ
Je vous ai tous deux entendus : 8
505 Heureuse, si Tharsis ne me pressait pas plus ! 12
SCÈNE IV
Daphné, Leucippe
LEUCIPPE
Puis-je interrompre le silence 8
Qu'en ces paisibles lieux peut-être vous cherchez ? 12
Me le permettez-vous ?
DAPHNÉ
Oui, Leucippe, approchez ;
On ne craint pas votre présence ; 8
510 Venez me consoler de celle de Tharsis. 12
LEUCIPPE
Et qu'ordonnerez-vous de mes propres soucis ? 12
Mon rival ne peut plaire à l'objet qu'il adore, 12
Un sentiment jaloux ne me peut alarmer : 12
C'est beaucoup ; mais que dis-je ? ah ! ce n'est rien encore 12
515 Vous savez bien haïr, mais pourriez-vous aimer ? 12
DAPHNÉ
J'ai souffert votre amour ; répondez-vous vous-même. 12
LEUCIPPE
Ô dieux ! qu'ai-je entendu ? quelle gloire suprême ! 12
Quel bonheur ! Doux transports qui venez me saisir, 12
Exprimez, s'il se peut, ma joie et mon plaisir, 12
520 Et votre juste violence. 8
Princesse, après l'aveu qui vient de me charmer, 12
Je ne sais rien, pour m'exprimer, 8
Que le langage du silence. 8
DAPHNÉ et LEUCIPPE ensemble
Ô bienheureux soupirs, favorables moments 12
525 Où l'un et l'autre cœur, plein de doux sentiments, 12
Aime, et le dit, et se fait croire ! 8
Les dieux, dans leurs ravissements, 8
Les dieux, au milieu de leur gloire, 8
Sont moins dieux quelquefois que ne sont les amants. 12
LEUCIPPE
530 Je bénis mon destin, et cependant Pénée 12
Favorise mon rival. 7
DAPHNÉ
Quand il aurait pour lui le dieu même hyménée, 12
Ce n'est pas son bonheur qui fera votre mal. 12
LEUCIPPE
Et mon bien ?
DAPHNÉ
Attendez la réponse d'Ismèle :
535 Peut-être elle sera favorable à nos vœux. 12
Allez : il reviendra quelque moment heureux ; 12
Daphné craint qu'on ne trouve un amant avec elle. 12
SCÈNE V
DAPHNÉ, demeurée seule
Que notre sexe a d'ennemis ! 8
A combien de tyrans le destin l'a soumis ! 12
540 Des amants importuns, un père inexorable, 12
Un devoir impitoyable ; 7
Tout combat nos désirs : trop heureuses encor 12
Si nous n'avions que cette peine ! 8
Mais il faut, par un double effort, 8
545 Ainsi que notre amour, surmonter notre haine. 12
SCÈNE VI
Pénée, Daphné, Tharsis
PÉNÉE
Daphné, rendez grâces aux dieux : 8
Cet ours fatal aux bergeries, 8
Fatal aux autres ours, teint de sang nos prairies ; 12
Tharsis a vaincu seul ce monstre furieux. 12
THARSIS
550 L'Amour m'accompagnait ; lui seul en a la gloire : 12
Ce n'est pas à mes mains qu'on doit cette victoire, 12
Belle Daphné, c'est à vos yeux. 8
PÉNÉE
Ma fille, venez voir aussi l'énorme bête. 12
Réjouissez-vous, bergers ; 7
555 Que les ours soient de la fête : 7
Ils avaient part aux dangers. 7
SCÈNE VII
Tharsis, Télamon
THARSIS
Daphné ne peut souffrir ma flamme. 8
Si je parlais au sort ?
TÉLAMON
Changera-t-il son âme ?
THARSIS
Je vais le consulter. Attends ici Tharsis. 12
SCÈNE VIII
MOMUS, demeuré seul, et quittant le personnage de Télamon
560 Vous qui de votre sort, voulez être éclaircis, 12
Consultez, comme moi, le démon de la treille ; 12
Mon oracle est Bacchus, quand j'ai quelques soucis, 12
Et ma sibylle est la bouteille. 8
Cette chasse m'altère. Ah ! Si Bacchus… Je crois 12
Que ce dieu m'entendait.
SCÈNE IX
BACCHUS, qui descend sur son berceau tiré par des tigres
565 Momus, monte avec moi
Viens écouter d'ici tous les chants de victoire. 12
Ces gens m'ont au spectacle invité, les voici. 12
Quoi ! la peau de leur ours aussi ? 8
SCÈNE X
Bacchus, Momus, troupe de Sylvains, de chasseurs,et de bergers
Momus monte dans le berceau, qui s'arrête au milieu des airs. Cependant quatre chasseurs, et autant de Sylvains qui mènent chacun un ours, entrent sur la scène. Un autre Sylvain les suit, portant en guise de trophée la peau de l'ours au bout d'un épieu. Des chœurs de bergers les accompagnent. Toute cette troupe fait le tour du théâtre, au son des cors et de leurs fanfares. Le Sylvain chargé du trophée se place au milieu de la scène, et un chasseur chante ces paroles.
UN CHASSEUR
Tharsis, nous érigeons ce trophée à ta gloire 12
UN SYLVAIN
570 Par ta valeur, le monstre a vu finir son sort. 12
UN BERGER
L'ennemi commun est mort. 7
MOMUS, comme s'il chantait en éloignement
Noyez-en dans le vin la funeste mémoire. 12
UN CHASSEUR, se tournant vers l'endroit où est le char de Bacchus
N'est-ce pas Télamon qui nous invite à boire ? 12
TOUTE LA TROUPE l'ayant aperçu, dit
Ô le mortel heureux, d'être aimé de Bacchus ! 12
UN SYLVAIN
575 Amis, laissons à part les discours superflus. 12
L'ours est mort.
UN CHASSEUR
L'ours ne vit plus.
UN BERGER
L'ours a passe l'onde noire. 7
TOUS ENSEMBLE
Noyons-en dans le vin la funeste mémoire. 12
Les chasseurs et les Sylvains dansent à l'entour du trophée et font une forme de bacchanales. Les Sylvains sont suivis de leurs ours, qui vont en cadence. Pendant que les danseurs se reposent, Bacchus et Momus, faisant la débauche sous le berceau suspendu, animent toute cette troupe par leur exemple.
BACCHUS, à Momus
Cher compagnon, me veux-tu croire ? 8
580 Courons ensemble le pays ; 8
Tu sais médire, et je sais boire : 8
Nous ne manquerons point d'amis. 8
MOMUS
Toujours le vin et la satire 8
Tiennent aux tables le haut bout ; 8
585 Tu sais boire, et je sais médire : 8
Voilà de quoi passer partout. 8
ACTE IV
La décoration de cet acte est un antre, dont les avenues ont quelque chose d'inculte, de sauvage, et de difficile abord : et au fond un autel rustique et sans beaucoup d'ornements.
SCÈNE PREMIÈRE
Clymène, Aminte
Clymène et Aminte, Nymphes de Daphné, viennent les premières et précèdent Pénée et sa Cour, pour apprendre de la Sibylle leur aventure.
CLYMÈNE
Quel étrange et sombre palais ! 8
Je frémis à le voir ; n'as-tu point peur, Aminte ? 12
Va seule dans ces lieux ; pour moi, j'ai trop de crainte. 12
AMINTE
590 Qu'y demanderais-tu ? Tes vœux sont satisfaits. 12
Philandre a l'âme blessée 7
Des traits dont tu sais charmer ; 7
Moi, que Tircis a laissée, 7
J'ai sujet d'être empressée 7
595 Pour savoir qui doit m'aimer. 7
CLYMÈNE
Je te rends ce Tircis ; son ardeur m'importune. 12
AMINTE
J'aurai donc pour toute fortune 8
Ton refus.
CLYMÈNE
Que t'importe ? Examine ton cœur ;
Et si Tircis te plaît, laisse le point d'honneur. 12
AMINTE
600 Tu ris ; que diras-tu, si je fais qu'il te quitte ? 12
CLYMÈNE
Mes rigueurs en cela préviendront ton mérite. 12
AMINTE
Tu dois aux miennes ce berger 8
Que mes faveurs vont rengager. 8
CLYMÈNE et AMINTE Ensemble
Une fille a cent adresses 7
605 Pour rebuter un amant ; 7
Mais de dire ses finesses 7
Pour faire un engagement, 7
On ne le peut nullement. 7
CLYMÈNE
Voilà, sans consulter Ismèle 8
610 Un oracle bientôt rendu. 8
AMINTE
Aurait-elle mieux répondu ? 8
CLYMÈNE
Non, et nous nous pouvons désormais passer d'elle : 12
Aussi bien l'intérêt de Daphné nous appelle. 12
SCÈNE II
Ismèle, Daphné, Pénée et sa Cour
Ismèle sort du fond de l'antre, accompagnée de deux ou trois prêtresses aussi vieilles qu'elle. D'un autre côté, Pénée vient avec Daphné et les fleuves de sa Cour.
PÉNÉE, à Daphné
Ma fille, tout est prêt ; Ismèle va sortir : 12
615 N'ayez point de repentir, 7
Si le choix des dieux est autre 7
Que le vôtre. 3
ISMÈLE, après quelques cérémonies étranges, dit, en invoquant la divinité
Monarque de l'Olympe, en qui sont tous les temps, 12
Qui les fais devant toi passer comme moments, 12
620 Et pour qui n'est qu'un point toute la destinée, 12
Dis-nous, Ô maître des dieux, 7
À qui doit être donnée 7
La princesse de ces lieux. 7
Où sont tes truchements ? Es-tu sourd aux prières ? 12
625 Fantômes, qui savez peindre en mille manières 12
Les secrets du destin gravés au haut des cieux, 12
Simulacres volants, frères du dieu des songes, 12
Faites-nous voir sans mensonges 7
Ce qu'ont ordonné les dieux 7
630 Sur un si digne hyménée ; 7
Dites-nous la destinée 7
De la Nymphe de ces lieux. 7
Après ces paroles, Ismèle, comme possédée du Dieu, danse avec les autres prêtresses, tantôt comme si elles allaient tomber en extase, et tantôt avec des contorsions étranges. Pendant qu'elles dansent, des enfants, en guise de petits démons, et représentant les simulacres et les espèces qui s'offrent aux yeux, viennent de divers endroits du ciel se présenter à Ismèle, portant des branches et des couronnes de laurier. Ismèle, ayant vu ces objets, dit.
Que vois-je ! Quel objet ! Quelle image à mes yeux 12
Si vive et si claire 5
635 Vient se présenter, 5
Et me tourmenter 5
Plus qu'à l'ordinaire ? 5
L'objet 2
Me fait 2
640 Tressaillir : 3
Je sens 2
Mes sens 2
Défaillir. 3
AMPHRISE fleuve
Les dieux à leur interprète 7
645 Ont fait un étrange don ; 7
Ne peut-on être prophète, 7
Si l'on ne perd la raison ? 7
APIDAME, SPERCHÉE et AMPHRISE ensemble.
Les démons 3
Vont l'agitant, 4
650 Ses poumons 3
Vont haletant ; 4
Et son cœur va palpitant. 7
Les ressorts 3
De son corps, 3
655 Son esprit, 3
Tout pâtit. 3
ISMÈLE, jetant en l'air des feuilles sur lesquelles elle a écrit sa réponse
Qu'on se taise : soyez attentifs aux mystères. 12
J'épands en l'air ces caractères : 8
C'est ma réponse ; il faut la poser sur l'autel. 12
660 Démons, peuples légers, ministres de l'oracle, 12
Cherchez-la ; car aucun mortel 8
Ne la peut trouver sans miracle. 8
À ce commandement d'Ismèle, les esprits habitants de l'air cherchent en dansant les feuilles que la Sibylle a jetées, et les viennent, en dansant aussi, poser sur l'autel. Ismèle assemble ces feuilles, et dit à Pénée et à Daphné.
Approchez-vous, lisez, et que dans ce vallon 12
Un invisible chœur mon oracle répète. 12
PÉNÉE et DAPHNÉ lisant.
665 Daphné doit aujourd'hui couronner Apollon. 12
CHOEUR
Daphné doit aujourd'hui couronner Apollon. 12
PÉNÉE, à Ismèle
Ismèle, servez-vous vous-même d'interprète ; 12
Expliquez-nous l'ordre des dieux. 8
AMPHRISE
Un prophète entend-il les choses qu'il annonce ? 12
670 C'est à l'événement d'expliquer sa réponse. 12
ISMÈLE
Adieu, princesse, adieu, je vous laisse en ces lieux. 12
SCÈNE III
Pénée, Daphné et leur Cour
PÉNÉE
Couronner Apollon ! Qu'importe à l'hyménée 12
De la fille de Pénée ? 7
Pour comprendre ces mots, je fais un vain effort. 12
AMPHRISE
675 Nos conseils ont été frivoles ; 8
La seule obscurité fait le prix des paroles 12
Que l'on cherche aux livres du Sort. 8
PÉNÉE, à Daphné
Ma fille, rendez-vous aux volontés d'un père : 12
Qu'il soit votre oracle aujourd'hui 8
680 Aimez Tharsis ; il vous doit plaire ; 8
Toute notre Cour est pour lui. 8
APIDAME
Tels étaient ces mortels pour qui l'idolâtrie 12
Commença d'introduire au monde son pouvoir. 12
AMPHRISE
Il a tout l'air d'un dieu ; l'on dirait à le voir, 12
685 Que l'Olympe est sa patrie. 7
DAPHNÉ
Hélas ! J'en crus autant, lorsqu'en notre prairie 12
Je le vis arriver inconnu dans ces lieux. 12
Maintenant mon cœur tâche à démentir mes yeux. 12
Ne m'en accusez point : quelque force suprême 12
690 M'entretient malgré moi dans cette erreur extrême. 12
Que Tharsis soit parfait, qu'il ait l'air qu'ont les dieux, 12
Est-ce par raison que l'on aime ? 8
PÉNÉE
L'hymen change les cœurs : suivez mes volontés. 12
DAPHNÉ
Quoi ! Seigneur, vous aussi vous me persécutez ! 12
695 De ses autres tyrans sans peine on se console ; 12
Mais d'un père ! un père m'immole ! 8
Je tiens le jour de vous, Seigneur ; vous me l'ôtez. 12
PÉNÉE
Moi, je perdrais Daphné ! qu'ai-je à conserver qu'elle ? 12
L'hymen m'a-t-il fait d'autres dons ? 8
DAPHNÉ
700 Cependant, quand je vous appelle 8
Du plus tendre de tous les noms, 8
Vous ne vous souvenez que de votre puissance ; 12
Vous regardez l'obéissance, 8
La raison, et jamais d'autres tyrans plus doux ; 12
705 Il en est toutefois. Leucippe vient à nous : 12
Je lui vais ôter l'espérance. 8
Vous le voulez, Seigneur ; je le lis dans vos yeux. 12
SCÈNE IV
Daphné, Leucippe
DAPHNÉ
Leucippe, il faut tâcher d'éteindre votre flamme. 12
Je ne puis être à vous.
LEUCIPPE
Ô cieux ! Injustes cieux !
Est-ce là votre arrêt ?
DAPHNÉ
710 Cet oracle odieux
Vient de mon père seul.
LEUCIPPE
Votre père et les dieux
Disposent de mon sort, mais non pas de mon âme : 12
Moi-même en suis-je maître ?
DAPHNÉ
Il le faut.
LEUCIPPE
Ah ! Daphné !
Que ce mot est facile à dire ! 8
715 Et que l'amour possède avecque peu d'empire 12
Un cœur que la contrainte a si tôt entraîné ! 12
DAPHNÉ
Quoi ! Faut-il que mon cœur soit par vous soupçonné ? 12
Cruel ! n'avais-je pas encore assez de peine ? 12
LEUCIPPE
Enfin donc le Destin me déclare sa haine ; 12
720 Vous serez à Tharsis ; et moi, par mes soupirs, 12
J'augmenterai ses plaisirs. 7
DAPHNÉ
Plût au Ciel que Tharsis causât seul vos alarmes, 12
Et qu'un père…
LEUCIPPE
Achevez.
DAPHNÉ
Eh ! Que sert d'achever
Un souhait qu'on sait bien qui ne peut arriver ? 12
LEUCIPPE
725 Il n'importe, mon âme y trouvera des charmes. 12
DAPHNÉ
Ne m'aimez plus.
LEUCIPPE
Le puis-je ? Et le souhaitez-vous ?
DAPHNÉ
Vos tourments ont pour moi quelque chose de doux, 12
Il est vrai ; mais cessez.
LEUCIPPE
Hélas ! Cesser de vivre
Est le seul remède à mon mal. 8
730 Voilà le parti qu'il faut suivre ; 8
Mais avec moi je veux perdre aussi mon rival. 12
Vous ne me serez pas impunément ravie : 12
Non, Daphné. Vous pleurez ? Ah ! Princesse, je dois 12
Mourir pour vos yeux mille fois. 8
735 Avant qu'avoir Daphné, Tharsis aura ma vie. 12
Je ne puis voir tant de biens 7
En d'autres bras que les miens : 7
Que mon rival me les cède, 7
Et renonce à votre amour, 7
740 Ou qu'il m'ôte aussi le jour 7
Si l'on veut qu'il vous possède. 7
DAPHNÉ
Leucippe, si je vous perds, 7
Il faut que dans nos déserts 7
La solitude me donne 7
745 Un sort plus calme et plus doux ; 7
Et ne pouvant être à vous, 7
je ne veux être à personne. 7
SCÈNE V
Apollon, Leucippe, Daphné
Apollon descend sur un trône de lumière. Cette pompe est jointe à une musique douce. Il est entouré des Heures, qui chantent ces mots.
LES HEURES
Daphné, portez vos yeux 6
Sur le plus beau des dieux. 6
Daphné s'enfuit aussitôt qu'elle a reconnu Apollon sous le visage de Tharsis.
APOLLON
750 Tu me fuis, divine mortelle ! 8
Où cours-tu ? N'aperçois-tu pas 8
Un précipice sous tes pas ? 8
Il est plein de serpents : détourne-toi, cruelle. 12
Suis-je encor plus à craindre ? Et rien dans ce vallon 12
755 Ne peut-il t'arrêter quand tu fuis Apollon ? 12
Quoi ! Tant de haine en une belle ! 8
Insolent, qui brûles pour elle, 8
Renonce à l'hymen de Daphné ; 8
C'est Apollon qui te l'ordonne. 8
760 Regarde quel rival ton malheur t'a donné. 12
LEUCIPPE
Mon malheur ? Dis le tien. Toi, le fils de Latone ! 12
N'es-tu pas ce Tharsis que tantôt on a vu ? 12
D'un magique ornement ton front s'est revêtu. 12
Enchanteur, penses-tu que ta pompe m'étonne ? 12
765 Ce n'est qu'un songe, ce n'est rien ; 8
Va tromper d'autres yeux, et me laisse mon bien. 12
APOLLON
Ô dieux ! Ô citoyens du lumineux empire ! 12
Que vient un mortel de me dire ? 8
Malheureux, ton orgueil s'en va te coûter cher. 12
770 Les dieux ne sont pas insensibles. 8
Qu'on l'attache sur ce rocher 8
Avec des chaînes invisibles. 8
Ce commandement est exécuté par les ministres de la puissance d'Apollon, qui va se faire voir à Pénée, non plus sous le personnage de Tharsis, mais sous le sien propre.
ACTE V
Le théâtre est une suite de rochers ; on y voit Leucippe retenu, sans que ses liens paraissent. Il est debout, appuyé, dans l'endroit le plus en vue.
SCÈNE PREMIÈRE
LEUCIPPE, sur un rocher
Astres, soyez témoins de ces injustes fers. 12
J'atteste ici tout l'Univers, 8
775 Et les vents emportent ma plainte. 8
Jupiter, je t'implore ; on veut forcer les cœurs : 12
Il n'est plus de libres ardeurs, 8
Ni d'autres lois que la contrainte. 8
Loges-tu dans le ciel ou dans les antres sourds ? 12
780 Écoutez-moi, déserts ; on m'ôte mes amours : 12
Est-il douleur pareille ? 6
Qui me consolera sur ce rocher fatal ? 12
Leucippe est un spectacle à son cruel rival. 12
Déserts, écoutez-moi : les dieux ferment l'oreille. 12
Daphné entend cette plainte à l'un des coins du théâtre.
SCÈNE II
Daphné, Leucippe
DAPHNÉ
785 Qui vous consolera ? Ne le savez-vous pas ? 12
LEUCIPPE
Quoi ! Je vous vois ! C'est vous ! C'est ma princesse ! Hélas ! 12
J'avais perdu l'espoir d'une faveur si douce. 12
Craignez-vous d'approcher ?
DAPHNÉ
Je sens qu'on me repousse :
Quelque charme arrête mes pas. 8
790 Mais, si c'est adoucir vos peines 8
Qu'y prendre part, souffrir ces gênes, 8
Gémir avec vous sous ces chaînes, 8
Vous aimer malgré tous, malgré Cieux, malgré Sort, 12
Votre princesse en est capable. 8
LEUCIPPE
795 Apollon, Apollon, tu fais un vain effort ! 12
Je ne suis plus le misérable. 8
DAPHNÉ
Hélas ! J'irrite un dieu jaloux et redoutable. 12
À qui dois-je adresser ma voix ? 8
Je n'ose t'invoquer, déesse de nos bois . 12
800 Dans ta Cour, dans ton cœur, autrefois j'avais place ; 12
L'amour m'en a bannie ; écoute toutefois : 12
Je ne demande point pour grâce 8
Que tu souffres mes feux, et qu'un hymen charmant 12
Engage à d'autres dieux celle qui t'a servie ; 12
805 Délivre seulement 6
Mon amant, 3
Et prends le reste de ma vie. 8
SCÈNE III
Apollon, Daphné, Leucippe
APOLLON
Pourquoi finir vos jours en des lieux pleins d'ennui ? 12
Trouvez-vous le dieu du Parnasse 8
Plus affreux qu'un désert ?
Daphné témoigne vouloir s'enfuir.
810 Hélas ! ce dieu la chasse :
Elle aime mieux mourir que régner avec lui. 12
C'est toi qui nous causes ces peines. 8
Mortel, contre les dieux oses-tu contester ? 12
LEUCIPPE
Mes amours sont mes dieux.
APOLLON
Qu'on redouble ses chaînes
Démons !
DAPHNÉ, se jetant à ses genoux
815 Faites-les arrêter.
Pouvez-vous bien me voir à vos pieds toute en larmes, 12
Sans vous laisser toucher le cœur ? 8
APOLLON
Daphné, C'est contre vous que retournent ces armes. 12
La pitié redouble vos charmes ; 8
820 En combattant l'amour, elle le rend vainqueur. 12
Votre douleur vous nuit ; vous en êtes plus belle. 12
Venez, venez être immortelle : 8
Je l'obtiendrai du Sort, ou je jure vos yeux 12
Que les cieux 3
825 Regretteront notre présence. 8
Zéphyrs, enlevez-la malgré sa résistance. 12
DAPHNÉ, s'enfuyant
Ô dieux ! Consentez-vous à cette violence ? 12
SCÈNE IV
DIANE aussitôt paraît sur son char, et crie aux Zéphyrs
Démons, gardez de lui toucher ! 8
Deviens laurier, Daphné ; Leucippe, sois rocher. 12
SCÈNE V
À peine Diane a parlé, que les deux métamorphoses se font, et la déesse remonte au ciel.
APOLLON, accourt, et fait cette plainte
830 Barbare, qu'as-tu fait ? Détruire un tel ouvrage ! 12
Faire à ton frère un tel outrage ! 8
Cruelle sœur, Cruelle, et cent fois plus sauvage 12
Que les ours avec qui tu vis ! 8
Que de trésors tu m'as ravis 8
835 Rends-moi ces biens, rends-moi ce divin assemblage. 12
Daphné, vous n'êtes plus, j'ai perdu mes amours, 12
Et ne saurais perdre la vie 8
Heureux mortels, vos Pleurs cessent avec Vos jours : 12
La mort est un bien que j'envie. 8
840 Puissent les cieux cesser leur cours ! 8
Périsse l'Univers avecque ma princesse 12
SCÈNE VI
Apollon, l'Amour
L'AMOUR, qui descend sur le char de sa mère
Sèche tes pleurs, elle est déesse. 8
Viens l'épouser : mes traits se sont assez vengés ; 12
Ces mouvements de haine en amour sont changés. 12
APOLLON
845 Puis-je t'ajouter foi ? m'as-tu fait cette grâce ? 12
L'AMOUR
Viens l'éprouver.
APOLLON
Allons, et que sur le Parnasse
On célèbre des jeux à l'honneur de Daphné. 12
Que le vainqueur y soit de laurier couronné. 12
Bel arbre, adieu. je quitte à regret cette place, 12
850 Et veux qu'à l'avenir on ceigne de lauriers 12
Le front de mes sujets et celui des guerriers. 12
Apollon monte dans le char où est l'Amour, et tous deux retournant au ciel. Le théâtre change aussitôt. Le Parnasse se découvre au fond. Quelques Mimes sont assises en divers endroits de sa croupe, et quelques poètes à leurs pieds. Sur le sommet, le palais du dieu se fait voir. Les deux côtés du théâtre sont deux galeries qui ressemblent à celles où on étale des raretés les jours de fête et les jours de foire. Là sont les archives du Destin. L'architecture est ornée de feuilles de laurier. Sous chaque portique est un buste ; il y en a neuf de conquérants et autant dé poètes ; les conquérants d'un côté, les poètes de l'autre. Les conquérants sont Cyrus, Alexandre, etc. ; et les poètes sont Homère, Anacréon, Pindare, Virgile, Horace, Ovide, l'Arioste, le Tasse, et Malherbe. Apollon a voulu que l'avenir fût montré en faveur de cette fête.
UN POÈTE HÉROÏQUE commence les jeux et chante ceci
Quel prince offre à mes yeux des lauriers toujours verts ? 12
Je vois dans l'avenir cent potentats divers 12
Lui disputer en vain l'honneur de la victoire. 12
855 Ô toi, fils de Latone, amour de l'Univers, 12
Protecteur des doux sons, des beaux-arts, des bons vers, 12
Aide-nous à chanter sa gloire ! 8
MELPOMÈNE
Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour : 8
Sublime, allez dormir encor sur le Parnasse, 12
860 Et vous, clairons, faites place 7
Aux doux concerts de l'Amour. 7
Philis, jeune muse, et Daphnis, poète lyrique, entrent sur la scène, accompagnés d'une musique de flûtes, de hautbois, et de musettes, et chantent ce dialogue de pastorale.
PHILIS
Les Zéphyrs sont de retour : 7
Flore avec eux se promène. 7
DAPHNIS
Savez-vous qui les ramène ? 7
865 C'est l'Amour. 3
PHILIS
De quoi parle en ce séjour 7
La savante Philomèle ? 7
DAPHNIS
Et de quoi parlerait-elle, 7
Que d'amour ? 3
PHILIS et DAPHNIS ensemble
870 Faisons aussi notre cour 7
Au printemps vêtu de roses ; 7
Ayons, comme toutes choses, 7
De l'amour. 3
UN POÈTE SATIRIQUE vient brusquement les interrompre, et dit
Aimez, mais permettez que je parle à mon tour. 12
875 Comment faire 3
Pour se taire ? 3
Le monde est plein de sots, de l'un à l'autre bout ; 12
Le passé, le présent, et l'avenir surtout. 12
Comment faire 3
880 Pour se taire ? 3
LE CHOEUR
Comment faire 3
Pour se taire ? 3
THALIE
Ridicules, envoyez-nous 8
Les principaux d'entre vous. 7
Cinq ridicules entrent sur la scène. C'est une coquette emportée, une précieuse, un méchant poète, un homme affectant le bel air, et un vieillard amoureux.
LE MÉCHANT POÈTE, chargé des intérêts de la troupe, dit ces paroles
885 Quoi ! Dans ces lieux sacrés on souffre la satire ! 12
THALIE
Soyez les premiers à rire. 7
Les ridicules se consolent et font une entrée, dansant tous sur les mêmes pas, et gardant toutefois, autant qu'ils peuvent, leur caractère.
Mercure, monté sur Pégase, descend au sacré vallon. Il interrompt la danse des ridicules, et vient présenter trois couronnes de laurier à ces trois genres de poésie.
MERCURE
Chacun de vous doit être couronné : 10
Recevez ces présents de la part de Daphné. 12
Elle est maintenant déesse, 7
890 Aimant le dieu de ces lieux : 7
Poussez-en jusques aux cieux 7
Des chants remplis d'allégresse. 7
Mercure revole au ciel, ayant laissé Pégase sur le double mont. Quatre auteurs lyriques et autant de Muses du même genre viennent danser en témoignage de joie ; puis les ridicules se mêlent avec eux, formant de différentes figures avec des branches de laurier qu'ils portent tous, et dont ils se font des espèces de berceaux. C'est le grand ballet.
Après qu'ils ont dansé une fois, UNE MUSE DU GENRE LYRIQUE chante ceci
Il n'est que de s'enflammer ; 7
Laissez, laissez-vous charmer ; 7
895 La raison vous y convie : 7
Sans le dieu qui fait aimer, 7
Que serait-ce que la vie ? 7
Le grand ballet recommence encore.
puis UNE AUTRE MUSE LYRIQUE chante ce second couplet
Chacun sert quelque désir ; 7
Tout consiste à bien choisir ; 7
900 Faites-vous de douces chaînes : 7
En amour tout est plaisir, 7
Et même jusques aux peines. 7
LE CHOEUR
Aimez, doctes nourrissons : 7
S'il n'était point d'amour, serait-il des chansons ? 12
logo du CRISCO logo de l'université