Métrique en Ligne
COR30/COR30
Pierre CORNEILLE
1670
Tite et Bérénice
COMÉDIE HÉROÏQUE
PERSONNAGES
Tite empereur de Rome, et amant de Bérénice
Domitian frère de Tite, et amant de Domitie
Bérénice reine d'une partie de la Judée
Domitie fille de Corbulon
Plautine confidente de Domitie
Flavian confident de Tite
Albin confident de Domitian
Philon ministre d'état, confident de Bérénice
La scène est à Rome, dans le palais impérial.
ACTE I
SCÈNE PREMIÈRE
Domitie
Laisse-moi mon chagrin, tout injuste qu'il est : 12
Je le chasse, il revient ; je l'étouffe, il renaît ; 12
Et plus nous approchons de ce grand hyménée, 12
Plus en dépit de moi je m'en trouve gênée. 12
5 Il fait toute ma gloire, il fait tous mes désirs : 12
Ne devrait-il pas faire aussi tous mes plaisirs ? 12
Depuis plus de six mois la pompe s'en apprête, 12
Rome s'en fait d'avance en l'esprit une fête, 12
Et tandis qu'à l'envi tout l'empire l'attend, 12
10 Mon cœur dans tout l'empire est le seul mécontent. 12
Plautine
Que trouvez-vous, madame, ou d'amer ou de rude 12
À voir qu'un tel bonheur n'ait plus d'incertitude ? 12
Et quand dans quatre jours vous devez y monter, 12
Quel importun chagrin pouvez-vous écouter ? 12
15 Si vous n'en êtes pas tout à fait la maîtresse, 12
Du moins à l'empereur cachez cette tristesse : 12
Le dangereux soupçon de n'être pas aimé 12
Peut le rendre à l'objet dont il fut trop charmé. 12
Avant qu'il vous aimât, il aimait Bérénice ; 12
20 Et s'il n'en put alors faire une impératrice, 12
À présent il est maître, et son père au tombeau 12
Ne peut plus le forcer d'éteindre un feu si beau. 12
Domitie
C'est là ce qui me gêne, et l'image importune 12
Qui trouble les douceurs de toute ma fortune : 12
25 J'ambitionne et crains l'hymen d'un empereur 12
Dont j'ai lieu de douter si j'aurai tout le cœur. 12
Ce pompeux appareil, où sans cesse il ajoute, 12
Recule chaque jour un nœud qui le dégoûte. 12
Il souffre chaque jour que le gouvernement 12
30 Vole ce qu'à me plaire il doit d'attachement ; 12
Et ce qu'il en étale agit d'une manière 12
Qui ne m'assure point d'une âme toute entière. 12
Souvent même, au milieu des offres de sa foi, 12
Il semble tout à coup qu'il n'est pas avec moi, 12
35 Qu'il a quelque plus douce ou noble inquiétude. 12
Son feu de sa raison est l'effet et l'étude ; 12
Il s'en fait un plaisir bien moins qu'un embarras, 12
Et s'efforce à m'aimer ; mais il ne m'aime pas. 12
Plautine
À cet effort pour vous qui pourrait le contraindre ? 12
40 Maître de l'univers, a-t-il un maître à craindre ? 12
Domitie
J'ai quelques droits, Plautine, à l'empire romain, 12
Que le choix d'un époux peut mettre en bonne main : 12
Mon père, avant le sien élu pour cet empire, 12
Préféra… Tu le sais, et c'est assez t'en dire. 12
45 C'est par cet intérêt qu'il m'apporte sa foi ; 12
Mais pour le cœur, te dis-je, il n'est pas tout à moi. 12
Plautine
La chose est bien égale, il n'a pas tout le vôtre : 12
S'il aime un autre objet, vous en aimez un autre ; 12
Et comme sa raison vous donne tous ses vœux, 12
50 Votre ardeur pour son rang fait pour lui tous vos feux. 12
Domitie
Ne dis point qu'entre nous la chose soit égale. 12
Un divorce avec moi n'a rien qui le ravale : 12
Sans avilir son sort, il me renvoie au mien ; 12
Et du rang qui lui reste, il ne me reste rien. 12
Plautine
55 Que ce que vous avez d'ambitieux caprice, 12
Pardonnez-moi ce mot, vous fait un dur supplice ! 12
Le cœur rempli d'amour, vous prenez un époux, 12
Sans en avoir pour lui, sans qu'il en ait pour vous. 12
Aimez pour être aimée, et montrez-lui vous-même, 12
60 En l'aimant comme il faut, comme il faut qu'il vous aime ; 12
Et si vous vous aimez, gagnez sur vous ce point 12
De vous donner entière, ou ne vous donnez point. 12
Domitie
Si l'amour quelquefois souffre qu'on le contraigne, 12
Il souffre rarement qu'une autre ardeur l'éteigne ; 12
65 Et quand l'ambition en met l'empire à bas, 12
Elle en fait son esclave, et ne l'étouffe pas. 12
Mais un si fier esclave, ennemi de sa chaîne, 12
La secoue à toute heure, et la porte avec gêne, 12
Et maître de nos sens, qu'il appelle au secours, 12
70 Il échappe souvent, et murmure toujours. 12
Veux-tu que je te fasse un aveu tout sincère ? 12
Je ne puis aimer Tite, ou n'aimer pas son frère ; 12
Et malgré cet amour, je ne puis m'arrêter 12
Qu'au degré le plus haut où je puisse monter. 12
75 Laisse-moi retracer ma vie en ta mémoire : 12
Tu me connais assez pour en savoir l'histoire ; 12
Mais tu n'as pu connaître, à chaque événement, 12
De mon illustre orgueil quel fut le sentiment. 12
En naissant, je trouvai l'empire en ma famille. 12
80 Néron m'eut pour parente, et Corbulon pour fille ; 12
Et le bruit qu'en tous lieux fit sa haute valeur, 12
Autant que ma naissance enfla mon jeune cœur. 12
De l'éclat des grandeurs par là préoccupée, 12
Je vis d'un œil jaloux Octavie et Poppée ; 12
85 Et Néron, des mortels et l'horreur et l'effroi, 12
M'eût paru grand héros, s'il m'eût offert sa foi. 12
Après tant de forfaits et de morts entassées, 12
Les troupes du levant, d'un tel monstre lassées, 12
Pour César en sa place élurent Corbulon. 12
90 Son austère vertu rejeta ce grand nom : 12
Un lâche assassinat en fut le prompt salaire. 12
Mais mon orgueil, sensible à ces honneurs d'un père, 12
Prit de tout autre rang une assez forte horreur 12
Pour me traiter dans l'âme en fille d'empereur. 12
95 Néron périt enfin. Trois empereurs de suite 12
Virent de leur fortune une assez prompte fuite. 12
L'orient de leurs noms fut à peine averti, 12
Qu'il fit Vespasian chef d'un plus fort parti. 12
Le ciel l'en avoua : ce guerrier magnanime 12
100 Par Tite, son aîné, fit assiéger Solyme ; 12
Et tandis qu'en Égypte il prit d'autres emplois, 12
Domitian ici vint dispenser ses lois. 12
Je le vis et l'aimai. Ne blâme point ma flamme : 12
Rien de plus grand que lui n'éblouissait mon âme ; 12
105 Je ne voyais point Tite, un hymen me l'ôtait ; 12
Mille soupirs aidaient au rang qui me flattait. 12
Pour remplir tous nos vœux nous n'attendions qu'un père : 12
Il vint, mais d'un esprit à nos vœux si contraire, 12
Que quoi qu'on lui pût dire, on n'en put arracher 12
110 Ce qu'attendait un feu qui nous était si cher. 12
On n'en sut point la cause ; et divers bruits coururent, 12
Qui tous à notre amour également déplurent. 12
J'en eus un long chagrin. Tite fit tôt après 12
De Bérénice à Rome admirer les attraits. 12
115 Pour elle avec Martie il avait fait divorce ; 12
Et cette belle reine eut sur lui tant de force, 12
Que pour montrer à tous sa flamme, et hautement, 12
Il lui fit au palais prendre un appartement. 12
L'empereur, bien qu'en l'âme il prévît quelle haine 12
120 Concevrait tout l'état pour l'époux d'une reine, 12
Sembla voir cet amour d'un œil indifférent, 12
Et laisser un cours libre aux flots de ce torrent. 12
Mais sous les vains dehors de cette complaisance, 12
On ménagea ce prince avec tant de prudence, 12
125 Qu'en dépit de son cœur, que charmaient tant d'appas, 12
Il l'obligea lui-même à revoir ses états. 12
À peine je le vis sans maîtresse et sans femme, 12
Que mon orgueil vers lui tourna toute mon âme ; 12
Et s'étant emparé des plus doux de mes soins, 12
130 Son frère commença de me plaire un peu moins : 12
Non qu'il ne fût toujours maître de ma tendresse, 12
Mais je la regardais ainsi qu'une faiblesse, 12
Comme un honteux effet d'un amour éperdu 12
Qui me volait un rang que je me croyais dû. 12
135 Tite à peine sur moi jetait alors la vue : 12
Cent fois avec douleur je m'en suis aperçue ; 12
Mais ce qui consolait ce juste et long ennui, 12
C'est que Vespasian me regardait pour lui. 12
Je commençais pourtant à n'en plus rien attendre, 12
140 Quand je vis en ses yeux quelque chose de tendre ; 12
Il me rendit visite, et fit tout ce qu'on fait 12
Alors qu'on veut aimer, ou qu'on aime en effet. 12
Je veux bien t'avouer que j'y crus du mystère, 12
Qu'il ne me disait rien que par l'ordre d'un père ; 12
145 Mais qui ne pencherait à s'en désabuser, 12
Lorsque, ce père mort, il songe à m'épouser ? 12
Toi qui vois tout mon cœur, juge de son martyre : 12
L'ambition l'entraîne, et l'amour le déchire. 12
Quand je crois m'être mise au-dessus de l'amour, 12
150 L'amour vers son objet me ramène à son tour : 12
Je veux régner, et tremble à quitter ce que j'aime, 12
Et ne me saurais voir d'accord avec moi-même. 12
Plautine
Ah ! Si Domitian devenait empereur, 12
Que vous auriez bientôt calmé tout ce grand cœur ! 12
155 Que bientôt… Mais il vient. Ce grand cœur en soupire ! 12
Domitie
Hélas ! Plus je le vois, moins je sais que lui dire. 12
Je l'aime, et le dédaigne ; et n'osant m'attendrir, 12
Je me veux mal des maux que je lui fais souffrir. 12
SCÈNE II
Domitian
Faut-il mourir, madame ? Et si proche du terme, 12
160 Votre illustre inconstance est-elle encor si ferme, 12
Que les restes d'un feu que j'avais cru si fort 12
Puissent dans quatre jours se promettre ma mort ? 12
Domitie
Ce qu'on m'offre, seigneur, me ferait peu d'envie, 12
S'il en coûtait à Rome une si belle vie ; 12
165 Et ce n'est pas un mal qui vaille en soupirer 12
Que de faire une perte aisée à réparer. 12
Domitian
Aisée à réparer ! Un choix qui m'a su plaire, 12
Et qui ne plaît pas moins à l'empereur mon frère, 12
Charme-t-il l'un et l'autre avec si peu d'appas 12
170 Que vous sachiez leur prix, et le mettiez si bas ? 12
Domitie
Quoi qu'on ait pour soi-même ou d'amour ou d'estime, 12
Ne s'en croire pas trop n'est pas faire un grand crime. 12
Mais n'examinons point en cet excès d'honneur 12
Si j'ai quelque mérite, ou n'ai que du bonheur. 12
175 Telle que je puis être, obtenez-moi d'un frère. 12
Domitian
Hélas ! Si je n'ai pu vous obtenir d'un père, 12
Si même je ne puis vous obtenir de vous, 12
Qu'obtiendrai-je d'un frère amoureux et jaloux ? 12
Domitie
Et moi, résisterai-je à sa toute-puissance, 12
180 Quand vous n'y répondez qu'avec obéissance ? 12
Moi qui n'ai sous les cieux que vous seul pour soutien, 12
Que puis-je contre lui, quand vous n'y pouvez rien ? 12
Domitian
Je ne puis rien sans vous, et pourrais tout, madame, 12
Si je pouvais encor m'assurer de votre âme. 12
Domitie
185 Pouvez-vous en douter, après deux ans de pleurs 12
Qu'à vos yeux j'ai donnés à nos communs malheurs ? 12
Durant un déplaisir si long et si sensible 12
De voir toujours un père à nos vœux inflexible, 12
Ai-je écouté quelqu'un de tant de soupirants 12
190 Qui m'accablaient partout de leurs regards mourants ? 12
Quel que fût leur amour, quel que fût leur mérite… 12
Domitian
Oui, vous m'avez aimé jusqu'à l'amour de Tite. 12
Mais de ces soupirants qui vous offraient leur foi 12
Aucun ne vous eût mise alors si haut que moi ; 12
195 Votre âme ambitieuse à mon rang attachée 12
N'en voyait point en eux dont elle fût touchée : 12
Ainsi de ces rivaux aucun n'a réussi. 12
Mais les temps sont changés, madame, et vous aussi. 12
Domitie
Non, seigneur : je vous aime, et garde au fond de l'âme 12
200 Tout ce que j'eus pour vous de tendresse et de flamme : 12
L'effort que je me fais me tue autant que vous ; 12
Mais enfin l'empereur veut être mon époux. 12
Domitian
Ah ! Si vous n'acceptez sa main qu'avec contrainte, 12
Venez, venez, madame, autoriser ma plainte. 12
205 L'empereur m'aime assez pour quitter vos liens, 12
Quand je lui porterai vos vœux avec les miens. 12
Dites que vous m'aimez, et que tout son empire… 12
Domitie
C'est ce qu'à dire vrai j'aurai peine à lui dire, 12
Seigneur ; et le respect qui n'y peut consentir… 12
Domitian
210 Non, votre ambition ne se peut démentir. 12
Ne la déguisez plus, montrez-la toute entière, 12
Cette âme que le trône a su rendre si fière, 12
Cette âme dont j'ai fait les plaisirs les plus doux, 12
Cette âme…
Domitie
Voyez-la cette âme toute à vous,
215 Voyez-y tout ce feu que vous y fîtes naître ; 12
Et soyez satisfait, si vous le pouvez être. 12
Je ne veux point, seigneur, vous le dissimuler, 12
Mon cœur va tout à vous quand je le laisse aller ; 12
Mais sans dissimuler j'ose aussi vous le dire, 12
220 Ce n'est pas mon dessein qu'il m'en coûte l'empire ; 12
Et je n'ai point une âme à se laisser charmer 12
Du ridicule honneur de savoir bien aimer. 12
La passion du trône est seule toujours belle, 12
Seule à qui l'âme doive une ardeur immortelle. 12
225 J'ignorais de l'amour quel est le doux poison, 12
Quand elle s'empara de toute ma raison. 12
Comme elle est la première, elle est la dominante. 12
Non qu'à trahir l'amour je ne me violente ; 12
Mais il est juste enfin que des soupirs secrets 12
230 Me punissent d'aimer contre mes intérêts. 12
Daignez donc voir, seigneur, quelle route il faut prendre, 12
Pour ne point m'imposer la honte de descendre. 12
Tout mon cœur vous préfère à cet heureux rival ; 12
Pour m'avoir toute à vous, devenez son égal. 12
235 Vous dites qu'il vous aime ; et je ne puis le croire, 12
Si je ne vois sur vous un rayon de sa gloire. 12
On vous a vus tous deux sortir d'un même flanc ; 12
Ayez mêmes honneurs ainsi que même sang. 12
Dites-lui que le droit qu'a ce sang à l'empire… 12
Domitian
240 C'est là ce qu'à mon tour j'aurai peine à lui dire, 12
Madame ; et le devoir qui n'y peut consentir… 12
Domitie
À mes vives douleurs daignez donc compatir, 12
Seigneur : j'achète assez le rang d'impératrice, 12
Sans qu'un reproche injuste augmente mon supplice. 12
Domitian
245 Eh bien ! Dans cet hymen, qui n'en a que pour moi, 12
J'applaudirai moi-même à votre peu de foi ; 12
Je dirai que le ciel doit à votre mérite… 12
Domitie
Non, seigneur ; faites mieux, et quittez qui vous quitte ; 12
Rome a mille beautés dignes de votre cœur ; 12
250 Mais dans toute la terre il n'est qu'un empereur. 12
Si mon père avait eu les sentiments du vôtre, 12
Je vous aurais donné ce que j'attends d'un autre ; 12
Et ma flamme en vos mains eût mis sans balancer 12
Le sceptre qu'en la mienne il aurait dû laisser. 12
255 Laissez à son défaut suppléer la fortune, 12
Et n'ayez pas une âme assez basse et commune 12
Pour s'opposer au ciel qui me rend par autrui 12
Ce que trop de vertu me fit perdre par lui. 12
Pour peu que vous m'aimiez, aimez mes avantages : 12
260 Il n'est point d'autre amour digne des grands courages. 12
Voilà toute mon âme. Après cela, seigneur, 12
Laissez-moi m'épargner les troubles de mon cœur. 12
Un plus long entretien ne pourrait rien produire 12
Qui ne pût malgré moi vous déplaire ou me nuire. 12
SCÈNE III
Albin
265 Elle se défend bien, seigneur ; et dans la cour… 12
Domitian
Aucun n'a plus d'esprit, Albin, et moins d'amour. 12
J'admire, ainsi que toi, dans ce qu'elle m'oppose, 12
Son adresse à défendre une mauvaise cause ; 12
Et si pour m'assurer que son cœur n'est qu'à moi, 12
270 Tant d'esprit agissait en faveur de sa foi ; 12
Si sa flamme au secours appliquait cette adresse, 12
L'empereur convaincu me rendrait ma maîtresse. 12
Albin
Cependant n'est-ce rien que ce cœur soit à vous ? 12
Domitian
D'un bonheur si mal sûr je ne suis point jaloux, 12
275 Et trouve peu de jour à croire qu'elle m'aime, 12
Quand elle ne regarde et n'aime que soi-même. 12
Albin
Seigneur, s'il m'est permis de parler librement, 12
Dans toute la nature aime-t-on autrement ? 12
L'amour-propre est la source en nous de tous les autres : 12
280 C'en est le sentiment qui forme tous les nôtres ; 12
Lui seul allume, éteint, ou change nos désirs : 12
Les objets de nos vœux le sont de nos plaisirs. 12
Vous-même, qui brûlez d'une ardeur si fidèle, 12
Aimez-vous Domitie, ou vos plaisirs en elle ? 12
285 Et quand vous aspirez à des liens si doux, 12
Est-ce pour l'amour d'elle, ou pour l'amour de vous ? 12
De sa possession l'aimable et chère idée 12
Tient vos sens enchantés et votre âme obsédée ; 12
Mais si vous conceviez quelques destins meilleurs, 12
290 Vous porteriez bientôt toute cette âme ailleurs. 12
Sa conquête est pour vous le comble des délices ; 12
Vous ne vous figurez ailleurs que des supplices : 12
C'est par là qu'elle seule a droit de vous charmer ; 12
Et vous n'aimez que vous, quand vous croyez l'aimer. 12
Domitian
295 En l'état où je suis, les maux dont je soupire 12
M'ôtent la liberté de te rien contredire ; 12
Cherchons-en le remède, au lieu de raisonner 12
Sur l'amour où le ciel se plaît à m'obstiner. 12
N'est-il point de secret, n'est-il point d'artifice ? … 12
Albin
300 Oui, seigneur, il en est. Rappelons Bérénice ; 12
Sous le nom de césar pratiquons son retour, 12
Qui retarde l'hymen et suspende l'amour. 12
Domitian
Que je verrais, Albin, ma volage punie, 12
Si de ces grands apprêts pour la cérémonie, 12
305 Que depuis si longtemps on dresse à si grand bruit, 12
Elle n'avait que l'ombre, et qu'une autre eût le fruit ! 12
Qu'elle serait confuse ! Et que j'aurais de joie ! 12
Mais il faut que le ciel lui-même la renvoie, 12
Cette belle rivale ; et tout notre discours 12
310 Ne la saurait ici rendre dans quatre jours. 12
Albin
N'importe : en l'attendant préparons sa victoire ; 12
Dans l'esprit d'un rival ranimons sa mémoire ; 12
Retraçons à ses yeux l'image du passé, 12
Et profitons par là du cœur embarrassé. 12
315 N'y perdez point de temps : allez, sans plus rien taire, 12
Tâter jusqu'en ce cœur les tendresses de frère. 12
Si vous ne l'emportez, il pourra s'ébranler ; 12
S'il ne rompt cet hymen, il pourra reculer : 12
Je me trompe, ou son âme y penche d'elle-même. 12
320 S'il s'émeut, redoublez ; dites que l'on vous aime ; 12
Dites qu'un pur respect contraint avec ennui 12
Une âme toute à vous à se donner à lui. 12
S'il se trouble, achevez : parlez de Bérénice, 12
De tant d'amour qu'il traite avec tant d'injustice. 12
325 Pour lui donner le temps de venir au secours, 12
Nous aurons quatre mois au lieu de quatre jours. 12
Domitian
Mais j'aime Domitie ; et lui parler contre elle, 12
C'est me mettre au hasard d'irriter l'infidèle. 12
Ne me condamne point, Albin, à la trahir, 12
330 À joindre à ses mépris le droit de me haïr : 12
En vain je veux contre elle écouter ma colère ; 12
Toute ingrate qu'elle est, je tremble à lui déplaire. 12
Albin
Seigneur, quelle mesure avez-vous à garder ? 12
Quand on voit tout perdu, craint-on de hasarder ? 12
335 Et si l'ambition vers un autre l'entraîne, 12
Que vous peut importer son amour ou sa haine ? 12
Domitian
Qu'un salutaire avis fait une douce loi 12
À qui peut avoir l'âme aussi libre que toi ! 12
Mais celle d'un amant n'est pas comme une autre âme : 12
340 Il ne voit, il n'entend, il ne croit que sa flamme ; 12
Du plus puissant remède il se fait un poison, 12
Et la raison pour lui n'est pas toujours raison. 12
Albin
Et si je vous disais que déjà Bérénice 12
Est dans Rome, inconnue, et par mon artifice ? 12
345 Qu'elle surprendra Tite, et qu'elle y vient exprès 12
Pour de ce grand hymen renverser les apprêts ? 12
Domitian
Albin, serait-il vrai ?
Albin
La nouvelle vous flatte :
Peut-être est-elle fausse ; attendez qu'elle éclate ; 12
Surtout à l'empereur déguisez-la si bien… 12
Domitian
350 Va : je lui parlerai comme n'en sachant rien. 12
ACTE II
SCÈNE PREMIÈRE
Tite
Quoi ? Des ambassadeurs que Bérénice envoie 12
Viennent ici, dis-tu, me témoigner sa joie, 12
M'apporter son hommage, et me féliciter 12
Sur ce comble de gloire où je viens de monter ? 12
Flavian
355 En attendant votre ordre, ils sont au port d'Ostie. 12
Tite
Ainsi, grâces aux dieux, sa flamme est amortie ; 12
Et de pareils devoirs sont pour moi des froideurs, 12
Puisqu'elle s'en rapporte à ses ambassadeurs. 12
Jusqu'après mon hymen remettons leur venue : 12
360 J'aurais trop à rougir si j'y souffrais leur vue, 12
Et recevais les yeux de ses propres sujets 12
Pour envieux témoins du vol que je lui fais ; 12
Car mon cœur fut son bien à cette belle reine, 12
Et pourrait l'être encor, malgré Rome et sa haine, 12
365 Si ce divin objet, qui fut tout mon désir, 12
Par quelque doux regard s'en venait ressaisir. 12
Mais du haut de son trône elle aime mieux me rendre 12
Ces froideurs que pour elle on me força de prendre. 12
Peut-être, en ce moment que toute ma raison 12
370 Ne saurait sans désordre entendre son beau nom, 12
Entre les bras d'un autre un autre amour la livre : 12
Elle suit mon exemple, et se plaît à le suivre : 12
Et ne m'envoie ici traiter de souverain 12
Que pour braver l'amant qu'elle charmait en vain. 12
Flavian
375 Si vous la revoyiez, je plaindrais Domitie. 12
Tite
Contre tous ses attraits ma raison endurcie 12
Ferait de Domitie encor la sûreté ; 12
Mais mon cœur aurait peu de cette dureté. 12
N'aurais-tu point appris qu'elle fût infidèle, 12
380 Qu'elle écoutât les rois qui soupirent pour elle ? 12
Dis-moi que Polémon règne dans son esprit, 12
J'en aurai du chagrin, j'en aurai du dépit, 12
D'une vive douleur j'en aurai l'âme atteinte ; 12
Mais j'épouserai l'autre avec moins de contrainte ; 12
385 Car enfin elle est belle, et digne de ma foi ; 12
Elle aurait tout mon cœur, s'il était tout à moi. 12
La noblesse du sang, la grandeur de courage, 12
Font avec son mérite un illustre assemblage : 12
C'est le choix de mon père ; et je connais trop bien 12
390 Qu'à choisir en César ce doit être le mien. 12
Mais tout mon cœur renonce à lui faire justice, 12
Dès que mon souvenir lui rend sa Bérénice. 12
Flavian
Si de tels souvenirs vous sont encor si doux, 12
L'hyménée a, seigneur, peu de charmes pour vous. 12
Tite
395 Si de tels souvenirs ne me faisaient la guerre, 12
Serait-il potentat plus heureux sur la terre ? 12
Mon nom par la victoire est si bien affermi, 12
Qu'on me croit dans la paix un lion endormi : 12
Mon réveil incertain du monde fait l'étude ; 12
400 Mon repos en tous lieux jette l'inquiétude ; 12
Et tandis qu'en ma cour les aimables loisirs 12
Ménagent l'heureux choix des jeux et des plaisirs, 12
Pour envoyer l'effroi sous l'un et l'autre pôle, 12
Je n'ai qu'à faire un pas et hausser la parole. 12
405 Que de félicité, si mes vœux imprudents 12
N'étaient de mon pouvoir les seuls indépendants ! 12
Maître de l'univers sans l'être de moi-même, 12
Je suis le seul rebelle à ce pouvoir suprême : 12
D'un feu que je combats je me laisse charmer, 12
410 Et n'aime qu'à regret ce que je veux aimer. 12
En vain de mon hymen Rome presse la pompe : 12
J'y veux de la lenteur, j'aime qu'on l'interrompe, 12
Et n'ose résister aux dangereux souhaits 12
De préparer toujours et n'achever jamais. 12
Flavian
415 Si ce dégoût, seigneur, va jusqu'à la rupture, 12
Domitie aura peine à souffrir cette injure : 12
Ce jeune esprit, qu'entête et le sang de Néron 12
Et le choix qu'en Syrie on fit de Corbulon, 12
S'attribue à l'empire un droit imaginaire, 12
420 Et s'en fait, comme vous, un rang héréditaire. 12
Si de votre parole un manque surprenant 12
La jette entre les bras d'un homme entreprenant, 12
S'il l'unit à quelque âme assez fière et hautaine 12
Pour servir son orgueil et seconder sa haine, 12
425 Un vif ressentiment lui fera tout oser : 12
En un mot, il vous faut la perdre, ou l'épouser. 12
Tite
J'en sais la politique, et cette loi cruelle 12
A presque fait l'amour qu'il m'a fallu pour elle. 12
Réduit au triste choix dont tu viens de parler, 12
430 J'aime mieux, Flavian, l'aimer que l'immoler, 12
Et ne puis démentir cette horreur magnanime 12
Qu'en recevant le jour je conçus pour le crime. 12
Moi qui seul des Césars me vois en ce haut rang 12
Sans qu'il en coûte à Rome une goutte de sang, 12
435 Moi que du genre humain on nomme les délices, 12
Moi qui ne puis souffrir les plus justes supplices, 12
Pourrais-je autoriser une injuste rigueur 12
À perdre une héroïne à qui je dois mon cœur ? 12
Non : malgré les attraits de sa belle rivale, 12
440 Malgré les vœux flottants de mon âme inégale, 12
Je veux l'aimer, je l'aime ; et sa seule beauté 12
Pouvait me consoler de ce que j'ai quitté. 12
Elle seule en ses yeux porte de quoi contraindre 12
Mes feux à s'assoupir, s'ils ne peuvent s'éteindre, 12
445 De quoi flatter mon âme, et forcer mes douleurs 12
À souhaiter du moins de n'aimer plus ailleurs. 12
Mais je ne vois pas bien que j'en sois encor maître : 12
Dès que ma flamme expire, un mot la fait renaître, 12
Et mon cœur malgré moi rappelle un souvenir 12
450 Que je n'ose écouter et ne saurais bannir. 12
Ma raison s'en veut faire en vain un sacrifice : 12
Tout me ramène ici, tout m'offre Bérénice ; 12
Et même je ne sais par quel pressentiment 12
Je n'ai souffert personne en son appartement ; 12
455 Mais depuis cet adieu, si cruel et si tendre, 12
Il est demeuré vide, et semble encor l'attendre. 12
Va, fais porter mon ordre à ses ambassadeurs : 12
C'est trop entretenir d'inutiles ardeurs ; 12
Il est temps de chercher qui m'en puisse distraire, 12
460 Et le ciel à propos envoie ici mon frère. 12
Flavian
Irez-vous au sénat ?
Tite
Non ; il peut s'assembler
Sur ce déluge ardent qui nous a fait trembler, 12
Et pourvoir sous mon ordre aux affreuses ruines 12
Dont ses feux ont couvert les campagnes voisines. 12
SCÈNE II
Domitian
465 Puis-je parler, seigneur, et de votre amitié 12
Espérer une grâce à force de pitié ? 12
Je me suis jusqu'ici fait trop de violence, 12
Pour augmenter encor mes maux par mon silence. 12
Ce que je vais vous dire est digne du trépas ; 12
470 Mais aussi j'en mourrai, si je ne le dis pas. 12
Apprenez donc mon crime, et voyez s'il faut faire 12
Justice d'un coupable, ou grâce aux vœux d'un frère. 12
J'ai vu ce que j'aimais choisi pour être à vous, 12
Et je l'ai vu longtemps sans en être jaloux. 12
475 Vous n'aimiez Domitie alors que par contrainte : 12
Vous vous faisiez effort, j'imitais votre feinte ; 12
Et comme aux lois d'un père il fallait obéir, 12
Je feignais d'oublier, vous de ne point haïr. 12
Le ciel, qui dans vos mains met sa toute-puissance, 12
480 Ne met-il point de borne à cette obéissance ? 12
La faut-il à son ombre, et que ce même effort 12
Vous déchire encor l'âme et me donne la mort ? 12
Tite
Souffrez sur cet effort que je vous désabuse. 12
Il fut grand, et de ceux que tout le cœur refuse : 12
485 Pour en sauver le mien, je fis ce que je pus ; 12
Mais ce qui fut effort à présent ne l'est plus. 12
Sachez-en la raison. Sous l'empire d'un père 12
Je murmurai toujours d'un ordre si sévère, 12
Et cherchai les moyens de tirer en longueur 12
490 Cet hymen qui vous gêne et m'arrachait le cœur. 12
Son trépas a changé toutes choses de face : 12
J'ai pris ses sentiments lorsque j'ai pris sa place ; 12
Je m'impose à mon tour les lois qu'il m'imposait, 12
Et me dis après lui tout ce qu'il me disait. 12
495 J'ai des yeux d'empereur, et n'ai plus ceux de Tite ; 12
Je vois en Domitie un tout autre mérite, 12
J'écoute la raison, j'en goûte les conseils, 12
Et j'aime comme il faut qu'aiment tous mes pareils. 12
Si dans les premiers jours que vous m'avez vu maître 12
500 Votre feu mal éteint avait voulu paraître, 12
J'aurais pu me combattre et me vaincre pour vous ; 12
Mais si près d'un hymen si souhaité de tous, 12
Quand Domitie a droit de s'en croire assurée, 12
Que le jour en est pris, la fête préparée, 12
505 Je l'aime, et lui dois trop pour jeter sur son front 12
L'éternelle rougeur d'un si mortel affront. 12
Rome entière et ma foi l'appellent à l'empire : 12
Voyez mieux de quel œil on m'en verrait dédire, 12
Ce qu'ose se permettre une femme en fureur, 12
510 Et combien Rome entière aurait pour moi d'horreur. 12
Domitian
Elle n'en aurait point de vous voir pour un frère 12
Faire autant que pour elle il vous a plu de faire. 12
Seigneur, à vos bontés laissez un libre cours ; 12
Qui se vainc une fois peut se vaincre toujours : 12
515 Ce n'est pas un effort que votre âme redoute. 12
Tite
Qui se vainc une fois sait bien ce qu'il en coûte : 12
L'effort est assez grand pour en craindre un second. 12
Domitian
Ah ! Si votre grande âme à peine s'en répond, 12
La mienne, qui n'est pas d'une trempe si belle, 12
520 Réduite au même effort, seigneur, que fera-t-elle ? 12
Tite
Ce que je fais, mon frère : aimez ailleurs.
Domitian
Hélas !
Ce qui vous fut aisé, seigneur, ne me l'est pas. 12
Quand vous avez changé, voyiez vous Bérénice ? 12
De votre changement son départ fut complice ; 12
525 Vous l'aviez éloignée, et j'ai devant les yeux, 12
Je vois presqu'en vos bras ce que j'aime le mieux. 12
Jugez de ma douleur par l'excès de la vôtre, 12
Si vous voyiez la reine entre les bras d'un autre ; 12
Contre un rival heureux épargneriez-vous rien, 12
530 À moins que d'un respect aussi grand que le mien ? 12
Tite
Vengez-vous, j'y consens ; que rien ne vous retienne. 12
Je prends votre maîtresse ; allez, prenez la mienne. 12
Épousez Bérénice, et…
Domitian
Vous n'achevez point,
Seigneur : ne pourriez-vous aimer jusqu'à ce point ? 12
Tite
535 Oui, si je ne craignais pour vous l'injuste haine 12
Que Rome concevrait pour l'époux d'une reine. 12
Domitian
Dites, dites, seigneur, qu'il est bien malaisé 12
De céder ce qu'adore un cœur bien embrasé ; 12
Ne vous contraignez plus, ne gênez plus votre âme, 12
540 Satisfaites en maître une si belle flamme ; 12
Quand vous aurez su dire une fois : « je le veux, » 12
D'un seul mot prononcé vous ferez quatre heureux. 12
Bérénice est toujours digne de votre couche, 12
Et Domitie enfin vous parle par ma bouche ; 12
545 Car je ne saurais plus vous le taire ; oui, seigneur, 12
Vous en voulez la main, et j'en ai tout le cœur : 12
Elle m'en fit le don dès la première vue, 12
Et ce don fut l'effet d'une force imprévue, 12
De cet ordre du ciel qui verse en nos esprits 12
550 Les principes secrets de prendre et d'être pris. 12
Je vous dirais, seigneur, quelle en est la puissance, 12
Si vous ne le saviez par votre expérience. 12
Ne rompez pas des nœuds et si forts et si doux : 12
Rien ne les peut briser que le trépas, ou vous ; 12
555 Et c'est un triste honneur pour une si grande âme, 12
Que d'accabler un frère et contraindre une femme. 12
Tite
Je ne contrains personne ; et de sa propre voix 12
Nous allons, vous et moi, savoir quel est son choix. 12
SCÈNE III
Tite
Parlez, parlez, madame, et daignez nous apprendre 12
560 Où porte votre cœur, ce qu'il sent de plus tendre, 12
Qui le possède entier de mon frère ou de moi ? 12
Domitie
En doutez-vous, seigneur, quand vous avez ma foi ? 12
Tite
J'aime à n'en point douter, mais on veut que j'en doute : 12
On dit que cette foi ne vous donne pas toute, 12
565 Que ce cœur reste ailleurs. Parlez en liberté, 12
Et n'en consultez point cette noble fierté, 12
Ce digne orgueil du sang que mon rang sollicite : 12
De tout ce que je suis ne regardez que Tite ; 12
Et pour mieux écouter vos désirs les plus doux, 12
570 Entre le prince et moi ne regardez que vous. 12
Domitie
Qu'avez-vous dit de moi, prince ?
Domitian
Que dans votre âme
Vous laissez vivre encor notre première flamme ; 12
Et qu'en faveur du rang si vous m'osez trahir, 12
Ce n'est pas tant aimer, madame, qu'obéir. 12
575 C'est en dire un peu plus que vous n'aviez envie ; 12
Mais il y va de vous, il y va de ma vie ; 12
Et qui se voit si près de perdre tout son bien, 12
Se fait armes de tout, et ne ménage rien. 12
Domitie
Je ne sais de vous deux, seigneur, à ne rien feindre, 12
580 Duquel je dois le plus me louer ou me plaindre. 12
C'est aimer assez mal, que remettre tous deux 12
Au choix de mes désirs le succès de vos vœux ; 12
Et cette liberté par tous les deux offerte 12
Montre que tous les deux peuvent souffrir ma perte, 12
585 Et que tout leur amour est prêt à consentir 12
Que mon cœur ou ma foi veuille se démentir. 12
Je me plains de tous deux, et vous plains l'un et l'autre, 12
Si pour voir tout ce cœur vous m'ouvrez tout le vôtre. 12
Le prince n'agit pas en amant fort discret ; 12
590 S'il ne m'impose rien, il trahit mon secret : 12
Tout ce qu'il vous en dit m'offense ou vous abuse. 12
Mais ce que fait l'amour, l'amour aussi l'excuse. 12
Vous, seigneur, je croyais que vous m'aimiez assez 12
Pour m'épargner le trouble où vous m'embarrassez, 12
595 Et laisser pour couleur à mon peu de constance 12
La gloire d'obéir à la toute-puissance : 12
Vous m'ôtez cette excuse, et me voulez charger 12
De ce qu'a d'odieux la honte de changer. 12
Si le prince en mon cœur garde encor même place, 12
600 C'est manquer de respect que vous le dire en face ; 12
Et si mon choix pour vous n'est point violenté, 12
C'est trop d'ambition et d'infidélité. 12
Ainsi des deux côtés tout sert à me confondre. 12
J'ai cent choses à dire, et rien à vous répondre ; 12
605 Et ne voulant déplaire à pas un de vous deux, 12
Je veux, ainsi que vous, douter où vont mes vœux. 12
Ce qui le plus m'étonne en cette déférence 12
Qui veut du cœur entier une entière assurance, 12
C'est que dans ce haut rang vous ne vouliez pas voir 12
610 Qu'il n'importe du cœur quand on sait son devoir, 12
Et que de vos pareils les hautes destinées 12
Ne le consultent point sur ces grands hyménées. 12
Tite
Si le vôtre, madame, était de moindre prix… 12
Mais que veut Flavian ?
SCÈNE IV
Flavian
Vous en serez surpris,
615 Seigneur, je vous apporte une grande nouvelle : 12
La reine Bérénice…
Tite
Eh bien ! Est infidèle ?
Et son esprit, charmé par un plus doux souci… 12
Flavian
Elle est dans ce palais, seigneur ; et la voici. 12
SCÈNE V
Tite
Ô dieux ! Est-ce, madame, aux reines de surprendre ? 12
620 Quel accueil, quels honneurs peuvent-elles attendre, 12
Quand leur surprise envie au souverain pouvoir 12
Celui de donner ordre à les bien recevoir ? 12
Bérénice
Pardonnez-le, seigneur, à mon impatience. 12
J'ai fait sous d'autres noms demander audience : 12
625 Vous la donniez trop tard à mes ambassadeurs ; 12
Je n'ai pu tant attendre à voir tant de grandeurs ; 12
Et quoique par vous-même autrefois exilée, 12
Sans ordre et sans aveu je me suis rappelée, 12
Pour être la première à mettre à vos genoux 12
630 Le sceptre qu'à présent je ne tiens que de vous, 12
Et prendre sur les rois cet illustre avantage 12
De leur donner l'exemple à vous en faire hommage. 12
Je ne vous dirai point avec quelles langueurs 12
D'un si cruel exil j'ai souffert les longueurs : 12
Vous savez trop…
Tite
635 Je sais votre zèle, et l'admire,
Madame ; et pour me voir possesseur de l'empire, 12
Pour me rendre vos soins, je ne méritais pas 12
Que rien vous pût résoudre à quitter vos états, 12
Qu'une si grande reine en formât la pensée. 12
640 Un voyage si long vous doit avoir lassée. 12
Conduisez-la, mon frère, en son appartement. 12
Vous, faites-l'y servir aussi pompeusement, 12
Avec le même éclat qu'elle s'y vit servie 12
Alors qu'elle faisait le bonheur de ma vie. 12
SCÈNE VI
Domitie
645 Seigneur, faut-il ici vous rendre votre foi ? 12
Ne regardez que vous entre la reine et moi ; 12
Parlez sans vous contraindre, et me daignez apprendre 12
Où porte votre cœur ce qu'il sent de plus tendre. 12
Tite
Adieu, madame, adieu. Dans le trouble où je suis, 12
650 Me taire et vous quitter, c'est tout ce que je puis. 12
SCÈNE VII
Domitie
Se taire et me quitter ! Après cette retraite, 12
Crois-tu qu'un tel arrêt ait besoin d'interprète ? 12
Plautine
Oui, madame ; et ce n'est que dérober au jour ; 12
Que vous cacher le trouble où le met ce retour. 12
Domitie
655 Non, non, tu l'as voulu, Plautine, que je vinsse 12
Désavouer ici les vanités du prince, 12
Empêcher qu'un amant dont je n'ai pas le cœur 12
Ne cédât ma conquête à mon premier vainqueur : 12
Vois la honte qu'ainsi je me suis attirée. 12
660 Quand sa reine a paru, m'a-t-il considérée ? 12
A-t-il jeté les yeux sur moi qu'en me quittant ? 12
Plautine
Pensez-vous que sa reine ait l'esprit plus content ? 12
Avant que vous quitter, lui-même il l'a bannie. 12
Domitie
Oui, mais avec respect, avec cérémonie, 12
665 Avec des yeux enfin qui l'éloignant des miens, 12
Lui promettaient assez de plus doux entretiens. 12
Tu me diras encor que la chose est égale, 12
Que s'il m'ose quitter, il chasse ma rivale. 12
Mais pour peu qu'il m'aimât, du moins il m'aurait dit 12
670 Que je garde en son âme encor même crédit : 12
Il m'en aurait donné des sûretés nouvelles, 12
Il m'en aurait laissé quelques marques fidèles. 12
S'il me voulait cacher le trouble où je le voi, 12
La plus mauvaise excuse était bonne pour moi. 12
675 Mais pour toute réponse, il se tait, et me quitte ; 12
Et tu ne peux souffrir que mon cœur s'en irrite ! 12
Tu veux, lorsque lui-même ose se déclarer, 12
Que je me flatte encore assez pour espérer ! 12
C'est avec le perfide être d'intelligence. 12
680 Sans me flatter en vain, courons à la vengeance ; 12
Faisons voir ce qu'en moi peut le sang de Néron, 12
Et que je suis de plus fille de Corbulon. 12
Plautine
Vous l'êtes ; mais enfin c'est n'être qu'une fille, 12
Que le reste impuissant d'une illustre famille. 12
685 Contre un tel empereur où prendrez-vous des bras ? 12
Domitie
Contre un tel empereur nous n'en manquerons pas. 12
S'il épouse sa reine, il est l'horreur de Rome. 12
Trouvons alors, trouvons un grand cœur, un grand homme, 12
Un Romain qui réponde au sang de mes aïeux ; 12
690 Et pour le révolter, laisse faire à mes yeux. 12
Juge, par le pouvoir de ceux de Bérénice, 12
Si les miens auront peine à s'en faire justice. 12
Si ceux-là forcent Tite à me manquer de foi, 12
Ceux-ci feront briser le joug d'un nouveau roi ; 12
695 Et si de l'univers les siens charment le maître, 12
Les miens charmeront ceux qui méritent de l'être. 12
Dis-le-moi, tu l'as vue, ai-je peu de raison 12
Quand de mes yeux aux siens je fais comparaison ? 12
Est-elle plus charmante, ai-je poins de mérite ? 12
700 Suis-je moins digne qu'elle enfin du cœur de Tite ? 12
Plautine
Madame…
Domitie
Je m'emporte, et mes sens interdits
Impriment leur désordre en tout ce que je dis. 12
Comment saurais-je aussi ce que je te dois dire, 12
Si je ne sais pas même à quoi mon âme aspire ? 12
705 Mon aveugle fureur s'égare à tous propos. 12
Allons penser à tout avec plus de repos. 12
Plautine
Vous pourriez hasarder un moment de visite, 12
Pour voir si ce retour est sans l'aveu de Tite, 12
Ou si c'est de concert qu'il a fait le surpris. 12
Domitie
710 Oui ; mais auparavant remettons nos esprits. 12
ACTE III
SCÈNE PREMIÈRE
Domitian
Je vous l'ai dit, madame, et j'aime à le redire, 12
Qu'il est beau qu'à vous plaire un empereur aspire, 12
Qu'il lui doit être doux qu'un véritable feu 12
Par de justes soupirs mérite votre aveu. 12
715 Serait-ce un crime à moins ? Serait-ce vous déplaire, 12
Après un empereur, de vous offrir son frère ? 12
Et voudriez-vous croire, en faveur de ma foi, 12
Qu'un frère d'empereur pourrait valoir un roi ? 12
Bérénice
Si votre âme, seigneur, en veut être éclaircie, 12
720 Vous pouvez le savoir de votre Domitie. 12
De tous les deux aimée, et douce à tous les deux, 12
Elle sait mieux que moi comme on change de vœux, 12
Et sait peut-être mal la route qu'il faut prendre 12
Pour trouver le secret de les faire descendre, 12
725 Quelque facilité qu'elle ait eue à trouver, 12
Malgré sa flamme et vous, l'art de les élever. 12
Pour moi, qui n'eus jamais l'honneur d'être romaine, 12
Et qu'un destin jaloux n'a fait naître que reine, 12
Sans qu'un de vous descende au rang que je remplis, 12
730 Ce me doit être assez d'un de vos affranchis ; 12
Et si votre empereur suit les traces des autres, 12
Il suffit d'un tel sort pour relever les nôtres. 12
Mais changeons de discours, et me dites, seigneur, 12
Par quel ordre aujourd'hui vous m'offrez votre cœur. 12
735 Est-ce pour obliger ou Domitie ou Tite ? 12
N'ose-t-il me quitter à moins que je le quitte ? 12
Et peut-il à son rang si peu se confier, 12
Qu'il veuille mon exemple à se justifier ? 12
Me donne-t-il à vous alors qu'il m'abandonne ? 12
Domitian
740 Il vous respecte trop : c'est à vous qu'il me donne, 12
Et me fait la justice, en m'enlevant mon bien, 12
De vouloir que je tâche à m'enrichir du sien ; 12
Mais à peine il le veut, qu'il craint pour moi la haine 12
Que Rome concevrait pour l'époux d'une reine. 12
745 C'est à vous de juger d'où part ce sentiment. 12
En vain, par politique, il fait ailleurs l'amant ; 12
Il s'y réduit en vain par grandeur de courage : 12
À ces fausses clartés opposez quelque ombrage ; 12
Et je renonce au jour, s'il ne revient à vous, 12
750 Pour peu que vous penchiez à le rendre jaloux. 12
Bérénice
Peut-être ; mais, seigneur, croyez-vous Bérénice 12
D'un cœur à s'abaisser jusqu'à cet artifice, 12
Jusques à mendier lâchement le retour 12
De ce qu'un grand service a mérité d'amour ? 12
Domitian
755 Madame, sur ce point je n'ai rien à vous dire. 12
Vous savez ce que vaut l'empereur et l'empire ; 12
Et si vous consentez qu'on vous manque de foi, 12
Vous pouvez regarder si je vaux bien un roi. 12
J'aperçois Domitie, et lui cède la place. 12
SCÈNE II
Domitie
760 Je vais me retirer, seigneur, si je vous chasse ; 12
Et j'ai des intérêts que vous servez trop bien 12
Pour arrêter le cours d'un si long entretien. 12
Domitian
Je faisais à la reine une offre de service 12
Qui peut vous assurer le rang d'impératrice, 12
765 Madame ; et si j'en suis accepté pour époux, 12
Tite n'aura plus d'yeux pour d'autres que pour vous. 12
Est-ce vous mal servir ?
Domitie
Quoi ? Madame, il vous aime ?
Bérénice
Non ; mais il me le dit, madame.
Domitie
Lui ?
Bérénice
Lui-même.
Est-ce vous offenser que m'offrir vos refus ? 12
770 Et vous doit-il un cœur dont vous ne voulez plus ? 12
Domitie
Je ne sais si je puis vous dire s'il m'offense, 12
Quand vous vous préparez à prendre sa défense. 12
Bérénice
Et moi, je ne sais pas s'il a droit de changer, 12
Mais je sais que l'amour ne peut désobliger. 12
Domitie
775 Du moins ce nouveau feu rend justice au mérite. 12
Domitian
Vous m'avez commandé de quitter qui me quitte, 12
Vous le savez, madame ; et si c'est vous trahir, 12
Vous m'avouerez aussi que c'est vous obéir. 12
Domitie
S'il échappe à l'amour un mot qui le trahisse, 12
780 À l'effort qu'il se fait veut-il qu'on obéisse ? 12
Il cherche une révolte, et s'en laisse charmer. 12
Vous le sauriez, ingrat, si vous saviez aimer, 12
Et ne vous feriez pas l'indigne violence 12
De vous offrir ailleurs, et même en ma présence. 12
Domitian
785 Madame, vous voyez ce que je vous ai dit : 12
La preuve est convaincante, et l'exemple suffit. 12
Bérénice
Il suffit pour vous croire, et non pas pour le suivre. 12
Domitie
Allez, sous quelques lois qu'il vous plaise de vivre, 12
Vivez-y, j'y consens ; mais vous pouviez, seigneur, 12
790 Vous hâter un peu moins de m'ôter votre cœur, 12
Attendre que l'honneur de ce grand hyménée 12
Vous renvoyât la foi que vous m'avez donnée. 12
Si vous vouliez passer pour véritable amant, 12
Il fallait espérer jusqu'au dernier moment ; 12
Il vous fallait…
Domitian
795 Eh bien ! Puisqu'il faut que j'espère,
Madame, faites grâce à l'empereur mon frère, 12
À la reine, à vous-même enfin, si vous m'aimez 12
Autant qu'il le paraît à vos yeux alarmés. 12
Les scrupules d'état, qu'il fallait mieux combattre, 12
800 Assez et trop longtemps nous ont gênés tous quatre : 12
Réunissez des cœurs de qui rompt l'union 12
Cette chimère en Tite, en vous l'ambition. 12
Vous trouverez au mien encor les mêmes flammes 12
Qui, dès que je vous vis, charmèrent nos deux âmes. 12
805 Dès ce premier moment j'adorai vos appas ; 12
Dès ce premier moment je ne vous déplus pas. 12
Ai-je épargné depuis aucuns soins pour vous plaire ? 12
Est-ce un crime pour moi que l'aînesse d'un frère ? 12
Et faut-il m'accabler d'un éternel ennui 12
810 Pour avoir vu le jour deux lustres après lui, 12
Comme si de mon choix il dépendait de naître 12
Dans le temps qu'il fallait pour devenir son maître ? 12
Au nom de votre amour et de ce digne amant, 12
Madame, qui vous aime encor si chèrement, 12
815 Prenez quelque pitié d'un amant déplorable ; 12
Faites-la partager à cette inexorable ; 12
Dissipez la fierté d'une injuste rigueur. 12
Pour juge entre elle et moi je ne veux que son cœur. 12
Je vous laisse avec elle arbitre de ma vie. 12
820 Adieu, madame. Adieu, trop aimable ennemie. 12
SCÈNE III
Bérénice
Les intérêts du prince avancent trop le mien 12
Pour vous oser, madame, importuner de rien ; 12
Et l'incivilité de la moindre prière 12
Semblerait vous presser de me rendre son frère. 12
825 Tout ce qu'en sa faveur je crois m'être permis, 12
Après qu'à votre cœur lui-même il s'est remis, 12
C'est de vous faire voir ce que hasarde une âme 12
Qui sacrifie au rang les douceurs de sa flamme, 12
Et quel long repentir suit ces nobles ardeurs 12
830 Qui soumettent l'amour à l'éclat des grandeurs. 12
Domitie
Quand les choses, madame, auront changé de face, 12
Je reviendrai savoir ce qu'il faut que je fasse, 12
Et demander votre ordre avec empressement 12
Sur le choix ou du prince ou de quelque autre amant. 12
835 Agréez cependant un respect qui m'amène 12
Vous rendre mes devoirs comme à ma souveraine ; 12
Car je n'ose douter que déjà l'empereur 12
Ne vous ait redonné bonne part en son cœur. 12
Vous avez sur vos rois pris ce digne avantage 12
840 D'être ici la première à rendre un juste hommage ; 12
Et pour vous imiter, je veux avoir le bien 12
D'être aussi la première à vous offrir le mien. 12
Cet exemple qu'aux rois vous donnez pour un homme, 12
J'aime pour une reine à le donner à Rome ; 12
845 Et plus il est nouveau, plus j'ai lieu d'espérer 12
Que de quelques bontés vous voudrez m'honorer. 12
Bérénice
À vous dire le vrai, sa nouveauté m'étonne : 12
J'aurais eu quelque peine à vous croire si bonne ; 12
Et je recevrais l'offre avec confusion 12
850 Si je n'y soupçonnais un peu d'illusion. 12
Quoi qu'il en soit, madame, en cette incertitude 12
Qui nous met l'une et l'autre en quelque inquiétude, 12
Ce que je puis répondre à vos civilités, 12
C'est de vous demander pour moi mêmes bontés, 12
855 Et que celle des deux qui sera satisfaite 12
Traite l'autre de l'air qu'elle veut qu'on la traite. 12
J'ai vu Tite se rendre au peu que j'ai d'appas ; 12
Je ne l'espère plus, et n'y renonce pas. 12
Il peut se souvenir, dans ce grade sublime, 12
860 Qu'il soumit votre Rome en détruisant Solyme, 12
Qu'en ce siège pour lui je hasardai mon rang, 12
Prodiguai mes trésors, et mes peuples leur sang, 12
Et que s'il me fait part de sa toute-puissance, 12
Ce sera moins un don qu'une reconnaissance. 12
Domitie
865 Ce sont là de grands droits ; et si l'amour s'y joint, 12
Je dois craindre une chute à n'en relever point. 12
Tite y peut ajouter que je n'ai point la gloire 12
D'avoir sur ma patrie étendu sa victoire, 12
De l'avoir saccagée et détruite à l'envi, 12
870 Et renversé l'autel du dieu que j'ai servi : 12
C'est par là qu'il vous doit cette haute fortune. 12
Mais je commence à voir que je vous importune. 12
Adieu. Quelque autre fois nous suivrons ce discours. 12
Bérénice
Je suis venue ici trop tôt de quatre jours ; 12
875 J'en suis au désespoir et vous en fais excuse. 12
Domitie
Dans quatre jours, madame, on verra qui s'abuse. 12
SCÈNE IV
Bérénice
Quel caprice, Philon, l'amène jusqu'ici 12
M'expliquer elle-même un si cuisant souci ? 12
Tite, après mon départ, l'aurait-il maltraitée ? 12
Philon
880 Après votre départ il l'a soudain quittée, 12
Madame, et s'est défait de cet esprit jaloux 12
Avec un compliment encor plus court qu'à vous. 12
Bérénice
Ainsi tout est égal : s'il me chasse, il la quitte ; 12
Mais ce peu qu'il m'a dit ne peut qu'il ne m'irrite : 12
885 Il marque trop pour moi son infidélité. 12
Vois de ses derniers mots quelle est la dureté : 12
« qu'on la serve, a-t-il dit, comme elle fut servie 12
Alors qu'elle faisait le bonheur de ma vie. » 12
Je ne le fais donc plus ! Voilà ce que j'ai craint. 12
890 Il fait en liberté ce qu'il faisait contraint. 12
Cet ordre de sortir, si prompt et si sévère, 12
N'a plus pour s'excuser l'autorité d'un père : 12
Il est libre, il est maître, il veut tout ce qu'il fait. 12
Philon
Du peu qu'il vous a dit j'attends un autre effet. 12
895 Le trouble de vous voir auprès d'une rivale 12
Voulait pour se remettre un moment d'intervalle ; 12
Et quand il a rompu sitôt vos entretiens, 12
Je lisais dans ses yeux qu'il évitait les siens, 12
Qu'il fuyait l'embarras d'une telle présence. 12
900 Mais il vient à son tour prendre son audience, 12
Madame ; et vous voyez si j'en sais bien juger. 12
Songez de quelle sorte il faut le ménager. 12
SCÈNE V
Bérénice
Me cherchez-vous, seigneur, après m'avoir chassée ? 12
Tite
Vous avez su mieux lire au fond de ma pensée, 12
905 Madame ; et votre cœur connaît assez le mien 12
Pour me justifier sans que j'explique rien. 12
Bérénice
Mais justifiera-t-il le don qu'il vous plaît faire 12
De ma propre personne au prince votre frère ? 12
Et n'est-ce point assez de me manquer de foi, 12
910 Sans prendre encor le droit de disposer de moi ? 12
Pouvez-vous jusque-là me bannir de votre âme ? 12
Le pouvez-vous, seigneur ?
Tite
Le croyez-vous, madame ?
Bérénice
Hélas ! Que j'ai de peur de vous dire que non ! 12
J'ai voulu vous haïr dès que j'ai su ce don : 12
915 Mais à de tels courroux l'âme en vain se confie ; 12
À peine je vous vois que je vous justifie. 12
Vous me manquez de foi, vous me donnez, chassez. 12
Que de crimes ! Un mot les a tous effacés. 12
Faut-il, seigneur, faut-il que je ne vous accuse 12
920 Que pour dire aussitôt que c'est moi qui m'abuse, 12
Que pour me voir forcée à répondre pour vous ! 12
Épargnez cette honte à mon dépit jaloux ; 12
Sauvez-moi du désordre où ma bonté m'expose, 12
Et du moins par pitié dites-moi quelque chose ; 12
925 Accusez-moi plutôt, seigneur, à votre tour, 12
Et m'imputez pour crime un trop parfait amour. 12
Vos chimères d'état, vos indignes scrupules, 12
Ne pourront-ils jamais passer pour ridicules ? 12
En souffrez vous encor la tyrannique loi ? 12
930 Ont-ils encor sur vous plus de pouvoir que moi ? 12
Du bonheur de vous voir j'ai l'âme si ravie, 12
Que pour peu qu'il durât, j'oublierais Domitie. 12
Pourrez-vous l'épouser dans quatre jours ? Ô cieux ! 12
Dans quatre jours ! Seigneur, y voudrez-vous mes yeux ? 12
935 Vous plairez-vous à voir qu'en triomphe menée, 12
Je serve de victime à ce grand hyménée ; 12
Que traînée avec pompe aux marches de l'autel, 12
J'aille de votre main attendre un coup mortel ? 12
M'y verrez-vous mourir sans verser une larme ? 12
940 Vous y préparez-vous sans trouble et sans alarme ? 12
Et si vous concevez l'excès de ma douleur, 12
N'en rejaillit-il rien jusque dans votre cœur ? 12
Tite
Hélas ! Madame, hélas ! Pourquoi vous ai-je vue ? 12
Et dans quel contre-temps êtes-vous revenue ! 12
945 Ce qu'on fit d'injustice à de si chers appas 12
M'avait assez coûté pour ne l'envier pas. 12
Votre absence et le temps m'avoient fait quelque grâce ; 12
J'en craignais un peu moins les malheurs où je passe ; 12
Je souffrais Domitie, et d'assidus efforts 12
950 M'avoient, malgré l'amour, fait maître du dehors. 12
La contrainte semblait tourner en habitude ; 12
Le joug que je prenais m'en paraissait moins rude ; 12
Et j'allais être heureux, du moins aux yeux de tous, 12
Autant qu'on le peut être en n'étant point à vous. 12
J'allais…
Bérénice
955 N'achevez point, c'est là ce qui me tue.
Et je pourrais souffrir votre hymen à ma vue, 12
Si vous aviez choisi quelque objet sans éclat, 12
Qui ne pût être à vous que par raison d'état, 12
Qui de ses grands aïeux n'eût reçu rien d'aimable, 12
960 Qui n'en eût que le nom qui fût considérable. 12
« il s'est assez puni de son manque de foi, 12
Me dirais-je, et son cœur n'en est pas moins à moi. » 12
Mais Domitie est belle, elle a tout l'avantage 12
Qu'ajoute un vrai mérite à l'éclat du visage ; 12
965 Et pour vous épargner les discours superflus, 12
Elle est digne de vous, si vous ne m'aimez plus. 12
Elle a toujours charmé le prince votre frère, 12
Elle a gagné sur vous de ne vous plus déplaire : 12
L'hymen achèvera de me faire oublier ; 12
970 Elle aura votre cœur, et l'aura tout entier. 12
Seigneur, faites-moi grâce : épousez Sulpitie, 12
Ou Camille, ou Sabine, et non pas Domitie ; 12
Choisissez-en quelqu'une enfin dont le bonheur 12
Ne m'ôte que la main, et me laisse le cœur. 12
Tite
975 Domitie aisément souffrirait ce partage ; 12
Ma main satisferait l'orgueil de son courage ; 12
Et pour le cœur, à peine il vous sait en ces lieux, 12
Qu'il revient tout entier faire hommage à vos yeux. 12
Bérénice
N'importe : ayez pitié, seigneur, de ma faiblesse. 12
980 Vous avez un cœur fait à changer de maîtresse ; 12
Vous ne savez que trop l'art de manquer de foi : 12
Ne l'exercerez-vous jamais que contre moi ? 12
Tite
Domitie est le choix de Rome et de mon père : 12
Ils crurent à propos de l'ôter à mon frère, 12
985 De crainte que ce cœur jeune et présomptueux 12
Ne rendît téméraire un prince impétueux. 12
Si pour vous obéir je lui suis infidèle, 12
Rome, qui l'a choisie, y consentira-t-elle ? 12
Bérénice
Quoi ? Rome ne veut pas quand vous avez voulu ? 12
990 Que faites-vous, seigneur, du pouvoir absolu ? 12
N'êtes-vous dans ce trône, où tant de monde aspire, 12
Que pour assujettir l'empereur à l'empire ? 12
Sur ses plus hauts degrés Rome vous fait la loi ! 12
Elle affermit ou rompt le don de votre foi ! 12
995 Ah ! Si j'en puis juger sur ce qu'on voit paraître, 12
Vous en êtes l'esclave encor plus que le maître. 12
Tite
Tel est le triste sort de ce rang souverain, 12
Qui ne dispense pas d'avoir un cœur romain ; 12
Ou plutôt des Romains tel est le dur caprice 12
1000 À suivre obstinément une aveugle injustice, 12
Qui rejetant d'un roi le nom plus que les lois, 12
Accepte un empereur plus puissant que cent rois. 12
C'est ce nom seul qui donne à leurs farouches haines 12
Cette invincible horreur qui passe jusqu'aux reines, 12
1005 Jusques à leurs époux ; et vos yeux adorés 12
Verraient de notre hymen naître cent conjurés. 12
Encor s'il n'y fallait hasarder que ma vie ; 12
Si ma perte aussitôt de la vôtre suivie… 12
Bérénice
Non, seigneur, ce n'est pas aux reines comme moi 12
1010 À hasarder leurs jours pour signaler leur foi. 12
La plus illustre ardeur de périr l'un pour l'autre 12
N'a rien de glorieux pour mon rang et le vôtre : 12
L'amour de nos pareils la traite de fureur, 12
Et ces vertus d'amant ne sont pas d'empereur. 12
1015 Mes secours en Judée achevèrent l'ouvrage 12
Qu'avait des légions ébauché le suffrage : 12
Il m'est trop précieux pour le mettre au hasard ; 12
Et j'y pouvais, seigneur, mériter quelque part, 12
N'était qu'affermissant votre heureuse fortune, 12
1020 Je n'ai fait qu'empêcher qu'elle nous fût commune. 12
Si j'eusse eu moins pour elle ou de zèle ou de foi, 12
Vous seriez moins puissant, mais vous seriez à moi ; 12
Vous n'auriez que le nom de général d'armée, 12
Mais j'aurais pour époux l'amant qui m'a charmée ; 12
1025 Et je posséderais dans ma cour, en repos, 12
Au lieu d'un empereur, le plus grand des héros. 12
Tite
Eh bien ! Madame, il faut renoncer à ce titre, 12
Qui de toute la terre en vain me fait l'arbitre. 12
Allons dans vos états m'en donner un plus doux ; 12
1030 Ma gloire la plus haute est celle d'être à vous. 12
Allons où je n'aurai que vous pour souveraine, 12
Où vos bras amoureux seront ma seule chaîne, 12
Où l'hymen en triomphe à jamais l'étreindra ; 12
Et soit de Rome esclave et maître qui voudra ! 12
Bérénice
1035 Il n'est plus temps : ce nom, si sujet à l'envie, 12
Ne se quitte jamais, seigneur, qu'avec la vie ; 12
Et des nouveaux Césars la tremblante fierté 12
N'ose faire de grâce à ceux qui l'ont porté : 12
Qui l'a pris une fois est toujours punissable. 12
1040 Ce fut par là qu'Othon se traita de coupable, 12
Par là Vitellius mérita le trépas ; 12
Et vous n'auriez partout qu'assassins sur vos pas. 12
Tite
Que faire donc, madame ?
Bérénice
Assurer votre vie ;
Et s'il y faut enfin la main de Domitie… 12
1045 Mais adieu : sur ce point si vous pouvez douter, 12
Ce n'est pas moi, seigneur, qu'il en faut consulter. 12
Tite
Non, madame ; et dût-il m'en coûter trône et vie, 12
Vous ne me verrez point épouser Domitie. 12
Ciel, si vous ne voulez qu'elle règne en ces lieux, 12
1050 Que vous m'êtes cruel de la rendre à mes yeux ! 12
ACTE IV
SCÈNE PREMIÈRE
Bérénice
Avez-vous su, Philon, quel bruit et quel murmure 12
Fait mon retour à Rome en cette conjoncture ? 12
Philon
Oui, madame : j'ai vu presque tous vos amis, 12
Et su d'eux quel espoir vous peut être permis. 12
1055 Il est peu de Romains qui penchent la balance 12
Vers l'extrême hauteur ou l'extrême indulgence : 12
La plupart d'eux embrasse un avis modéré 12
Par qui votre retour n'est pas déshonoré, 12
Mais à l'hymen de Tite il vous ferme la porte : 12
1060 La fière Domitie est partout la plus forte ; 12
La vertu de son père et son illustre sang 12
À son ambition assure ce haut rang. 12
Il est peu sur ce point de voix qui se divisent, 12
Madame ; et quant à vous, voici ce qu'ils en disent : 12
1065 « elle a bien servi Rome, il le faut avouer ; 12
L'empereur et l'empire ont lieu de s'en louer : 12
On lui doit des honneurs, des titres sans exemples ; 12
Mais enfin elle est reine, elle abhorre nos temples, 12
Et sert un dieu jaloux qui ne peut endurer 12
1070 Qu'aucun autre que lui se fasse révérer ; 12
Elle traite à nos yeux les nôtres de fantômes. 12
On peut lui prodiguer des villes, des royaumes : 12
Il est des rois pour elle ; et déjà Polémon 12
De ce dieu qu'elle adore invoque le seul nom ; 12
1075 Des nôtres pour lui plaire il dédaigne le culte : 12
Qu'elle règne avec lui sans nous faire d'insulte. 12
Si ce trône et le sien ne lui suffisent pas, 12
Rome est prête d'y joindre encor d'autres états, 12
Et de faire éclater avec magnificence 12
1080 Un juste et plein effet de sa reconnaissance. » 12
Bérénice
Qu'elle répande ailleurs ces effets éclatants, 12
Et ne m'enlève point le seul où je prétends. 12
Elle n'a point de part en ce que je mérite : 12
Elle ne me doit rien, je n'ai servi que Tite. 12
1085 Si j'ai vu sans douleur mon pays désolé, 12
C'est à Tite, à lui seul, que j'ai tout immolé ; 12
Sans lui, sans l'espérance à mon amour offerte, 12
J'aurais servi Solyme, ou péri dans sa perte ; 12
Et quand Rome s'efforce à m'arracher son cœur, 12
1090 Elle sert le courroux d'un dieu juste vengeur. 12
Mais achevez, Philon ; ne dit-on autre chose ? 12
Philon
On parle des périls où votre amour l'expose : 12
« de cet hymen, dit-on, les nœuds si désirés 12
Serviront de prétexte à mille conjurés ; 12
1095 Ils pourront soulever jusqu'à son propre frère. 12
Il se voulut jadis cantonner contre un père ; 12
N'eût été Mucian qui le tint dans Lyon, 12
Il se faisait le chef de la rébellion, 12
Avouait Civilis, appuyait ses Bataves, 12
1100 Des Gaulois belliqueux soulevait les plus braves ; 12
Et les deux bords du Rhin l'auraient pour empereur, 12
Pour peu qu'eût Céréal écouté sa fureur. » 12
Il aime Domitie, et règne dans son âme ; 12
Si Tite ne l'épouse, il en fera sa femme. 12
1105 Vous savez de tous deux quelle est l'ambition : 12
Jugez ce qui peut suivre une telle union. 12
Bérénice
Ne dit-on rien de plus ?
Philon
Ah ! Madame, je tremble
À vous dire encor…
Bérénice
Quoi ?
Philon
Que le sénat s'assemble.
Bérénice
Quelle est l'occasion qui le fait assembler ? 12
Philon
1110 L'occasion n'a rien qui vous doive troubler ; 12
Et ce n'est qu'à dessein de pourvoir aux dommages 12
Que du Vésuve ardent ont causés les ravages ; 12
Mais Domitie aura des amis, des parents, 12
Qui pourront bien après vous mettre sur les rangs. 12
Bérénice
1115 Quoi que sur mes destins ils usurpent d'empire, 12
Je ne vois pas leur maître en état d'y souscrire. 12
Philon, laissons-les faire : ils n'ont qu'à me bannir 12
Pour trouver hautement l'art de me retenir. 12
Contre toutes leurs voix je ne veux qu'un suffrage, 12
1120 Et l'ardeur de me nuire achèvera l'ouvrage. 12
Ce n'est pas qu'en effet la gloire où je prétends 12
N'offre trop de prétexte aux esprits mécontents : 12
Je ne puis jeter l'œil sur ce que je suis née 12
Sans voir que de périls suivront cet hyménée. 12
1125 Mais pour y parvenir s'il faut trop hasarder, 12
Je veux donner le bien que je n'ose garder ; 12
Je veux du moins, je veux ôter à ma rivale 12
Ce miracle vivant, cette âme sans égale : 12
Qu'en dépit des Romains, leur digne souverain, 12
1130 S'il prend une moitié, la prenne de ma main ; 12
Et pour tout dire enfin, je veux que Bérénice 12
Ait une créature en leur impératrice. 12
Je vois Domitian. Contre tous leurs arrêts 12
Il n'est pas malaisé d'unir nos intérêts. 12
SCÈNE II
Bérénice
1135 Auriez-vous au sénat, seigneur, assez de brigue 12
Pour combattre et confondre une insolente ligue ? 12
S'il ne s'assemble pas exprès pour m'exiler, 12
J'ai quelques envieux qui pourront en parler. 12
L'exil m'importe peu, j'y suis accoutumée ; 12
1140 Mais vous perdez l'objet dont votre âme est charmée : 12
L'audacieux décret de mon bannissement 12
Met votre Domitie aux bras d'un autre amant ; 12
Et vous pouvez juger que s'il faut qu'on m'exile, 12
Sa conquête pour vous n'en est pas plus facile. 12
1145 Voyez si votre amour se veut laisser ravir 12
Cet unique secours qui pourrait le servir. 12
Domitian
On en pourra parler, madame, et mon ingrate 12
En a déjà conçu quelque espoir qui la flatte ; 12
Mais je puis dire aussi que le rang que je tiens 12
1150 M'a fait assez d'amis pour opposer aux siens ; 12
Et que si dès l'abord ils ne les font pas taire, 12
Ils rompront le grand coup qui seul nous peut déplaire. 12
Non que tout cet espoir ne coure grand hasard, 12
Si votre amant volage y prend la moindre part : 12
1155 On l'aime ; et si son ordre à nos amis s'oppose, 12
Leur plus fidèle ardeur osera peu de chose. 12
Bérénice
Ah ! Prince, je mourrai de honte et de douleur, 12
Pour peu qu'il contribue à faire mon malheur ; 12
Mais je n'ai qu'à le voir pour calmer ces alarmes. 12
Domitian
1160 N'y perdez point de temps, portez-y tous vos charmes : 12
N'en oubliez aucun dans un péril si grand. 12
Peut-être, ainsi que vous, ce dessein le surprend ; 12
Mais je crains qu'après tout son âme irrésolue 12
Ne relâche un peu trop sa puissance absolue, 12
1165 Et ne laisse au sénat décider de ses vœux, 12
Pour se faire une excuse envers l'une des deux. 12
Bérénice
Quelques efforts qu'on fasse, et quelque art qu'on déploie, 12
Je vous réponds de tout, pourvu que je le voie ; 12
Et je ne crois pas même au pouvoir de vos dieux 12
1170 De lui faire épouser Domitie à mes yeux. 12
Si vous l'aimez encor, ce mot vous doit suffire. 12
Quant au sénat, qu'il m'ôte ou me donne l'empire, 12
Je ne vous dirai point à quoi je me résous. 12
Voici votre inconstante. Adieu, pensez à vous. 12
SCÈNE III
Domitie
1175 Prince, si vous m'aimez, l'occasion est belle. 12
Domitian
Si je vous aime ! Est-il un amant plus fidèle ? 12
Mais, madame, sachons ce que vous souhaitez. 12
Domitie
Vous me servirez mal, puisque vous en doutez. 12
L'amant digne du cœur de la beauté qu'il aime 12
1180 Sait mieux ce qu'elle veut que ce qu'il veut lui-même. 12
Mais puisque j'ai besoin d'expliquer mon courroux, 12
J'en veux à Bérénice, à l'empereur, à vous : 12
À lui, qui n'ose plus m'aimer en sa présence ; 12
À vous, qui vous mettez de leur intelligence, 12
1185 Et dont tous les amis vont servir un amour 12
Qui me rend à vos yeux la fable de la cour. 12
Si vous m'aimez, seigneur, il faut sauver ma gloire, 12
M'assurer par vos soins une pleine victoire ; 12
Il faut…
Domitian
Si vous croyez votre bonheur douteux,
1190 Votre retour vers moi serait-il si honteux ? 12
Suis-je indigne de vous ? Suis-je si peu de chose 12
Que toute votre gloire à mon amour s'oppose ? 12
Ne voit-on plus en moi ce que vous estimiez ? 12
Et suis-je moindre enfin qu'alors que vous m'aimiez ? 12
Domitie
1195 Non ; mais un autre espoir va m'accabler de honte, 12
Quand le trône m'attend, si Bérénice y monte. 12
Délivrez-en mes yeux, et prêtez-moi la main 12
Du moins à soutenir l'honneur du nom romain. 12
De quel œil verrez-vous qu'une reine étrangère… 12
Domitian
1200 De l'œil dont je verrais que l'empereur, mon frère, 12
En prît d'autres pour vous, ranimât son espoir, 12
Et pour se rendre heureux, usât de son pouvoir. 12
Domitie
Ne vous y trompez pas : s'il me donne le change, 12
Je ne suis point à vous, je suis à qui me venge, 12
1205 Et trouverai peut-être à Rome assez d'appui 12
Pour me venger de vous aussi bien que de lui. 12
Domitian
Et c'est du nom romain la gloire qui vous touche, 12
Madame ? Et vous l'avez au cœur comme en la bouche ? 12
Ah ! Que le nom de Rome est un nom précieux, 12
1210 Alors qu'en la servant on se sert encor mieux, 12
Qu'avec nos intérêts ce grand devoir conspire, 12
Et que pour récompense on se promet l'empire ! 12
Parlons à cœur ouvert, madame, et dites-moi 12
Quel fruit je dois attendre enfin d'un tel emploi. 12
Domitie
1215 Voulez-vous pour servir être sûr du salaire, 12
Seigneur ? Et n'avez-vous qu'un amour mercenaire ? 12
Domitian
Je n'en connais point d'autre, et ne conçois pas bien 12
Qu'un amant puisse plaire en ne prétendant rien. 12
Domitie
Que ces prétentions sentent les âmes basses ! 12
Domitian
1220 Les dieux à qui les sert font espérer des grâces. 12
Domitie
Les exemples des dieux s'appliquent mal sur nous. 12
Domitian
Je ne veux donc, madame, autre exemple que vous. 12
N'attendez-vous de Tite, et n'avez-vous pour Tite 12
Qu'une stérile ardeur qui s'attache au mérite ? 12
1225 De vos destins aux siens pressez-vous l'union 12
Sans vouloir aucun fruit de tant de passion ? 12
Domitie
Peut-être en ce dessein ne suis-je intéressée 12
Que par l'intérêt seul de ma gloire blessée. 12
Croyez-moi généreuse, et soyez généreux : 12
1230 N'aimez plus, ou n'aimez que comme je le veux. 12
Je sais ce que je dois à l'amant qui m'oblige ; 12
Mais j'aime qu'on l'attende et non pas qu'on l'exige ; 12
Et qui peut immoler son intérêt au mien, 12
Peut se promettre tout de qui ne promet rien. 12
1235 Peut-être qu'en l'état où je suis avec Tite, 12
Je veux bien le quitter, mais non pas qu'il me quitte. 12
Vous en dis-je trop peu pour vous l'imaginer ? 12
Et depuis quand l'amour n'ose-t-il deviner ? 12
Tous mes emportements pour la grandeur suprême 12
1240 Ne vous déguisent point, seigneur, que je vous aime ; 12
Et l'on ne voit que trop quel droit j'ai de haïr 12
Un empereur sans foi qui meurt de me trahir. 12
Me condamnerez-vous à voir que Bérénice 12
M'enlève de hauteur le rang d'impératrice ? 12
1245 Lui pourrez-vous aider à me perdre d'honneur ? 12
Domitian
Ne pouvez-vous le mettre à faire mon bonheur ? 12
Domitie
J'ai quelque orgueil encor, seigneur, je le confesse. 12
De tout ce qu'il attend rendez-moi la maîtresse, 12
Et laissez à mon choix l'effet de votre espoir : 12
1250 Que ce soit une grâce, et non pas un devoir ; 12
Et que…
Domitian
Me faire grâce après tant d'injustice !
De tant de vains détours je vois trop l'artifice ! 12
Et ne saurais douter du choix que vous ferez 12
Quand vous aurez par moi ce que vous espérez. 12
1255 Épousez, j'y consens, le rang de souveraine ; 12
Faites l'impératrice, en donnant une reine ; 12
Disposez de sa main, et pour première loi, 12
Madame, ordonnez-lui d'abaisser l'œil sur moi. 12
Domitie
Cet objet de ma haine a pour vous quelque charme. 12
Domitian
1260 Son nom seul prononcé vous a mise en alarme : 12
Me puis-je mieux venger, si vous me trahissez, 12
Que d'aimer à vos yeux ce que vous haïssez ? 12
Domitie
Parlons à cœur ouvert. Aimez-vous Bérénice ? 12
Domitian
Autant qu'il faut l'aimer pour vous faire un supplice. 12
Domitie
1265 Ce sera donc le vôtre encor plus que le mien. 12
Après cela, seigneur, je ne vous dis plus rien. 12
S'il n'a pas pour votre âme une assez rude gêne, 12
J'y puis joindre au besoin une implacable haine. 12
Domitian
Et moi, dût à jamais croître ce grand courroux, 12
1270 J'épouserai, madame, ou Bérénice, ou vous. 12
Domitie
Ou Bérénice, ou moi ! La chose est donc égale, 12
Et vous ne m'aimez plus qu'autant que ma rivale ? 12
Domitian
La douleur de vous perdre, hélas ! …
Domitie
C'en est assez :
Nous verrons cet amour dont vous nous menacez. 12
1275 Cependant si la reine, aussi fière que belle, 12
Sait comme il faut répondre aux vœux d'un infidèle, 12
Ne me rapportez point l'objet de son dédain 12
Qu'elle n'ait repassé les rives du Jourdain. 12
SCÈNE IV
Domitian
Admire ainsi que moi de quelle jalousie 12
1280 Au seul nom de la reine elle a paru saisie ; 12
Comme s'il importait à ses heureux appas 12
À qui je donne un cœur dont elle ne veut pas ! 12
Albin
Seigneur, telle est l'humeur de la plupart des femmes. 12
L'amour sous leur empire eût-il rangé mille âmes, 12
1285 Elles regardent tout comme leur propre bien, 12
Et ne peuvent souffrir qu'il leur échappe rien. 12
Un captif mal gardé leur semble une infamie : 12
Qui l'ose recevoir devient leur ennemie ; 12
Et sans leur faire un vol on ne peut disposer 12
1290 D'un cœur qu'un autre choix les force à refuser : 12
Elles veulent qu'ailleurs par leur ordre il soupire, 12
Et qu'un don de leur part marque un reste d'empire. 12
Domitie a pour vous ces communs sentiments 12
Que les fières beautés ont pour tous leurs amants, 12
1295 Et craint, si votre main se donne à Bérénice, 12
Qu'elle ne porte en vain le nom d'impératrice, 12
Quand d'un côté l'hymen, et de l'autre l'amour, 12
Feront à cette reine un empire en sa cour. 12
Voilà sa jalousie, et ce qu'elle redoute, 12
1300 Seigneur. Pour le sénat, n'en soyez point en doute, 12
Il aime l'empereur, et l'honore à tel point, 12
Qu'il servira sa flamme, ou n'en parlera point ; 12
Pour le stupide Claude il eut bien la bassesse 12
D'autoriser l'hymen de l'oncle avec la nièce : 12
1305 Il ne fera pas moins pour un prince adoré, 12
Et je l'y tiens déjà, seigneur, tout préparé. 12
Domitian
Tu parles du sénat, et je veux parler d'elle, 12
De l'ingrate qu'un trône a rendue infidèle. 12
N'est-il point de moyens, ne vois-tu point de jour, 12
1310 À mettre enfin d'accord sa gloire et son amour ? 12
Albin
Tout dépendra de Tite et du secret office 12
Qu'il peut dans le sénat rendre à sa Bérénice. 12
L'air dont il agira pour un espoir si doux 12
Tournera l'assemblée ou pour ou contre vous ; 12
1315 Et si sa politique à vos amis s'oppose, 12
Vous l'avez dit vous-même, ils pourront peu de chose. 12
Sondez ses sentiments, et réglez-vous sur eux : 12
Votre bonheur est sûr, s'il consent d'être heureux. 12
Que si son choix balance, ou flatte mal le vôtre, 12
1320 Demandez Bérénice afin d'obtenir l'autre. 12
Vous l'avez déjà vu sensible à de tels coups ; 12
Et c'est un grand ressort qu'un peu d'amour jaloux. 12
Au moindre empressement pour cette belle reine, 12
Il vous fera justice et reprendra sa chaîne. 12
1325 Songez à pénétrer ce qu'il a dans l'esprit. 12
Le voici.
Domitian
Je suivrai ce que ton zèle en dit.
SCÈNE V
Tite
Avez-vous regagné le cœur de votre ingrate, 12
Mon frère ?
Domitian
Sa fierté de plus en plus éclate.
Voyez s'il fut jamais orgueil pareil au sien : 12
1330 Il veut que je la serve et ne prétende rien, 12
Que j'appuie en l'aimant toute son injustice, 12
Que je fasse de Rome exiler Bérénice. 12
Mais, seigneur, à mon tour puis-je vous demander 12
Ce qu'à vos plus doux vœux il vous plaît d'accorder ? 12
Tite
1335 J'aurai peine à bannir la reine de ma vue. 12
Par quels ordres, grands dieux, est-elle revenue ? 12
Je souffrais, mais enfin je vivais sans la voir ; 12
J'allais…
Domitian
N'avez-vous pas un absolu pouvoir,
Seigneur ?
Tite
Oui ; mais j'en suis comptable à tout le monde :
1340 Comme dépositaire, il faut que j'en réponde. 12
Un monarque a souvent des lois à s'imposer ; 12
Et qui veut pouvoir tout ne doit pas tout oser. 12
Domitian
Que refuserez-vous aux désirs de votre âme, 12
Si le sénat approuve une si belle flamme ? 12
Tite
1345 Qu'il parle du Vésuve, et ne se mêle pas 12
De jeter dans mon âme un nouvel embarras. 12
Est-ce à lui d'abuser de mon inquiétude 12
Jusqu'à mettre une borne à son incertitude ? 12
Et s'il ose en mon choix prendre quelque intérêt, 12
1350 Me croit-il en état d'en croire son arrêt ? 12
S'il exile la reine, y pourrai-je souscrire ? 12
Domitian
S'il parle en sa faveur, pourrez-vous l'en dédire ? 12
Ah ! Que je vous plaindrais d'avoir si peu d'amour ! 12
Tite
J'en ai trop, et le mets peut-être trop au jour. 12
Domitian
1355 Si vous en aviez tant, vous auriez peu de peine 12
À rendre Domitie à sa première chaîne. 12
Tite
Ah ! S'il ne s'agissait que de vous la céder, 12
Vous auriez peu de peine à me persuader ; 12
Et pour vous rendre heureux, me rendre à Bérénice 12
1360 Ne serait pas vous faire un fort grand sacrifice. 12
Il y va de bien plus.
Domitian
De quoi, seigneur ?
Tite
De tout.
Il y va d'épouser sa haine jusqu'au bout, 12
D'en suivre la furie, et d'être le ministre 12
De ce qu'un noir dépit conçoit de plus sinistre ; 12
1365 Et peut-être l'aigreur de ces inimitiés 12
Voudra que je vous perde ou que vous me perdiez : 12
Voilà ce qui peut suivre un si doux hyménée. 12
Vous voyez dans l'orgueil Domitie obstinée ; 12
Quand pour moi cet orgueil ose vous dédaigner, 12
1370 Elle ne m'aime pas : elle cherche à régner, 12
Avec vous, avec moi, n'importe la manière. 12
Tout plairait, à ce prix, à son humeur altière ; 12
Tout serait digne d'elle ; et le nom d'empereur 12
À mon assassin même attacherait son cœur. 12
Domitian
1375 Pouvez-vous mieux choisir un frein à sa colère, 12
Seigneur, que de la mettre entre les mains d'un frère ? 12
Tite
Non : je ne puis la mettre en de plus sûres mains ; 12
Mais plus vous m'êtes cher, prince, et plus je vous crains : 12
De ceux qu'unit le sang plus douces sont les chaînes, 12
1380 Plus leur désunion met d'aigreur dans leurs haines ; 12
L'offense en est plus rude, et le courroux plus grand, 12
La suite plus barbare, et l'effet plus sanglant. 12
La nature en fureur s'abandonne à tout faire, 12
Et cinquante ennemis sont moins haïs qu'un frère. 12
1385 Je ne réveille point des soupçons assoupis, 12
Et veux bien oublier le temps de Civilis : 12
Vous étiez encor jeune, et sans vous bien connaître, 12
Vous pensiez n'être né que pour vivre sans maître ; 12
Mais les occasions renaissent aisément : 12
1390 Une femme est flatteuse, un empire est charmant, 12
Et comme avec plaisir on s'en laisse surprendre, 12
On néglige bientôt les soins de s'en défendre. 12
Croyez-moi, séparez vos intérêts des siens. 12
Domitian
Eh bien ! J'en briserai les dangereux liens. 12
1395 Pour votre sûreté j'accepte ce supplice ; 12
Mais pour m'en consoler, donnez-moi Bérénice. 12
Dût le sénat, dût Rome en frémir de courroux, 12
Vous n'osez l'épouser, j'oserai plus que vous ; 12
Je l'aime, et l'aimerai si votre âme y renonce. 12
1400 Quoi ? N'osez-vous, seigneur, me faire de réponse ? 12
Tite
Se donne-t-elle à vous, et ne tient-il qu'à moi ? 12
Domitian
Elle a droit d'imiter qui lui manque de foi. 12
Tite
Elle n'en a que trop ; et toutefois je doute 12
Que son amour trahi prenne la même route. 12
Domitian
1405 Mais si pour se venger elle répond au mien ? 12
Tite
Épousez-la, mon frère, et ne m'en dites rien. 12
Domitian
Et si je regagnais l'esprit de Domitie ? 12
Si pour moi sa fierté se montrait adoucie ? 12
Si mes vœux, si mes soins en étaient mieux reçus, 12
Seigneur ?
Tite
1410 Épousez-la sans m'en parler non plus.
Domitian
Allons, et malgré lui rendons-lui Bérénice. 12
Albin, de nos projets son amour est complice ; 12
Et puisqu'il l'aime assez pour en être jaloux, 12
Malgré l'ambition Domitie est à nous. 12
ACTE V
SCÈNE PREMIÈRE
Tite
1415 As-tu vu Bérénice ? Aime-t-elle mon frère ? 12
Et se plaît-elle à voir qu'il tâche de lui plaire ? 12
Me la demande-t-il de son consentement ? 12
Flavian
Ne la soupçonnez point d'un si bas sentiment ; 12
Elle n'en peut souffrir non pas même la feinte. 12
Tite
1420 As-tu vu dans son cœur encor la même atteinte ? 12
Flavian
Elle veut vous parler, c'est tout ce que j'en sai. 12
Tite
Faut-il de son pouvoir faire un nouvel essai ? 12
Flavian
M'en croirez-vous, seigneur ? Évitez sa présence, 12
Ou mettez-vous contre elle un peu mieux en défense. 12
1425 Quel fruit espérez-vous de tout son entretien ? 12
Tite
L'en aimer davantage, et ne résoudre rien. 12
Flavian
L'irrésolution doit-elle être éternelle ? 12
Vous ne me dites plus que Domitie est belle, 12
Seigneur, vous qui disiez que ses seules beautés 12
1430 Vous peuvent consoler de ce que vous quittez ; 12
Qu'elle seule en ses yeux porte de quoi contraindre 12
Vos feux à s'assoupir, s'ils ne peuvent s'éteindre. 12
Tite
Je l'ai dit, il est vrai ; mais j'avais d'autres yeux, 12
Et je ne voyais pas Bérénice en ces lieux. 12
Flavian
1435 Quand aux feux les plus beaux un monarque défère, 12
Il s'en fait un plaisir et non pas une affaire, 12
Et regarde l'amour comme un lâche attentat 12
Dès qu'il veut prévaloir sur la raison d'état. 12
Son grand cœur, au-dessus des plus dignes amorces, 12
1440 À ses devoirs pressants laisse toutes leurs forces ; 12
Et son plus doux espoir n'ose lui demander 12
Ce que sa dignité ne lui peut accorder. 12
Tite
Je sais qu'un empereur doit parler ce langage ; 12
Et quand il l'a fallu, j'en ai dit davantage ; 12
1445 Mais de ces duretés que j'étale à regret, 12
Chaque mot à mon cœur coûte un soupir secret ; 12
Et quand à la raison j'accorde un tel empire, 12
Je le dis seulement parce qu'il le faut dire, 12
Et qu'étant au-dessus de tous les potentats, 12
1450 Il me serait honteux de ne le dire pas. 12
De quoi s'enorgueillit un souverain de Rome, 12
Si par respect pour elle il doit cesser d'être homme, 12
Éteindre un feu qui plaît, ou ne le ressentir 12
Que pour s'en faire honte et pour le démentir ? 12
1455 Cette toute-puissance est bien imaginaire, 12
Qui s'asservit soi-même à la peur de déplaire, 12
Qui laisse au goût public régler tous ses projets, 12
Et prend le plus haut rang pour craindre ses sujets. 12
Je ne me donne point d'empire sur leurs âmes, 12
1460 Je laisse en liberté leurs soupirs et leurs flammes ; 12
Et quand d'un bel objet j'en vois quelqu'un charmé, 12
J'applaudis au bonheur d'aimer et d'être aimé. 12
Quand je l'obtiens du ciel, me portent-ils envie ? 12
Qu'ont d'amer pour eux tous les douceurs de ma vie ? 12
Et par quel intérêt…
Flavian
1465 Ils perdraient tout en vous.
Vous faites le bonheur et le salut de tous, 12
Seigneur ; et l'univers, de qui vous êtes l'âme… 12
Tite
Ne perds plus de raisons à combattre ma flamme : 12
Les yeux de Bérénice inspirent des avis 12
1470 Qui persuadent mieux que tout ce que tu dis. 12
Flavian
Ne vous exposez donc qu'à ceux de Domitie. 12
Tite
Je n'ai plus, Flavian, que quatre jours de vie : 12
Pourquoi prends-tu plaisir à les tyranniser ? 12
Flavian
Mais vous savez qu'il faut la perdre ou l'épouser ? 12
Tite
1475 En vain donc à ses vœux tout mon amour s'oppose ; 12
Périr ou faire un crime est pour moi même chose. 12
Laissons-lui toutefois soulever des mutins ; 12
Hasardons sur la foi de nos heureux destins : 12
Ils m'ont promis la reine, et doivent à ses charmes 12
1480 Tout ce qu'ils ont soumis à l'effort de mes armes ; 12
Par elle j'ai vaincu, pour elle il faut périr. 12
Flavian
Seigneur…
Tite
Oui, Flavian, c'est à faire à mourir.
La vie est peu de chose ; et tôt ou tard, qu'importe 12
Qu'un traître me l'arrache, ou que l'âge l'emporte ? 12
1485 Nous mourons à toute heure ; et dans le plus doux sort 12
Chaque instant de la vie est un pas vers la mort. 12
Flavian
Flattez mieux les désirs de votre ambitieuse, 12
Et ne la changez pas de fière en furieuse. 12
Elle vient vous parler.
Tite
Dieux ! Quel comble d'ennuis !
SCÈNE II
Domitie
1490 Je viens savoir de vous, seigneur, ce que je suis. 12
J'ai votre foi pour gage, et mes aïeux pour marques 12
Du grand droit de prétendre au plus grand des monarques ; 12
Mais Bérénice est belle, et des yeux si puissants 12
Renversent aisément des droits si languissants. 12
1495 Ce grand jour qui devait unir mon sort au vôtre, 12
Servira-t-il, seigneur, au triomphe d'une autre ? 12
Tite
J'ai quatre jours encor pour en délibérer, 12
Madame ; jusque-là laissez-moi respirer. 12
C'est peu de quatre jours pour un tel sacrifice ; 12
1500 Et s'il faut à vos droits immoler Bérénice, 12
Je ne vous réponds pas que Rome et tous vos droits 12
Puissent en quatre jours m'en imposer les lois. 12
Domitie
Il n'en faudrait pas tant, seigneur, pour vous résoudre 12
À lancer sur ma tête un dernier coup de foudre, 12
1505 Si vous ne craigniez point qu'il rejaillît sur vous. 12
Tite
Suspendez quelque temps encor ce grand courroux. 12
Puis-je étouffer sitôt une si belle flamme ? 12
Domitie
Quoi ? Vous ne pouvez pas ce que peut une femme ? 12
Que vous me rendez mal ce que vous me devez ! 12
1510 J'ai brisé de beaux fers, seigneur, vous le savez ; 12
Et mon âme, sensible à l'amour comme une autre, 12
En étouffe un peut-être aussi fort que le vôtre. 12
Tite
Peut-être auriez-vous peine à le bien étouffer, 12
Si votre ambition n'en savait triompher. 12
1515 Moi qui n'ai que les dieux au-dessus de ma tête, 12
Qui ne vois plus de rang digne de ma conquête, 12
Du trône où je me sieds puis-je aspirer à rien 12
Qu'à posséder un cœur qui n'aspire qu'au mien ? 12
C'est là de mes pareils la noble inquiétude : 12
1520 L'ambition remplie y jette leur étude ; 12
Et sitôt qu'à prétendre elle n'a plus de jour, 12
Elle abandonne un cœur tout entier à l'amour. 12
Domitie
Elle abandonne ainsi le vôtre à cette reine, 12
Qui cherche une grandeur encor plus souveraine. 12
Tite
1525 Non, madame : je veux que vous sortiez d'erreur. 12
Bérénice aime Tite, et non pas l'empereur ; 12
Elle en veut à mon cœur, et non pas à l'empire. 12
Domitie
D'autres avoient déjà pris soin de me le dire, 12
Seigneur ; et votre reine a le goût délicat 12
1530 De n'en vouloir qu'au cœur, et non pas à l'éclat. 12
Cet amour épuré que Tite seul lui donne 12
Renoncerait au rang pour être à la personne ! 12
Mais on a beau, seigneur, raffiner sur ce point, 12
La personne et le rang ne se séparent point. 12
1535 Sous les tendres brillants de cette noble amorce 12
L'ambition cachée attaque, presse, force ; 12
Par là de ses projets elle vient mieux à bout ; 12
Elle ne prétend rien, et s'empare de tout. 12
L'art est grand ; mais enfin je ne sais s'il mérite 12
1540 La bouche d'une reine et l'oreille de Tite. 12
Pour moi, j'aime autrement ; et tout me charme en vous ; 12
Tout m'en est précieux, seigneur, tout m'en est doux ; 12
Je ne sais point si j'aime ou l'empereur ou Tite, 12
Si je m'attache au rang ou n'en veux qu'au mérite, 12
1545 Mais je sais qu'en l'état où je suis aujourd'hui 12
J'applaudis à mon cœur de n'aspirer qu'à lui. 12
Tite
Mais me le donnez-vous tout ce cœur qui n'aspire, 12
En se tournant vers moi, qu'aux honneurs de l'empire ? 12
Suit-il l'ambition en dépit de l'amour, 12
1550 Madame ? La suit-il sans espoir de retour ? 12
Domitie
Si c'est à mon égard ce qui vous inquiète, 12
Le cœur se rend bientôt quand l'âme est satisfaite : 12
Nous le défendons mal de qui remplit nos vœux. 12
Un moment dans le trône éteint tous autres feux ; 12
1555 Et donner tout ce cœur, souvent ce n'est que faire 12
D'un trésor invisible un don imaginaire. 12
À l'amour vraiment noble il suffit du dehors ; 12
Il veut bien du dedans ignorer les ressorts : 12
Il n'a d'yeux que pour voir ce qui s'offre à la vue, 12
1560 Tout le reste est pour eux une terre inconnue ; 12
Et sans importuner le cœur d'un souverain, 12
Il a tout ce qu'il veut quand il en a la main. 12
Ne m'ôtez pas la vôtre, et disposez du reste. 12
Le cœur a quelque chose en soi de tout céleste ; 12
1565 Il n'appartient qu'aux dieux ; et comme c'est leur choix, 12
Je ne veux point, seigneur, attenter sur leurs droits. 12
Tite
Et moi, qui suis des dieux la plus visible image, 12
Je veux ce cœur comme eux, et j'en veux tout l'hommage. 12
Mais vous n'en avez plus, madame, à me donner ; 12
1570 Vous ne voulez ma main que pour vous couronner. 12
D'autres pourront un jour vous rendre ce service. 12
Cependant, pour régler le sort de Bérénice, 12
Vous pouvez faire agir vos amis au sénat ; 12
Ils peuvent m'y nommer lâche, parjure, ingrat : 12
1575 J'attendrai son arrêt, et le suivrai peut-être. 12
Domitie
Suivez-le, mais tremblez s'il flatte trop son maître. 12
Ce grand corps tous les ans change d'âme et de cœurs ; 12
C'est le même sénat, et d'autres sénateurs. 12
S'il alla pour Néron jusqu'à l'idolâtrie, 12
1580 Il le traita depuis de traître à sa patrie, 12
Et réduisit ce prince indigne de son rang 12
À la nécessité de se percer le flanc. 12
Vous êtes son amour, craignez d'être sa haine 12
Après l'indignité d'épouser une reine. 12
1585 Vous avez quatre jours pour en délibérer. 12
J'attends le coup fatal, que je ne puis parer. 12
Adieu. Si vous l'osez, contentez votre envie ; 12
Mais en m'ôtant l'honneur n'épargnez pas ma vie. 12
SCÈNE III
Tite
L'impétueux esprit ! Conçois-tu, Flavian, 12
1590 Où pourraient ses fureurs porter Domitian, 12
Et de quelle importance est pour moi l'hyménée 12
Où par tous mes désirs je la sens condamnée ? 12
Flavian
Je vous l'ai déjà dit, seigneur : pensez-y bien, 12
Et surtout de la reine évitez l'entretien. 12
1595 Redoutez… Mais elle entre, et sa moindre tendresse 12
De toutes nos raisons va montrer la faiblesse. 12
SCÈNE IV
Tite
Eh bien ! Madame, eh bien ! Faut-il tout hasarder ? 12
Et venez-vous ici pour me le commander ? 12
Bérénice
De ce qui m'est permis je sais mieux la mesure, 12
1600 Seigneur ; et j'ai pour vous une flamme trop pure 12
Pour vouloir, en faveur d'un zèle ambitieux, 12
Mettre au moindre péril des jours si précieux. 12
Quelque pouvoir sur moi que notre amour obtienne, 12
J'ai soin de votre gloire ; ayez-en de la mienne. 12
1605 Je ne demande plus que pour de si beaux feux 12
Votre absolu pouvoir hasarde un : « je le veux. » 12
Cet amour le voudrait ; mais comme je suis reine, 12
Je sais des souverains la raison souveraine. 12
Si l'ardeur de vous voir l'a voulue ignorer, 12
1610 Si mon indigne exil s'est permis d'espérer, 12
Si j'ai rentré dans Rome avec quelque imprudence, 12
Tite à ce trop d'ardeur doit un peu d'indulgence. 12
Souffrez qu'un peu d'éclat, pour prix de tant d'amour, 12
Signale ma venue, et marque mon retour. 12
1615 Voudrez-vous que je parte avec l'ignominie 12
De ne vous avoir vu que pour me voir bannie ? 12
Laissez-moi la douceur de languir en ces lieux, 12
D'y soupirer pour vous, d'y mourir à vos yeux : 12
C'en sera bientôt fait, ma douleur est trop vive 12
1620 Pour y tenir longtemps votre attente captive ; 12
Et si je tarde trop à mourir de douleur, 12
J'irai loin de vos yeux terminer mon malheur. 12
Mais laissez-m'en choisir la funeste journée ; 12
Et du moins jusque-là, seigneur, point d'hyménée. 12
1625 Pour votre ambitieuse avez-vous tant d'amour 12
Que vous ne le puissiez différer d'un seul jour ? 12
Pouvez-vous refuser à ma douleur profonde… 12
Tite
Hélas ! Que voulez-vous que la mienne réponde ? 12
Et que puis-je résoudre alors que vous parlez, 12
1630 Moi qui ne puis vouloir que ce que vous voulez ? 12
Vous parlez de languir, de mourir à ma vue ; 12
Mais, ô dieux ! Songez-vous que chaque mot me tue, 12
Et porte dans mon cœur de si sensibles coups, 12
Qu'il ne m'en faut plus qu'un pour mourir avant vous ? 12
1635 De ceux qui m'ont percé souffrez que je soupire. 12
Pourquoi partir, madame, et pourquoi me le dire ? 12
Ah ! Si vous vous forcez d'abandonner ces lieux, 12
Ne m'assassinez point de vos cruels adieux. 12
Je vous suivrais, madame ; et flatté de l'idée 12
1640 D'oser mourir à Rome, et revivre en Judée, 12
Pour aller de mes feux vous demander le fruit, 12
Je quitterais l'empire et tout ce qui leur nuit. 12
Bérénice
Daigne me préserver le ciel…
Tite
De quoi, madame ?
Bérénice
De voir tant de faiblesse en une si grande âme ! 12
1645 Si j'avais droit par là de vous moins estimer, 12
Je cesserais peut-être aussi de vous aimer. 12
Tite
Ordonnez donc enfin ce qu'il faut que je fasse. 12
Bérénice
S'il faut partir demain, je ne veux qu'une grâce : 12
Que ce soit vous, seigneur, qui le veuillez pour moi, 12
1650 Et non votre sénat qui m'en fasse la loi. 12
Faites-lui souvenir, quoi qu'il craigne ou projette, 12
Que je suis son amie, et non pas sa sujette ; 12
Que d'un tel attentat notre rang est jaloux, 12
Et que tout mon amour ne m'asservit qu'à vous. 12
Tite
Mais peut-être, madame…
Bérénice
1655 Il n'est point de peut-être,
Seigneur : s'il en décide, il se fait voir mon maître ; 12
Et dût-il vous porter à tout ce que je veux, 12
Je ne l'ai point choisi pour juge de mes vœux. 12
SCÈNE V
Tite
Allez dire au sénat, Flavian, qu'il se lève : 12
1660 Quoi qu'il ait commencé, je défends qu'il achève. 12
Soit qu'il parle à présent du Vésuve ou de moi, 12
Qu'il cesse, et que chacun se retire chez soi. 12
Ainsi le veut la reine ; et comme amant fidèle, 12
Je veux qu'il obéisse aux lois que je prends d'elle, 12
1665 Qu'il laisse à notre amour régler notre intérêt. 12
Domitian
Il n'est plus temps, seigneur ; j'en apporte l'arrêt. 12
Tite
Qu'ose-t-il m'ordonner ?
Domitian
Seigneur, il vous conjure
De remplir tout l'espoir d'une flamme si pure. 12
Des services rendus à vous, à tout l'état, 12
1670 C'est le prix qu'a jugé lui devoir le sénat ; 12
Et pour ne vous prier que pour une Romaine, 12
D'une commune voix Rome adopte la reine ; 12
Et le peuple à grands cris montre sa passion 12
De voir un plein effet de cette adoption. 12
Tite
Madame…
Bérénice
1675 Permettez, seigneur, que je prévienne
Ce que peut votre flamme accorder à la mienne. 12
Grâces au juste ciel, ma gloire en sûreté 12
N'a plus à redouter aucune indignité. 12
J'éprouve du sénat l'amour et la justice, 12
1680 Et n'ai qu'à le vouloir pour être impératrice. 12
Je n'abuserai point d'un surprenant respect 12
Qui semble un peu bien prompt pour n'être point suspect : 12
Souvent on se dédit de tant de complaisance. 12
Non que vous ne puissiez en fixer l'inconstance : 12
1685 Si nous avons trop vu ses flux et ses reflux 12
Pour Galba, pour Othon, et pour Vitellius, 12
Rome, dont aujourd'hui vous êtes les délices, 12
N'aura jamais pour vous ces insolents caprices ; 12
Mais aussi cet amour qu'a pour vous l'univers 12
1690 Ne vous peut garantir des ennemis couverts. 12
Un million de bras a beau garder un maître, 12
Un million de bras ne pare point d'un traître : 12
Il n'en faut qu'un pour perdre un prince aimé de tous, 12
Il n'y faut qu'un brutal qui me haïsse en vous ; 12
1695 Aux zèles indiscrets tout paraît légitime, 12
Et la fausse vertu se fait honneur du crime. 12
Rome a sauvé ma gloire en me donnant sa voix ; 12
Sauvons-lui, vous et moi, la gloire de ses lois ; 12
Rendons-lui, vous et moi, cette reconnaissance 12
1700 D'en avoir pour vous plaire affaibli la puissance, 12
De l'avoir immolée à vos plus doux souhaits. 12
On nous aime : faisons qu'on nous aime à jamais. 12
D'autres sur votre exemple épouseraient des reines 12
Qui n'auraient pas, seigneur, des âmes si romaines, 12
1705 Et lui feraient peut-être avec trop de raison 12
Haïr votre mémoire et détester mon nom. 12
Un refus généreux de tant de déférence 12
Contre tous ces périls nous met en assurance. 12
Tite
Le ciel de ces périls saura trop nous garder. 12
Bérénice
1710 Je les vois de trop près pour vous y hasarder. 12
Tite
Quand Rome vous appelle à la grandeur suprême… 12
Bérénice
Jamais un tendre amour n'expose ce qu'il aime. 12
Tite
Mais, madame, tout cède, et nos vœux exaucés… 12
Bérénice
Votre cœur est à moi, j'y règne ; c'est assez. 12
Tite
1715 Malgré les vœux publics refuser d'être heureuse, 12
C'est plus craindre qu'aimer.
Bérénice
La crainte est amoureuse.
Ne me renvoyez pas, mais laissez-moi partir. 12
Ma gloire ne peut croître, et peut se démentir. 12
Elle passe aujourd'hui celle du plus grand homme, 12
1720 Puisqu'enfin je triomphe et dans Rome et de Rome : 12
J'y vois à mes genoux le peuple et le sénat ; 12
Plus j'y craignais de honte, et plus j'y prends d'éclat ; 12
J'y tremblais sous sa haine, et la laisse impuissante ; 12
J'y rentrais exilée, et j'en sors triomphante. 12
Tite
1725 L'amour peut-il se faire une si dure loi ? 12
Bérénice
La raison me la fait malgré vous, malgré moi. 12
Si je vous en croyais, si je voulais m'en croire, 12
Nous pourrions vivre heureux, mais avec moins de gloire. 12
Épousez Domitie : il ne m'importe plus 12
1730 Qui vous enrichissiez d'un si noble refus. 12
C'est à force d'amour que je m'arrache au vôtre ; 12
Et je serais à vous, si j'aimais comme une autre. 12
Adieu, seigneur : je pars.
Tite
Ah ! Madame, arrêtez.
Domitian
Est-ce là donc pour moi l'effet de vos bontés, 12
1735 Madame ? Est-ce le prix de vous avoir servie ? 12
J'assure votre gloire, et vous m'ôtez la vie. 12
Tite
Ne vous alarmez point : quoi que la reine ait dit, 12
Domitie est à vous, si j'ai quelque crédit. 12
Madame, en ce refus un tel amour éclate, 12
1740 Que j'aurais pour vous l'âme au dernier point ingrate, 12
Et mériterais mal ce qu'on a fait pour moi, 12
Si je portais ailleurs la main que je vous doi. 12
Tout est à vous : l'amour, l'honneur, Rome l'ordonne. 12
Un si noble refus n'enrichira personne, 12
1745 J'en jure par l'espoir qui nous fut le plus doux : 12
Tout est à vous, madame, et ne sera qu'à vous ; 12
Et ce que mon amour doit à l'excès du vôtre 12
Ne deviendra jamais le partage d'une autre. 12
Bérénice
Le mien vous aurait fait déjà ces beaux serments, 12
1750 S'il n'eût craint d'inspirer de pareils sentiments : 12
Vous vous devez des fils, et des Césars à Rome, 12
Qui fassent à jamais revivre un si grand homme. 12
Tite
Pour revivre en des fils nous n'en mourons pas moins, 12
Et vous mettez ma gloire au-dessus de ces soins. 12
1755 Du levant au couchant, du More jusqu'au Scythe, 12
Les peuples vanteront et Bérénice et Tite ; 12
Et l'histoire à l'envi forcera l'avenir 12
D'en garder à jamais l'illustre souvenir. 12
Prince, après mon trépas soyez sûr de l'empire ; 12
1760 Prenez-y part en frère, attendant que j'expire. 12
Allons voir Domitie, et la fléchir pour vous. 12
Le premier rang dans Rome est pour elle assez doux ; 12
Et je vais lui jurer qu'à moins que je périsse, 12
Elle seule y tiendra celui d'impératrice. 12
Est-ce là vous l'ôter ?
Domitian
1765 Ah ! C'en est trop, seigneur.
Tite
Daignez contribuer à faire son bonheur, 12
Madame, et nous aider à mettre de cette âme 12
Toute l'ambition d'accord avec sa flamme. 12
Bérénice
Allons, seigneur : ma gloire en croîtra de moitié, 12
1770 Si je puis remporter chez moi son amitié. 12
Tite
Ainsi pour mon hymen la fête préparée 12
Vous rendra cette foi qu'on vous avait jurée, 12
Prince ; et ce jour, pour vous si noir, si rigoureux, 12
N'aura d'éclat ici que pour vous rendre heureux. 12
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