IX |
LES VAINQUEURS |
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Les vainqueurs sont les fils de la grande Allemagne, |
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Héros dignes des preux du temps de Charlemagne, |
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Illustres descendants des chevaliers teutons, |
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Ces rivaux des Gaulois et des anciens Bretons. |
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Leur auguste monarque est un vieillard fragile, |
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Qui joue au Josué, malgré son évangile. |
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Car parfois ce grand prince et ce roi paternel |
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S'en va, le casque au front, pour servir l’Éternel ! |
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Il croit exterminer de vrais Amalécites, |
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Ou bien des Philistins, sur l'ordre des lévites. |
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Les Français sont battus ; dès qu'il les culbuta, |
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Vite un pieux message à la reine Augusta !!! |
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Modère-toi, vainqueur ! Où donc est ta clémence ? |
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Ignores-tu, grand roi, les malheurs de la France ? |
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Ce pauvre peuple, hélas ! trop longtemps opprimé, |
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Sous un sabre rougi, n'est-il pas décimé ? |
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Ah ! devant tes succès, ta valeur trop Vantée, |
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La génération recule épouvantée. |
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Devant chaque cité que ta foudre brûla, |
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On put se souvenir des hordes d'Attila ! |
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O grand roi, grand monarque, il faudrait que tu vinsses |
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Parcourir aujourd'hui tes plus belles provinces. |
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Quitte donc ton château, Versailles, les lambris : |
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Un grand spectacle attend tes regards attendris. |
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Tout le long du chemin, et les pieds dans la neige, |
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Des veuves par milliers préparent ton cortège. |
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Tu verras leurs enfants amaigris par la faim ; |
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Tous crîront vers ton char : « Du pain ! du pain ! du pain ! » |
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Viens donc accompagné de ton premier ministre ; |
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Qu'il repaisse ses yeux ! — C'est lui, l'homme sinistre ! |
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Il est encor couvert du sang du Danemarck, |
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L'ambitieux cruel, le comte de Bismarck ! — |
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Nouveau Machiavel, ô maître en argutie, |
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Tu recueilles les fruits de ta diplomatie ! |
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Allemands et Français s'égorgent sans pitié ; |
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Mais à toi d'applaudir à leur inimitié ! |
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Car tu veux restaurer l'empire germanique, |
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Et pour le marche-pied d'un trône tyrannique, |
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Il faut une hétacombe, une mare de sang, |
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D'où monte l'empereur livide et frémissant ! |
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Bismarck ! — Quand à Sédan, après une victoire |
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Inespérée, immense, unique dans l'histoire, |
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On vit alors joyeux, au ciel levant les mains |
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Et même s'embrassant, les bons soldats germains ; |
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Oui, quand dans les transports d'une indicible ivresse, |
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Ils dansaient, ils chantaient dans leur folle allégresse ; |
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Quand là des aumôniers montés sur des fourgons, |
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A tous les fantassins, comme à tous les dragons, |
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Disaient : « Nos plus doux chants, la campagne est finie ; |
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« Nous avons des lauriers, maintenant l'harmonie ! |
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« Tous nous pourrons bientôt rentrer dans nos maisons ; |
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« Soldats, à Dieu nos cœurs ! à Lui nos oraisons ! » |
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Alors sur son cheval passa l'homme sinistre, |
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Le chancelier du roi, son mentor, son ministre. |
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« Braves guerriers, » dit-il, « je suis content de vous ; |
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« Pourtant vous n'avez pas apaisé mon courroux. |
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« Nous porterons ailleurs la terreur, l'épouvante : |
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« Que la France à vos pieds se débatte sanglante ! |
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« En avant, mes amis, courage, mes enfants ; |
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« Croyez-moi, jusqu'au bout vous serez triomphants ! » |
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Sous les murs de Sédan, la brillante épopée |
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Devait se terminer. Mais levant son épée, |
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Dominant les soldats, Bismarck a crié : Non ! |
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Et de Moltke a rendu la parole au canon. |
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Et l'on n'a pas crié tout haut en Allemagne : |
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Rentre donc au fourreau, glaive de Charlemagne ! |
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C'est assez de lauriers, c'est assez de combats ! |
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Vous tuez nos enfants ; nous ne le voulons pas ! |
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Un peuple est-il donc fait pour des rois, pour des princes. |
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Qui répandent le deuil dans toutes les provinces ? |
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Et s'il proteste, enfin, sera-t-il impuissant ? |
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Ce qui coule là-bas ; mais n'est-ce pas son sang ? |
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Voyons les grands rêveurs, les nuageux poètes, |
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Vous faudrait-il aussi de nouvelles conquêtes ? |
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La gloire militaire et son masque trompeur : |
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Les plumets, les tambours, les barbes de sapeur, |
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Vous les faut-il aussi, professeurs de génie, |
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Philosophes, savants, fils de la Germanie ? ? ? |
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Eh quoi ! demandez-vous tous ces vieux oripeaux, |
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Ces grands jouets d'enfants et ces petits drapeaux ? |
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Oubliez-vous qu'il est une gloire plus belle, |
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Une grandeur plus pure, une palme immortelle ? |
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Celle de la sagesse et du riche savoir, |
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La palme du chrétien et du noble devoir ? |
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On délire à Berlin, — savante capitale, — |
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Devant tous les exploits de la force brutale. |
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Qu'il s'écroule aujourd'hui ce culte de Moloch, |
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Idole monstrueuse et qu'on taille en un bloc. |
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Vous, les fils de Luther, enfants de la Réforme, |
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Protestez, protestez contre ce Dieu difforme. |
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Ce Dieu de la mitraille et ce Dieu des combats, |
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Savants, restez debout, oh ! ne l'adorez pas !!! |
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