Métrique en Ligne
VOL_4/VOL63
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE XI
A SAMUEL BERNARD,
AU NOM DE MADAME DE FONTAINE-MARTEL
C'est mercredi que je soupai chez vous, 10
Et que, sortant des plaisirs de la table, 10
Bientôt couchée, un sommeil prompt et doux 10
Me fit présent d'un songe délectable. 10
5 Je rêvai donc qu'au manoir ténébreux 10
J'étais tombée, et que Pluton lui-même 10
Me menait voir les héros bienheureux, 10
Dans un séjour d'une beauté suprême. 10
Par escadrons ils étaient séparés : 10
10 L'un après l'autre il me les fit connaître. 10
Je vis d'abord modestement parés 10
Les opulents qui méritaient de l'être. 10
« Voilà, dit-il, les généreux amis ; 10
En petit nombre ils viennent me surprendre : 10
15 Entre leurs mains les biens ne semblaient mis 10
Que pour avoir le soin de les répandre. 10
Ici sont ceux dont les puissants ressorts, 10
Crédit immense, et sagesse profonde, 10
Ont soutenu l'état par des efforts 10
20 Qui leur livraient tous les trésors du monde. 10
Un peu plus loin, sur ces riants gazons, 10
Sont les héros pleins d'un heureux délire, 10
Qu'amour lui-même en toutes les saisons 10
Fit triompher dans son aimable empire. 10
25 Ce beau réduit, par préférence est fait 10
Pour les vieillards dont l'humeur gaie et tendre 10
Paraît encore avoir ses dents de lait, 10
Dont l'enjouement ne saurait se comprendre. 10
« D'un seul regard tu peux voir tout d'un coup 10
30 Le sort des bons, les vertus couronnées ; 10
Mais un mortel m'embarrasse beaucoup ; 10
Ainsi je veux redoubler ses années. 10
Chaque escadron le revendiquerait. 10
La jalousie au repos est funeste : 10
35 Venant ici, quel trouble il causerait ! 10
Il est là-haut très-heureux ; qu'il y reste. » 10
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