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VOL_4/VOL85
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE XXXIII
CONNUE SOUS LE NOM DES VOUS ET DES TU
Philis, qu'est devenu ce temps 8
Où dans un fiacre promenée, 8
Sans laquais, sans ajustements, 8
De tes grâces seules ornée, 8
5 Contente d'un mauvais soupé 8
Que tu changeais en ambrosie, 8
Tu te livrais, dans ta folie, 8
À l'amant heureux et trompé 8
Qui t'avait consacré sa vie ? 8
10 Le ciel ne te donnait alors, 8
Pour tout rang et pour tous trésors, 8
Que les agréments de ton âge, 8
Un cœur tendre, un esprit volage, 8
Un sein d'albâtre, et de beaux yeux. 8
15 Avec tant d'attraits précieux, 8
Hélas ! Qui n'eût été friponne ? 8
Tu le fus, objet gracieux ; 8
Et (que l'amour me le pardonne ! ) 8
Tu sais que je t'en aimais mieux. 8
20 Ah, madame ! Que votre vie, 8
D'honneurs aujourd'hui si remplie, 8
Diffère de ces doux instants ! 8
Ce large suisse à cheveux blancs, 8
Qui ment sans cesse à votre porte, 8
25 Philis, est l'image du temps : 8
On dirait qu'il chasse l'escorte 8
Des tendres amours et des ris ; 8
Sous vos magnifiques lambris 8
Ces enfants tremblent de paraître. 8
30 Hélas ! Je les ai vus jadis 8
Entrer chez toi par la fenêtre, 8
Et se jouer dans ton taudis. 8
Non, madame, tous ces tapis 8
Qu'a tissus la savonnerie, 8
35 Ceux que les persans ont ourdis, 8
Et toute votre orfévrerie, 8
Et ces plats si chers que Germain 8
A gravés de sa main divine, 8
Et ces cabinets où Martin 8
40 A surpassé l'art de la Chine ; 8
Vos vases japonais et blancs, 8
Toutes ces fragiles merveilles ; 8
Ces deux lustres de diamants 8
Qui pendent à vos deux oreilles ; 8
45 Ces riches carcans, ces colliers, 8
Et cette pompe enchanteresse, 8
Ne valent pas un des baisers 8
Que tu donnais dans ta jeunesse. 8
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