Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BAU_1/BAU2
Charles BAUDELAIRE
LES FLEURS DU MAL
1857-1861
SPLEEN ET IDÉAL
I
Bénédiction
Lorsque, par un décret | des puissances suprêmes, 6+6 a
Le Poëte apparaît | en ce monde ennuyé, 6+6 b
Sa mère épouvantée | et pleine de blasphèmes 6+6 a
Crispe ses poings vers Dieu, | qui la prend en pitié : 6+6 b
5 « — Ah ! que n’ai-je mis bas | tout un nœud de vipères, 6+6 a
Plutôt que de nourrir | cette dérision ! 6+6 b
Maudite soit la nuit | aux plaisirs éphémères 6+6 a
Où mon ventre a conçu | mon expiation ! 6+6 b
Puisque tu m’as choisie | entre toutes les femmes 6+6 a
10 Pour être le dégoût | de mon triste mari, 6+6 b
Et que je ne puis pas | rejeter dans les flammes, 6+6 a
Comme un billet d’amour, | ce monstre rabougri, 6+6 b
Je ferai rejaillir | ta haine qui m’accable 6+6 a
Sur l’instrument maudit | de tes méchancetés, 6+6 b
15 Et je tordrai si bien | cet arbre misérable, 6+6 a
Qu’il ne pourra pousser | ses boutons empestés ! » 6+6 b
Elle ravale ainsi | l’écume de sa haine, 6+6 a
Et, ne comprenant pas | les desseins éternels, 6+6 b
Elle-même prépare | au fond de la Géhenne 6+6 a
20 Les bûchers consacrés | aux crimes maternels. 6+6 b
Pourtant, sous la tutelle | invisible d’un Ange, 6+6 a
L’Enfant déshérité | s’enivre de soleil, 6+6 b
Et dans tout ce qu’il boit | et dans tout ce qu’il mange 6+6 a
Retrouve l’ambroisie | et le nectar vermeil. 6+6 b
25 Il joue avec le vent, | cause avec le nuage 6+6 a
Et s’enivre en chantant | du chemin de la croix ; 6+6 b
Et l’Esprit qui le suit | dans son pèlerinage 6+6 a
Pleure de le voir gai | comme un oiseau des bois. 6+6 b
Tous ceux qu’il veut aimer | l’observent avec crainte, 6+6 a
30 Ou bien, s’enhardissant | de sa tranquillité, 6+6 b
Cherchent à qui saura | lui tirer une plainte, 6+6 a
Et font sur lui l’essai | de leur férocité. 6+6 b
Dans le pain et le vin | destinés à sa bouche 6+6 a
Ils mêlent de la cendre | avec d’impurs crachats ; 6+6 b
35 Avec hypocrisie | ils jettent ce qu’il touche, 6+6 a
Et s’accusent d’avoir | mis leurs pieds dans ses pas. 6+6 b
Sa femme va criant | sur les places publiques : 6+6 a
« — Puisqu’il me trouve assez | belle pour m’adorer, 6+6 b
Je ferai le métier | des idoles antiques, 6+6 a
40 Et comme elles je veux | me faire redorer ; 6+6 b
Et je me soûlerai | de nard, d’encens, de myrrhe, 6+6 a
De génuflexions, | de viandes et de vins, 6+6 b
Pour savoir si je puis | dans un cœur qui m’admire 6+6 a
Usurper en riant | les hommages divins ! 6+6 b
45 Et, quand je m’ennuîrai | de ces farces impies, 6+6 a
Je poserai sur lui | ma frêle et forte main ; 6+6 b
Et mes ongles, pareils | aux ongles des harpies, 6+6 a
Sauront jusqu’à son cœur | se frayer un chemin. 6+6 b
Comme un tout jeune oiseau | qui tremble et qui palpite, 6+6 a
50 J’arracherai ce cœur | tout rouge de son sein, 6+6 b
Et, pour rassasier | ma bête favorite, 6+6 a
Je le lui jetterai | par terre avec dédain ! » 6+6 b
Vers le Ciel, où son œil | voit un trône splendide, 6+6 a
Le Poëte serein | lève ses bras pieux, 6+6 b
55 Et les vastes éclairs | de son esprit lucide 6+6 a
Lui dérobent l’aspect | des peuples furieux : 6+6 b
« — Soyez béni, mon Dieu, | qui donnez la souffrance 6+6 a
Comme un divin remède | à nos impuretés 6+6 b
Et comme la meilleure | et la plus pure essence 6+6 a
60 Qui prépare les forts | aux saintes voluptés ! 6+6 b
Je sais que vous gardez | une place au Poëte 6+6 a
Dans les rangs bienheureux | des saintes Légions, 6+6 b
Et que vous l’invitez | à l’éternelle fête 6+6 a
Des Trônes, des Vertus, | des Dominations. 6+6 b
65 Je sais que la douleur | est la noblesse unique 6+6 a
Où ne mordront jamais | la terre et les enfers, 6+6 b
Et qu’il faut pour tresser | ma couronne mystique 6+6 a
Imposer tous les temps | et tous les univers. 6+6 b
Mais les bijoux perdus | de l’antique Palmyre, 6+6 a
70 Les métaux inconnus, | les perles de la mer, 6+6 b
Par votre main montés, | ne pourraient pas suffire 6+6 a
À ce beau diadème | éblouissant et clair ; 6+6 b
Car il ne sera fait | que de pure lumière, 6+6 a
Puisée au foyer saint | des rayons primitifs, 6+6 b
75 Et dont les yeux mortels, | dans leur splendeur entière, 6+6 a
Ne sont que des miroirs | obscurcis et plaintifs ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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