IV |
LA FOSSE ET L'AMBULANCE |
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Tuer, tuer toujours, c'est là toute la guerre ; |
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Mais tous ces morts, hélas ! il faut qu'on les enterre. |
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Aussi, loin du bivac, on creusait, dans un champ, |
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Un énorme fossé. Dans ce lieu point de chant, |
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Point de cri, non pas un ; mais un morne silence. |
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Au sentier, près d'ici, se trouve une ambulance. |
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On creuse le fossé bien large et bien profond ; |
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Les soldats travailleurs disparaissent au fond. |
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Serviteurs de la mort, ils vont à coups de bèche |
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Fouillant, sans s'arrêter, dans une terre sèche. |
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Quel immense sépulcre ! — Enfin, l'on dit : « Assez, |
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Sortez les fossoyeurs. » — Ils étaient harassés ! |
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O calme de la nuit, calme de là nature, |
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Tu seras le témoin de cette sépulture. |
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Voici, sur des brancards on apporte les morts ; |
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Et puis l'un après l'autre on dépouille les corps, |
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Avant de les coucher dans la fosse commune ! |
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On n'avait pour clarté que celle de la lune ; |
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Car autant rien vraiment que les rayons blafards |
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D'une lanterne ou deux pour guider nos regards ! |
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L'aumônier répandait tout son cœur en prière, |
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Il essuyait parfois le bord de sa paupière. |
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On achevait la tâche ; il ne restait qu'un corps : |
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C'était un officier tombé parmi les morts. |
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A son tour, on allait le ranger dans la fosse, |
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Quand soudain l'officier, — oh ! mon Dieu, c'est atroce ! — |
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Se soulevant un peu, dit d'une faible voix : |
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« Attendez, pas encore1 ! » |
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« Attendez, pas encore1 ! » Est-ce la seule fois |
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Qu'un fossoyeur se trompe ? |
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Qu'un fossoyeur se trompe ? Évanoui, tout blême, |
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Plus d'un n'a pu parler dans ce moment suprême ! |
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Faut-il donc les laisser tous ces monceaux humains |
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Pourrir sur les coteaux, pourrir sur les chemins ? |
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Faut-il donc les laisser tous là sans sépulture, |
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La peste des vivants, l'effroi de la nature ? |
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Quand on est si pressé pour enterrer les morts, |
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Qui se trompe une fois n'a pas trop de remords ?… |
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Oui, ce sont là, grand Dieu ! les horreurs de la guerre ! |
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Mon cœur en est brisé ; mon âme se lacère ; |
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D'ailleurs on sait encor que, la nuit, des pillards, — |
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On en surprit, je crois, qui portaient des brassards, — |
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Des pillards, des voleurs, sur les champs de bataille, |
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Parcourent les sillons, les sentiers, la broussaille ; |
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Ils dépouillent les morts, achèvent les mourants, |
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Et dans l'ombre des bois cachent leurs pas errants ! |
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Près de ce champ funèbre, on trouve l'ambulance, |
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Au-dessus l'étendard de la croix se balance. |
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Saint asile de paix, au milieu des combats, |
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Refuge des blessés qu'on arrache au trépas ! |
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Et là, les infirmiers, troupe sûre et fidèle, |
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Prodiguent aux soldats tous leurs soins, tout leur zèle. |
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Qu'il est beau cet asile, — œuvre de charité, — |
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Au pied de cette croix et par elle abrité ! |
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C'est par là seulement que le siècle s'honore, |
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C'est par là qu'il grandit et doit grandir encore ! |
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Et puis, sous l'étendard de cette sainte croix, |
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Partout, femmes de cœur, nombreuses je vous vois |
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Veiller près des chevets, et de vos mains tremblantes |
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Assister les mourants, comme d'humbles servantes. |
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Ah ! quand pour tous les maux vous avez des douceurs, |
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O femmes ! de Jésus vous êtes bien les sœurs ! |
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