V |
LA SENTINELLE |
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Près d'un arbre noueux est une sentinelle. |
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Elle pense au pays, voit son toit, sa tonnelle, |
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Le clocher du village où frappe sur l'airain |
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Le temps qui coule en paix sur les rives du Rhin. |
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Elle Voit tout distinct et comme dans un rêve : |
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Le beau fleuve rapide, et le pont, puis la grève, |
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Le jardin où le soir viennent causer ses sœurs, |
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Et le vieux père aussi qui cultive ses fleurs ! |
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Ah ! comment oublier les parents, la famille ? |
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Le berceau vert et frais de la jeune charmille, |
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Où l'enfant blond, joyeux, au visage narquois, |
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Montait en commandant sur son cheval de bois ! |
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Beau jeune homme à cette heure et bonne sentinelle, |
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Qui croit voir, en songeant, la maison paternelle ! |
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Enfant hier encore et soldat aujourd'hui, |
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Conrad pense aux absens, mais non pas sans ennui. |
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Il ne peut que songer, sentinelle perdue, |
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Sur son coursier fougueux dont l'oreille est tendue ! |
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Conrad est fiancé ; son cœur en ce moment |
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Est plein de son amour ; c'est un fidèle amant. — |
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« Qui vive ? halte-là ! » — Mais c'est la relevée. |
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Et Conrad rentre au camp, sa garde est achevée. |
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Il guerroie, il combat avec un noble élan, |
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Léger, il court, il vole, oh ! l'intrépide uhlan ! |
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Hélas ! trois jours après, sur le champ de bataille, |
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Un maraudeur eût fait une triste trouvaille, |
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Conrad était couché sur le bord d'un chemin, |
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Et là tenait encor sa Bible dans la main. |
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Sa Bible précieuse était restée ouverte ; |
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Il s'y trouvait aussi quelques brins d'herbe verte, |
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Une photographie et deux mots au crayon : |
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Suprême et doux adieu ! du cœur dernier rayon ! |
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Conrad mourut ainsi : sa dernière pensée |
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Fut pour son Dieu-Sauveur et pour sa fiancée !… |
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Et seul le vent pleurait, en passant sur les bois ; |
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On eût dit les sanglots d'une lugubre voix ! |
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