Métrique en Ligne
VOL_4/VOL107
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE LV
1738
AU PRINCE ROYAL DE PRUSSE
AU NOM DE MADAME LA MARQUISE DU CHÂTELET,
A QUI IL AVAIT DEMANDÉ CE QU'ELLE FAISAIT À CIREY.
Un peu philosophe et bergère, 8
Dans le sein d'un riant séjour, 8
Loin des riens brillants de la cour, 8
Des intrigues du ministère, 8
5 Des inconstances de l'amour, 8
Des absurdités du vulgaire 8
Toujours sot et toujours trompé, 8
Et de la troupe mercenaire 8
Par qui ce vulgaire est dupé, 8
10 Je vis heureuse et solitaire ; 8
Non pas que mon esprit sévère 8
Haïsse par son caractère 8
Tous les humains également : 8
Il faut les fuir, c'est chose claire ; 8
15 Mais non pas tous, assurément. 8
Vivre seule dans sa tanière 8
Est un assez méchant parti ; 8
Et ce n'est qu'avec un ami 8
Que la solitude doit plaire. 8
20 Pour ami j'ai choisi Voltaire ; 8
Peut-être en feriez-vous ainsi. 8
Mes jours s'écoulent sans tristesse ; 8
Et, dans mon loisir studieux, 8
Je ne demandais rien aux dieux 8
25 Que quelque dose de sagesse, 8
Quand le plus aimable d'entre eux, 8
À qui nous érigeons un temple, 8
A, par ses vers doux et nombreux, 8
De la sagesse que je veux 8
30 Donné les leçons et l'exemple. 8
Frédéric est le nom sacré 8
De ce dieu charmant qui m'éclaire : 8
Que ne puis-je aller à mon gré 8
Dans l'Olympe où l'on le révère ! 8
35 Mais le chemin m'en est bouché. 8
Frédéric est un dieu caché, 8
Et c'est ce qui nous désespère. 8
Pour moi, nymphe de ces coteaux, 8
Et des prés si verts et si beaux, 8
40 Enrichis de l'eau qui les baise, 8
Soumise au fleuve de La Blaise, 8
Je reste parmi ses roseaux. 8
Mais vous, du séjour du tonnerre 8
Ne pourriez-vous descendre un peu ? 8
45 C'est bien la peine d'être dieu 8
Quand on ne vient pas sur la terre ! 8
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