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Charles BAUDELAIRE
LES FLEURS DU MAL
1857-1861
TABLEAUX PARISIENS
C
Danse macabre
À Ernest Christophe.
Fière, autant qu’un vivant, de sa noble stature, 6+6 a
Avec son gros bouquet, son mouchoir et ses gants, 6+6 b
Elle a la nonchalance et la désinvolture 6+6 a
D’une coquette maigre aux airs extravagants. 6+6 b
5 Vit-on jamais au bal une taille plus mince ? 6+6 a
Sa robe exagérée, en sa royale ampleur, 6+6 b
S’écroule abondamment sur un pied sec que pince 6+6 a
Un soulier pomponné, joli comme une fleur. 6+6 b
La ruche qui se joue au bord des clavicules, 6+6 a
10 Comme un ruisseau lascif qui se frotte au rocher, 6+6 b
Défend pudiquement des lazzi ridicules 6+6 a
Les funèbres appas qu’elle tient à cacher. 6+6 b
Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres, 6+6 a
Et son crâne, de fleurs artistement coiffé, 6+6 b
15 Oscille mollement sur ses frêles vertèbres. 6+6 a
— Ô charme d’un néant follement attifé ! 6+6 b
Aucuns t’appelleront une caricature, 6+6 a
Qui ne comprennent pas, amants ivres de chair, 6+6 b
L’élégance sans nom de l’humaine armature. 6+6 a
20 Tu réponds, grand squelette, à mon goût le plus cher ! 6+6 b
Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace, 6+6 a
La fête de la Vie ? ou quelque vieux désir, 6+6 b
Éperonnant encor ta vivante carcasse, 6+6 a
Te pousse-t-il, crédule, au sabbat du Plaisir ? 6+6 b
25 Au chant des violons, aux flammes des bougies, 6+6 a
Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur, 6+6 b
Et viens-tu demander au torrent des orgies 6+6 a
De rafraîchir l’enfer allumé dans ton cœur ? 6+6 b
Inépuisable puits de sottise et de fautes ! 6+6 a
30 De l’antique douleur éternel alambic ! 6+6 b
À travers le treillis recourbé de tes côtes 6+6 a
Je vois, errant encor, l’insatiable aspic. 6+6 b
Pour dire vrai, je crains que ta coquetterie 6+6 a
Ne trouve pas un prix digne de ses efforts ; 6+6 b
35 Qui, de ces cœurs mortels, entend la raillerie ? 6+6 a
Les charmes de l’horreur n’enivrent que les forts ! 6+6 b
Le gouffre de tes yeux, plein d’horribles pensées, 6+6 a
Exhale le vertige, et les danseurs prudents 6+6 b
Ne contempleront pas sans d’amères nausées 6+6 a
40 Le sourire éternel de tes trente-deux dents. 6+6 b
Pourtant, qui n’a serré dans ses bras un squelette, 6+6 a
Et qui ne s’est nourri des choses du tombeau ? 6+6 b
Qu’importe le parfum, l’habit ou la toilette ? 6+6 a
Qui fait le dégoûté montre qu’il se croit beau. 6+6 b
45 Bayadère sans nez, irrésistible gouge, 6+6 a
Dis donc à ces danseurs qui font les offusqués : 6+6 b
« Fiers mignons, malgré l’art des poudres et du rouge, 6+6 a
Vous sentez tous la mort ! Ô squelettes musqués, 6+6 b
Antinoüs flétris, dandys à face glabre, 6+6 a
50 Cadavres vernissés, lovelaces chenus, 6+6 b
Le branle universel de la danse macabre 6+6 a
Vous entraîne en des lieux qui ne sont pas connus ! 6+6 b
Des quais froids de la Seine aux bords brûlants du Gange, 6+6 a
Le troupeau mortel saute et se pâme, sans voir 6+6 b
55 Dans un trou du plafond la trompette de l’Ange 6+6 a
Sinistrement béante ainsi qu’un tromblon noir 6+6 b
En tout climat, sous ton soleil, la Mort t’admire 6−6 a
En tes contorsions, risible Humanité, 6+6 b
Et souvent, comme toi, se parfumant de myrrhe, 6+6 a
60 Mêle son ironie à ton insanité ! » 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
forme globale type : suite périodique
schéma : 15(abab)
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