Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BAU_1/BAU96
Charles BAUDELAIRE
LES FLEURS DU MAL
1857-1861
TABLEAUX PARISIENS
XCII
Le Cygne
À Victor Hugo
I
Andromaque, je pense | à vous ! — Ce petit fleuve, 6+6 a
Pauvre et triste miroir | où jadis resplendit 6+6 b
L’immense majesté | de vos douleurs de veuve, 6+6 a
Ce Simoïs menteur | qui par vos pleurs grandit, 6+6 b
5 A fécondé soudain | ma mémoire fertile, 6+6 a
Comme je traversais | le nouveau Carrousel. 6+6 b
— Le vieux Paris n’est plus | (la forme d’une ville 6+6 a
Change plus vite, hélas ! | que le cœur d’un mortel) ; 6+6 b
Je ne vois qu’en esprit | tout ce camp de baraques, 6+6 a
10 Ces tas de chapiteaux | ébauchés et de fûts, 6+6 b
Les herbes, les gros blocs | verdis par l’eau des flaques, 6+6 a
Et, brillant aux carreaux, | le bric-à-brac confus. 6+6 b
Là s’étalait jadis | une ménagerie ; 6+6 a
Là je vis un matin, | à l’heure où sous les cieux 6+6 b
15 Clairs et froids le Travail | s’éveille, où la voirie 6+6 a
Pousse un sombre ouragan | dans l’air silencieux, 6+6 b
Un cygne qui s’était | évadé de sa cage, 6+6 a
Et, de ses pieds palmés | frottant le pavé sec, 6+6 b
Sur le sol raboteux | traînait son blanc plumage. 6+6 a
20 Près d’un ruisseau sans eau | la bête ouvrant le bec 6+6 b
Baignait nerveusement | ses ailes dans la poudre, 6+6 a
Et disait, le cœur plein | de son beau lac natal : 6+6 b
« Eau, quand donc pleuvras-tu ? | quand tonneras-tu, foudre ? » 6+6 a
Je vois ce malheureux, | mythe étrange et fatal, 6+6 b
25 Vers le ciel quelquefois, | comme l’homme d’Ovide, 6+6 a
Vers le ciel ironique | et cruellement bleu, 6+6 b
Sur son cou convulsif | tendant sa tête avide, 6+6 a
Comme s’il adressait | des reproches à Dieu ! 6+6 b
II
Paris change ! mais rien | dans ma mélancolie 6+6 a
30 N’a bougé ! palais neufs, | échafaudages, blocs, 6+6 b
Vieux faubourgs, tout pour moi | devient allégorie, 6+6 a
Et mes chers souvenirs | sont plus lourds que des rocs. 6+6 b
Aussi devant ce Louvre | une image m’opprime : 6+6 a
Je pense à mon grand cygne, | avec ses gestes fous, 6+6 b
35 Comme les exilés, | ridicule et sublime, 6+6 a
Et rongé d’un désir | sans trêve ! et puis à vous, 6+6 b
Andromaque, des bras | d’un grand époux tombée, 6+6 a
Vil bétail, sous la main | du superbe Pyrrhus, 6+6 b
Auprès d’un tombeau vide | en extase courbée ; 6+6 a
40 Veuve d’Hector, hélas ! | et femme d’Hélénus ! 6+6 b
Je pense à la négresse, | amaigrie et phtisique, 6+6 a
Piétinant dans la boue, | et cherchant, l’œil hagard, 6+6 b
Les cocotiers absents | de la superbe Afrique 6+6 a
Derrière la muraille | immense du brouillard ; 6+6 b
45 À quiconque a perdu | ce qui ne se retrouve 6+6 a
Jamais ! jamais ! à ceux | qui s’abreuvent de pleurs 6+6 b
Et tettent la Douleur | comme une bonne louve ! 6+6 a
Aux maigres orphelins | séchant comme des fleurs ! 6+6 b
Ainsi dans la forêt | où mon esprit s’exile 6+6 a
50 Un vieux Souvenir sonne | à plein souffle du cor ! 6+6 b
Je pense aux matelots | oubliés dans une île, 6+6 a
Aux captifs, aux vaincus ! |… à bien d’autres encor ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université