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VOL_4/VOL89
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE XXXVII
1732
A MADAME DE FONTAINE-MARTEL
Ô très-singulière Martel, 8
J'ai pour vous estime profonde : 8
C'est dans votre petit hôtel, 8
C'est sur vos soupers que je fonde 8
5 Mon plaisir, le seul bien réel 8
Qu'un honnête homme ait en ce monde. 8
Il est vrai qu'un peu je vous gronde ; 8
Mais, malgré cette liberté, 8
Mon cœur vous trouve, en vérité, 8
10 Femme à peu de femmes seconde ; 8
Car sous vos cornettes de nuit, 8
Sans préjugés et sans faiblesse, 8
Vous logez esprit qui séduit, 8
Et qui tient fort à la sagesse. 8
15 Or, votre sagesse n'est pas 8
Cette pointilleuse harpie 8
Qui raisonne sur tous les cas, 8
Et qui, triste sœur de l'envie, 8
Ouvrant un gosier édenté, 8
20 Contre la tendre volupté 8
Toujours prêche, argumente et crie ; 8
Mais celle qui si doucement, 8
Sans efforts et sans industrie, 8
Se bornant toute au sentiment, 8
25 Sait jusques au dernier moment 8
Répandre un charme sur la vie. 8
Voyez-vous pas de tous côtés 8
De très-décrépites beautés, 8
Pleurant de n'être plus aimables, 8
30 Dans leur besoin de passion 8
Ne pouvant rester raisonnables, 8
S'affoler de dévotion, 8
Et rechercher l'ambition 8
D'être bégueules respectables ? 8
35 Bien loin de cette triste erreur, 8
Vous avez, au lieu de vigiles, 8
Des soupers longs, gais et tranquilles ; 8
Des vers aimables et faciles, 8
Au lieu des fatras inutiles 8
40 De Quesnel et de Letourneur ; 8
Voltaire, au lieu d'un directeur ; 8
Et, pour mieux chasser toute angoisse, 8
Au curé préférant Campra, 8
Vous avez loge à l'opéra 8
45 Au lieu de banc à la paroisse ; 8
Et ce qui rend mon sort plus doux, 8
C'est que ma maîtresse chez vous, 8
La liberté, se voit logée ; 8
Cette liberté mitigée, 8
50 A l'œil ouvert, au front serein, 8
À la démarche dégagée, 8
N'étant ni prude, ni catin, 8
Décente, et jamais arrangée, 8
Souriant d'un souris badin 8
55 À ces paroles chatouilleuses 8
Qui font baisser un œil malin 8
À mesdames les précieuses. 8
C'est là qu'on trouve la gaîté, 8
Cette sœur de la liberté, 8
60 Jamais aigre dans la satire, 8
Toujours vive dans les bons mots, 8
Se moquant quelquefois des sots, 8
Et très-souvent, mais à propos, 8
Permettant au sage de rire. 8
65 Que le ciel bénisse le cours 8
D'un sort aussi doux que le vôtre ! 8
Martel, l'automne de vos jours 8
Vaut mieux que le printemps d'une autre. 8
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