Métrique en Ligne
VOL_4/VOL106
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE LIV
1738
AU PRINCE ROYAL DE PRUSSE
Vous ordonnez que je vous dise 8
Tout ce qu'à Cirey nous faisons : 8
Ne le voyez-vous pas sans qu'on vous en instruise ? 12
Vous êtes notre maître, et nous vous imitons : 12
5 Nous retenons de vous les plus belles leçons 12
De la sagesse d'épicure ; 8
Comme vous, nous sacrifions 8
À tous les arts, à la nature ; 8
Mais de fort loin nous vous suivons. 8
10 Ainsi, tandis qu'à l'aventure 8
Le dieu du jour lance un rayon 8
Au fond de quelque chambre obscure, 8
De ses traits la lumière pure 8
Y peint du plus vaste horizon 8
15 La perspective en miniature. 8
Une telle comparaison 8
Se sent un peu de la lecture 8
Et de Kircher et de Newton. 8
Par ce ton si philosophique 8
20 Qu'ose prendre ma faible voix, 8
Peut-être je gâte à la fois 8
La poésie et la physique. 8
Mais cette nouveauté me pique ; 8
Et du vieux code poétique 8
25 Je commence à braver les lois. 8
Qu'un autre, dans ses vers lyriques, 8
Depuis deux mille ans répétés, 8
Brode encor des fables antiques ; 8
Je veux de neuves vérités. 8
30 Divinités des bergeries, 8
Naïades des rives fleuries, 8
Satyres, qui dansez toujours, 8
Vieux enfants que l'on nomme amours, 8
Qui faites naître en nos prairies 8
35 De mauvais vers et de beaux jours, 8
Allez remplir les hémistiches 8
De ces vers pillés et postiches 8
Des rimailleurs suivant les cours. 8
D'une mesure cadencée 8
40 Je connais le charme enchanteur : 8
L'oreille est le chemin du cœur ; 8
L'harmonie et son bruit flatteur 8
Sont l'ornement de la pensée : 8
Mais je préfère, avec raison, 8
45 Les belles fautes du génie 8
À l'exacte et froide oraison 8
D'un puriste d'académie. 8
Jardins plantés en symétrie, 8
Arbres nains tirés au cordeau, 8
50 Celui qui vous mit au niveau 8
En vain s'applaudit, se récrie, 8
En voyant ce petit morceau : 8
Jardins, il faut que je vous fuie ; 8
Trop d'art me révolte et m'ennuie. 8
55 J'aime mieux ces vastes forêts : 8
La nature, libre et hardie, 8
Irrégulière dans ses traits, 8
S'accorde avec ma fantaisie. 8
Mais dans ce discours familier 8
60 En vain je crois étudier 8
Cette nature simple et belle ; 8
Je me sens plus irrégulier 8
Et beaucoup moins aimable qu'elle. 8
Accordez-moi votre pardon 8
65 Pour cette longue rapsodie ; 8
Je l'écrivis avec saillie, 8
Mais peu maître de ma raison, 8
Car j'étais auprès d'Émilie. 8
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