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BAU_1/BAU109
Charles BAUDELAIRE
LES FLEURS DU MAL
1857-1861
TABLEAUX PARISIENS
CV
Rêve parisien
À Constantin Guys.
I
De ce terrible paysage, 8 a
Que jamais œil mortel ne vit, 8 b
Ce matin encore l’image, 8 a
Vague et lointaine, me ravit. 8 b
5 Le sommeil est plein de miracles ! 8 a
Par un caprice singulier, 8 b
J’avais banni de ces spectacles 8 a
Le végétal irrégulier, 8 b
Et, peintre fier de mon génie, 8 a
10 Je savourais dans mon tableau 8 b
L’enivrante monotonie 8 a
Du métal, du marbre et de l’eau. 8 b
Babel d’escaliers et d’arcades, 8 a
C’était un palais infini, 8 b
15 Plein de bassins et de cascades 8 a
Tombant dans l’or mat ou bruni ; 8 b
Et des cataractes pesantes, 8 a
Comme des rideaux de cristal, 8 b
Se suspendaient, éblouissantes, 8 a
20 À des murailles de métal. 8 b
Non d’arbres, mais de colonnades 8 a
Les étangs dormants s’entouraient, 8 b
Où de gigantesques naïades, 8 a
Comme des femmes, se miraient. 8 b
25 Des nappes d’eau s’épanchaient, bleues, 8 a
Entre des quais roses et verts, 8 b
Pendant des millions de lieues, 8 a
Vers les confins de l’univers ; 8 b
C’étaient des pierres inouïes 8 a
30 Et des flots magiques ; c’étaient 8 b
D’immenses glaces éblouies 8 a
Par tout ce qu’elles reflétaient ! 8 b
Insouciants et taciturnes, 8 a
Des Ganges, dans le firmament, 8 b
35 Versaient le trésor de leurs urnes 8 a
Dans des gouffres de diamant. 8 b
Architecte de mes féeries, 8 a
Je faisais, à ma volonté, 8 b
Sous un tunnel de pierreries 8 a
40 Passer un océan dompté ; 8 b
Et tout, même la couleur noire, 8 a
Semblait fourbi, clair, irisé ; 8 b
Le liquide enchâssait sa gloire 8 a
Dans le rayon cristallisé. 8 b
45 Nul astre d’ailleurs, nuls vestiges 8 a
De soleil, même au bas du ciel, 8 b
Pour illuminer ces prodiges, 8 a
Qui brillaient d’un feu personnel ! 8 b
Et sur ces mouvantes merveilles 8 a
50 Planait (terrible nouveauté ! 8 b
Tout pour l’œil, rien pour les oreilles !) 8 a
Un silence d’éternité. 8 b
II
En rouvrant mes yeux pleins de flamme 8 a
J’ai vu l’horreur de mon taudis, 8 b
55 Et senti, rentrant dans mon âme, 8 a
La pointe des soucis maudits ; 8 b
La pendule aux accents funèbres 8 a
Sonnait brutalement midi, 8 b
Et le ciel versait des ténèbres 8 a
60 Sur ce triste monde engourdi. 8 b
mètre profil métrique : 8
forme globale type : suite périodique
schéma : 15(abab)
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