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VOL_4/VOL118
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE LXVI
1744
AU ROI DE PRUSSE
Du héros de la Germanie 8
Et du plus bel esprit des rois 8
Je n'ai reçu, depuis trois mois, 8
Ni beaux vers, ni prose polie ; 8
5 Ma muse en est en léthargie. 8
Je me réveille aux fiers accents 8
De l'Allemagne ranimée, 8
Aux fanfares de votre armée, 8
À vos tonnerres menaçants, 8
10 Qui se mêlent aux cris perçants 8
Des cent voix de la renommée. 8
Je vois de Berlin à Paris 8
Cette déesse vagabonde, 8
De Frédéric et de Louis 8
15 Porter les noms au bout du monde ; 8
Ces noms, que la gloire a tracés 8
Dans un cartouche de lumière ; 8
Ces noms, qui répondent assez 8
Du bonheur de l'Europe entière, 8
20 S'ils sont toujours entrelacés. 8
Quels seront les heureux poëtes, 8
Les chantres boursouflés des rois, 8
Qui pourront élever leurs voix, 8
Et parler de ce que vous faites ? 8
25 C'est à vous seul de vous chanter, 8
Vous qu'en vos mains j'ai vu porter 8
La lyre, et la lance d'Achille ; 8
Vous qui, rapide en votre style 8
Comme dans vos exploits divers, 8
30 Faites de la prose et des vers 8
Comme vous prenez une ville. 8
D'Horace heureux imitateur, 8
Sa gaîté, son esprit, sa grâce, 8
Ornent votre style enchanteur ; 8
35 Mais votre muse le surpasse 8
Dans un point cher à notre cœur : 8
L'empereur protégeait Horace, 8
Et vous protégez l'empereur. 8
Fils de Mars et de Calliope, 8
40 Et digne de ces deux grands noms, 8
Faites le destin de l'Europe, 8
Et daignez faire des chansons ; 8
Et quand Thémis avec Bellone 8
Par votre main raffermira 8
45 Des césars le funeste trône ; 8
Quand le hongrois cultivera, 8
À l'abri d'une paix profonde, 8
Du Tokai la vigne féconde ; 8
Quand partout son vin se boira, 8
50 Qu'en le buvant on chantera 8
Les pacificateurs du monde, 8
Mon prince à Berlin reviendra ; 8
Mon prince à son peuple qui l'aime 8
Libéralement donnera 8
55 Un nouvel et bel opéra, 8
Qu'il aura composé lui-même. 8
Chaque auteur vous applaudira ; 8
Car, tout envieux que nous sommes 8
Et du mérite et du grand nom, 8
60 Un poëte est toujours fort bon 8
À la tête de cent mille hommes. 8
Mais, croyez-moi, d'un tel secours 8
Vous n'avez pas besoin pour plaire ; 8
Fussiez-vous pauvre comme Homère, 8
65 Comme lui vous vivrez toujours. 8
Pardon, si ma plume légère, 8
Que souvent la vôtre enhardit, 8
Écrit toujours au bel esprit 8
Beaucoup plus qu'au roi qu'on révère. 8
70 Le nord, à vos sanglants progrès, 8
Vit des rois le plus formidable : 8
Moi, qui vous approchai de près, 8
Je n'y vis que le plus aimable. 8
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