Métrique en Ligne
VOL_4/VOL159
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE CVII
1770
À MONSIEUR PIGALLE
Cher Phidias, votre statue 8
Me fait mille fois trop d'honneur ; 8
Mais quand votre main s'évertue 8
À sculpter votre serviteur, 8
5 Vous agacez l'esprit railleur 8
De certain peuple rimailleur, 8
Qui depuis si longtemps me hue. 8
L'ami Fréron, ce barbouilleur 8
D'écrits qu'on jette dans la rue, 8
10 Sourdement de sa main crochue 8
Mutilera votre labeur. 8
Attendez que le destructeur 8
Qui nous consume et qui nous tue, 8
Le temps, aidé de mon pasteur, 8
15 Ait d'un bras exterminateur 8
Enterré ma tête chenue. 8
Que ferez-vous d'un pauvre auteur 8
Dont la taille et le cou de grue, 8
Et la mine très-peu joufflue, 8
20 Feront rire le connaisseur ? 8
Sculptez-nous quelque beauté nue, 8
De qui la chair blanche et dodue 8
Séduise l'œil du spectateur, 8
Et qui dans son âme insinue 8
25 Ces doux désirs et cette ardeur 8
Dont Pygmalion le sculpteur, 8
Votre digne prédécesseur, 8
Brûla, si la fable en est crue. 8
Au marbre il sut donner un cœur, 8
30 Cinq sens, instruments du bonheur, 8
Une âme en ces sens répandue ; 8
Et, soudain fille devenue, 8
Cette fille resta pourvue 8
De doux appas que sa pudeur 8
35 Ne dérobait point à la vue : 8
Même elle fut plus dissolue 8
Que son père et son créateur. 8
Que cet exemple si flatteur 8
Par vos beaux soins se perpétue ! 8
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