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VOL_4/VOL124
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE LXXII
1747
À MONSIEUR LE COMTE ALGAROTTI,
QUI ÉTAIT ALORS À LA COUR DE SAXE,
ET QUE LE ROI DE POLOGNE AVAIT FAIT
SON CONSEILLER DE GUERRE
Enfant du Pinde et de Cythère, 8
Brillant et sage Algarotti, 8
À qui le ciel a départi 8
L'art d'aimer, d'écrire, et de plaire, 8
5 Et que, pour comble de bienfaits, 8
Un des meilleurs rois de la terre 8
A fait son conseiller de guerre 8
Dès qu'il a voulu vivre en paix ; 8
Dans vos palais de porcelaine, 8
10 Recevez ces frivoles sons, 8
Enfilés sans art et sans peine 8
Au charmant pays des pompons. 8
Ô Saxe ! Que nous vous aimons ! 8
Ô Saxe ! Que nous vous devons 8
15 D'amour et de reconnaissance ! 8
C'est de votre sein que sortit 8
Le héros qui venge la France, 8
Et la nymphe qui l'embellit. 8
Apprenez que cette dauphine, 8
20 Par ses grâces, par son esprit, 8
Ici chaque jour accomplit 8
Ce que votre muse divine 8
Dans ses lettres m'avait prédit. 8
Vous penserez que je l'ai vue, 8
25 Quand je vous en dis tant de bien, 8
Et que je l'ai même entendue : 8
Je vous jure qu'il n'en est rien, 8
Et que ma muse peu connue, 8
En vous répétant dans ces vers 8
30 Cette vérité toute nue, 8
N'est que l'écho de l'univers. 8
Une dauphine est entourée, 8
Et l'étiquette est son tourment. 8
J'ai laissé passer prudemment 8
35 Des paniers la foule titrée, 8
Qui remplit tout l'appartement 8
De sa bigarrure dorée. 8
Virgile était-il le premier 8
À la toilette de Livie ? 8
40 Il laissait passer Cornélie, 8
Les ducs et pairs, le chancelier, 8
Et les cordons bleus d'Italie, 8
Et s'amusait sur l'escalier 8
Avec Tibulle et Polymnie. 8
45 Mais à la fin j'aurai mon tour : 8
Les dieux ne me refusent guère ; 8
Je fais aux grâces chaque jour 8
Une très-dévote prière. 8
Je leur dis : « filles de l'amour, 8
50 Daignez, à ma muse discrète 8
Accordant un peu de faveur, 8
Me présenter à votre sœur 8
Quand vous irez à sa toilette. » 8
Que vous dirai-je maintenant 8
55 Du dauphin, et de cette affaire 8
De l'amour et du sacrement ? 8
Les dames d'honneur de Cythère 8
En pourraient parler dignement ; 8
Mais un profane doit se taire. 8
60 Sa cour dit qu'il s'occupe à faire 8
Une famille de héros, 8
Ainsi qu'ont fait très à propos 8
Son aïeul et son digne père. 8
Daignez pour moi remercier 8
65 Votre ministre magnifique ; 8
D'un fade éloge poétique 8
Je pourrais fort bien l'ennuyer ; 8
Mais je n'aime pas à louer ; 8
Et ces offrandes si chéries 8
70 Des belles et des potentats, 8
Gens tout nourris de flatteries, 8
Sont un bijou qui n'entre pas 8
Dans son baguier de pierreries. 8
Adieu : faites bien au saxon 8
75 Goûter les vers de l'Italie 8
Et les vérités de Newton ; 8
Et que votre muse polie 8
Parle encor sur un nouveau ton 8
De notre immortelle Émilie. 8
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