Métrique en Ligne
VRM_1/VRM8
corpus Pamela Puntel
Louis-Lucien VERMEIL
LES DOULEURS DE LA GUERRE
1870
VIII
PARIS
Paris, comme toujours, résume bien la France. 12
Aussi Paris n'est plus qu'une grande souffrance. 12
C'est la tête ou le cœur ; c'est l'incarnation 12
D'un peuple malheureux, la grande nation ! 12
5 O fameuse cité, brillante capitale, 12
Tu souriais naguère au luxe qui s'étale, 12
Tu voyais dans tes murs l'empereur et sa cour, 12
Les astres du pouvoir, les idoles du jour ! 12
O ville qui régnais sur toutes les provinces, 12
10 Qui donnais rendez-vous aux peuples comme aux princes, 12
Veuve de tant d'éclat, de gloire et de splendeur, 12
Tu surpasses encor ton ancienne grandeur, — 12
Délaissant les plaisirs, les théâtres, les fêtes, 12
Pour un suprême effort maintenant tu t'apprêtes ! 12
15 N'es-tu pas, ô Paris, le dernier boulevard 12
Où la France a planté son dernier étendard ? 12
Faut-il s'abandonner à la douce espérance ? 12
Croyez-vous qu'à Paris se relève la France ? 12
Paris est bien léger ! Oh, peuple de badauds 12
20 Qui courent sur les ponts voir passer des radeaux ! 12
Peuple de niais, de sots qu'un saltimbanque amuse, 12
Ou qui reste ébahi devant la cornemuse ! 12
Peuple ignorant qui crie : « à Berlin ! à Berlin ! » 12
Il lui faut des grelots : drelin, drelin, drelin ! 12
25 Il lui faut des hochets ou la fanfaronnade, 12
Des tours de passe passe à la noix de muscade ! 12
Il lui faut la musique, il lui faut les tambours, 12
Du tapage et du bruit, ou bien… des calembours ! 12
Que ce peuple est enfant, que ce peuple est frivole ! 12
30 Un rien peut le distraire, une mouche qui vole ! 12
Il court au vaudeville, il court à l'opéra, — 12
Ensuite c'est l'émeute et j'entends : « Çà ira ! » 12
Un jour on brise un trône et cela sans réplique, 12
C'était le bon plaisir de vivre en république ! 12
35 Puis on s'incline après devant un empereur, 12
Et de la république on parle avec horreur ! 12
L'esprit parisien se plaît aux pirouettes ; 12
Et tourne à tous les vents comme les girouettes ; 12
On s'arme d'un fusil, on l'on monte en ballon ; 12
40 Mais sans théâtre, enfin, on trouve le temps long ! 12
Vous voulez des acteurs, — je sais qu'on en réclame, — 12
Est-ce la comédie, ou bien est-ce le drame ? 12
Voyons, que voulez-vous ? — Vous n'en savez trop rien, 12
Pourtant, j'entends gronder le fort Valérien ! — 12
45 De la Valeur française, oh ! personne ne doute. 12
Vous saurez, s'il le faut, mourir sur la redoute ! 12
Mais peuple versatile, eussiez-vous des succès, 12
Ils n'empêcheront pas que vous soyez Français ; — 12
C'est-à-dire inconstants, sans règle, sans principe, 12
50 Sans respect du pouvoir, — témoin Louis-Philippe ! 12
Les éléments de l'ordre et de la liberté, 12
Où sont-ils donc chez vous ? Et la moralité ? 12
Quoi ! vous vous insurgez prenant l'Hôtel-de-Ville ! 12
Quoi ! devant l'ennemi, c'est la guerre civile !!! 12
55 Vous acclamiez hier le général Trochu, 12
Aujourd'hui pour plusieurs il est déjà déchu : 12
Un parti l'emprisonne et l'autre le délivre. 12
Ah ! ne dirait-on pas que tout ce peuple est ivre ! 12
Et sa lanterne en main, l'illustre Rochefort 12
60 Cherche en vain dans Paris un homme1. Quel effort ! 12
On veut la république, on veut la barricade, 12
Et le pouvoir s'en va de cascade en cascade. 12
Paris fait le héros ; il mange du cheval : 12
Paris, c'est le carême et c'est le carnaval !… 12
65 Vous ne croyez donc pas ? — Quoi ! vous êtes sceptique ? — 12
Je voudrais croire, hélas ! — Mais la vertu civique, 12
Français, n'abonde pas dans votre grand Paris ! 12
Vous pouvez résister, mais Paris sera pris. 12
Sans doute, il est encor des âmes généreuses, 12
70 Prêtes au sacrifice, ardentes, valeureuses. 12
Mais comment triompher de ces fléaux affreux 12
Conjurés aujourd'hui pour s'abattre sur eux ? 12
Des ennemis partout : dehors et dans la place ! 12
L'ennemi du dedans, mais c'est la populace, 12
75 C'est, hélas ! l'anarchie et toutes ses fureurs, 12
La discorde aux cent bras, le crime et ses horreurs ! 12
Le danger du dedans, c'est l'écume du bouge 12
Qui veut tous les drapeaux : le blanc, le noir, le rouge. 12
Que de maux à la fois sur la grande cité ! 12
80 Puis le bombardement, oh ! quelle atrocité !!! 12
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Oui, l'on trouve à Paris de ces cœurs héroïques 12
Qui savent pratiquer tous les devoirs civiques, 12
Et là, loin du commun des niais et des badauds, 12
Ils portent dignement leurs douloureux fardeaux ! 12
85 Hélas ! que devenir dans cette dure enceinte, 12
Où de poignants malheurs on sent la rude étreinte ? 12
L'on souffre et l'on s'immole en tournant ses regards 12
Vers Celui que l'on sait plus fort que les remparts ! 12
Aussi, que je vous plains, nobles cœurs, belles âmes ! 12
90 L'amour de la patrie allume en vous ses flammes ; 12
Ah ! si vous succombez, gloire à votre trépas ! 12
Vous serez des martyrs que l'on n'oublîra pas ! 12
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Paris est assiégé déjà par la famine. 12
Quand le chagrin nous ronge et quand la faim nous mine, 12
95 A quoi sert donc vraiment l'audace et la fierté 12
Il faudra, tôt ou tard, perdre sa liberté : 12
Belle cité, Paris, tu chancelles, tu tombes, 12
Le gouffre est là béant ; ce sont tes catacombes ! 12
Tu tombes, mais bientôt on te verra grandir ; 12
100 Car d'un nouvel éclat tu sauras resplendir. 12
« Un homme » selon ses idées, son idéal à lui, cela va sans dire ;
car l'auteur montre bien dans la suite qu'il estime que Paris renferme
des hommes dignes de notre sympathie et de notre admiration.
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