Métrique en Ligne
VOL_4/VOL57
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE V
1715
A MONSIEUR L'ABBÉ DE ***,
QUI PLEURAIT LA MORT DE SA MAÎTRESSE
Toi qui fus des plaisirs le délicat arbitre, 12
Tu languis, cher abbé ; je vois, malgré tes soins, 12
Que ton triple menton, l'honneur de ton chapitre, 12
Aura bientôt deux étages de moins. 10
5 Esclave malheureux du chagrin qui te dompte, 12
Tu fuis un repas qui t'attend ! 8
Tu jeûnes comme un pénitent ; 8
Pour un chanoine quelle honte ! 8
Quels maux si rigoureux peuvent donc t'accabler ? 12
10 Ta maîtresse n'est plus ; et, de ses yeux éprise, 12
Ton âme avec la sienne est prête à s'envoler ! 12
Que l'amour est constant dans un homme d'église ! 12
Et qu'un mondain saurait bien mieux se consoler ! 12
Je sais que ta fidèle amie 8
15 Te laissait prendre en liberté 8
De ces plaisirs qui font qu'en cette vie 10
On désire assez peu ceux de l'éternité : 12
Mais suivre au tombeau ce qu'on aime, 8
Ami, crois-moi, c'est un abus. 8
20 Quoi ! Pour quelques plaisirs perdus 8
Voudrais-tu te perdre toi-même ? 8
Ce qu'on perd en ce monde-ci, 8
Le retrouvera-t-on dans une nuit profonde ? 12
Des mystères de l'autre monde 8
25 On n'est que trop tôt éclairci. 8
Attends qu'à tes amis la mort te réunisse, 12
Et vis par amitié pour toi : 8
Mais vivre dans l'ennui, ne chanter qu'à l'office, 12
Ce n'est pas vivre, selon moi. 8
30 Quelques femmes toujours badines, 8
Quelques amis toujours joyeux, 8
Peu de vêpres, point de matines, 8
Une fille, en attendant mieux : 8
Voilà comme l'on doit sans cesse 8
35 Faire tête au sort irrité ; 8
Et la véritable sagesse 8
Est de savoir fuir la tristesse 8
Dans les bras de la volupté. 8
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