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VOL_2/VOL24
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
La Pucelle d'Orléans
1752
CHANT III
Argument
Description du palais de la sottise. Combat vers Orléans. Agnès se revêt de l'armure pour aller trouver son amant : elle est prise par les Anglais, et sa pudeur souffre beaucoup.
Ce n'est le tout d'avoir un grand courage, 10
Un coup d'œil ferme au milieu des combats, 10
D'être tranquille à l'aspect du carnage, 10
Et de conduire un monde de soldats ; 10
5 Car tout cela se voit en tous climats, 10
Et tour à tour ils ont cet avantage. 10
Qui me dira si nos ardents Français 10
Dans ce grand art, l'art affreux de la guerre, 10
Sont plus savants que l'intrépide Anglais ? 10
10 Si le Germain l'emporte sur l'Ibère ? 10
Tous ont vaincu, tous ont été défaits. 10
Le grand Condé fut vaincu par Turenne : 10
Le fier Villars fut battu par Eugène ; 10
De Stanislas le vertueux support, 10
15 Ce roi soldat, don Quichotte du Nord, 10
Dont la valeur a paru plus qu'humaine, 10
N'a-t-il pas vu, dans le fond de l'Ukraine, 10
A Pultava tous ses lauriers flétris 10
Par un rival, objet de ses mépris ? 10
20 Un beau secret serait, à mon avis, 10
De bien savoir éblouir le vulgaire, 10
De s'établir un divin caractère ; 10
D'en imposer aux yeux des ennemis ; 10
Car les Romains, à qui tout fut soumis, 10
25 Domptaient l'Europe au milieu des miracles. 10
Ce ciel pour eux prodigua les oracles. 10
Jupiter, Mars, Pollux, et tous les dieux, 10
Guidaient leur aigle et combattaient pour eux. 10
Le grand Bacchus, qui mit l'Asie en cendre, 10
30 L'antique Hercule, et le fier Alexandre, 10
Pour mieux régner sur les peuples conquis, 10
De Jupiter ont passé pour les fils : 10
Et l'on voyait les princes de la terre 10
A leurs genoux redouter le tonnerre, 10
35 Tomber du trône, et leur offrir des vœux. 10
Denys suivit ces exemples fameux ; 10
Il prétendit que Jeanne la Pucelle 10
Chez les Anglais passât même pour telle, 10
Et que Bedfort, et l'amoureux Talbot, 10
40 Et Tirconel, et Chandos l'indévot, 10
Crussent la chose, et qu'ils vissent dans Jeanne 10
Un bras divin fatal à tout profane. 10
Pour réussir en ce hardi dessein, 10
Il s'en va prendre un vieux bénédictin, 10
45 Non tel que ceux dont le travail immense 10
Vient d'enrichir les libraires de France ; 10
Mais un prieur engraissé d'ignorance, 10
Et n'ayant lu que son missel latin : 10
Frère Lourdis fut le bon personnage 10
50 Qui fut choisi pour ce nouveau voyage. 10
Devers la lune où l'on tient que jadis 10
Était placé des fous le paradis, 10
Sur les confins de cet abîme immense, 10
Où le Chaos, et l'Érèbe, et la Nuit, 10
55 Avant le temps de l'univers produit, 10
Ont exercé leur aveugle puissance, 10
Il est un vaste et caverneux séjour, 10
Peu caressé des doux rayons du jour, 10
Et qui n'a rien qu'une lumière affreuse, 10
60 Froide, tremblante, incertaine et trompeuse : 10
Pour toute étoile on a des feux follets ; 10
L'air est peuplé de petits farfadets. 10
De ce pays la reine est la Sottise. 10
Ce vieil enfant porte une barbe grise, 10
65 Œil de travers, et bouche à la Danchet. 10
Sa lourde main tient pour sceptre un hochet. 10
De l'Ignorance elle est, dit-on, la fille. 10
Près de son trône est sa sotte famille, 10
Le fol Orgueil, l'Opiniâtreté, 10
70 Et la Paresse, et la Crédulité. 10
Elle est servie, elle est flattée en reine ; 10
On la croirait en effet souveraine : 10
Mais ce n'est rien qu'un fantôme impuissant, 10
Un Chilpéric, un vrai roi fainéant. 10
75 La Fourberie est son ministre avide. 10
Tout est réglé par ce maire perfide ; 10
Et la Sottise est son digne instrument. 10
Sa cour plénière est à son gré fournie 10
De gens profonds en fait d'astrologie, 10
80 Sûrs de leur art, à tout moment déçus, 10
Dupes, fripons, et partant toujours crus. 10
C'est là qu'on voit les maîtres d'alchimie 10
Faisant de l'or et n'ayant pas un sou, 10
Les roses-croix, et tout ce peuple fou 10
85 Argumentant sur la théologie. 10
Le gros Lourdis, pour aller en ces lieux, 10
Fut donc choisi parmi tous ses confrères. 10
Lorsque la nuit couvrait le front des cieux 10
D'un tourbillon de vapeurs non légères, 10
90 Enveloppé dans le sein du repos, 10
Il fut conduit au paradis des sots. 10
Quand il y fut, il ne s'étonna guères : 10
Tout lui plaisait, et même en arrivant 10
Il crut encore être dans son couvent. 10
95 Il vit d'abord la suite emblématique 10
Des beaux tableaux de ce séjour antique. 10
Cacodémon, qui ce grand temple orna, 10
Sur la muraille à plaisir griffonna 10
Un long tableau de toutes nos sottises, 10
100 Traits d'étourdi, pas de clerc, balourdises, 10
Projets mal faits, plus mal exécutés, 10
Et tous les mois du Mercure vantés. 10
Dans cet amas de merveilles confuses, 10
Parmi ces flots d'imposteurs et de buses, 10
105 On voit surtout un superbe Écossais ; 10
Lass est son nom ; nouveau roi des Français, 10
D'un beau papier il porte un diadème, 10
Et sur son front il est écrit système ; 10
Environné de grands ballots de vent, 10
110 Sa noble main les donne à tout venant : 10
Prêtres, catins, guerriers, gens de justice, 10
Lui vont porter leur or par avarice. 10
Ah ! quel spectacle ! ah ! vous êtes donc là, 10
Tendre Escobar, suffisant Molina, 10
115 Petit Doucin, dont la main pateline 10
Donne à baiser une bulle divine 10
Que Le Tellier lourdement fabriqua, 10
Dont Rome même en secret se moqua, 10
Et qui chez nous est la noble origine 10
120 De nos partis, de nos divisions, 10
Et qui, pis est, de volumes profonds, 10
Remplis, dit-on, de poisons hérétiques, 10
Tous poisons froids, et tous soporifiques. 10
Les combattants, nouveaux Bellérophons, 10
125 Dans cette nuit, montés sur des Chimères, 10
Les yeux bandés cherchent leurs adversaires ; 10
De longs sifflets leur servent de clairon ; 10
Et, dans leur docte et sainte frénésie, 10
Ils vont frappant à grands coups de vessie. 10
130 Ciel ! que d'écrits, de disquisitions, 10
De mandements, et d'explications, 10
Que l'on explique encor, peur de s'entendre ! 10
O chroniqueur des héros du Scamandre, 10
Toi qui jadis des grenouilles, des rats, 10
135 Si doctement as chanté les combats, 10
Sors du tombeau, viens célébrer la guerre, 10
Que pour la bulle on fera sur la terre ! 10
Le janséniste, esclave du destin, 10
Enfant perdu de la grâce efficace, 10
140 Dans ses drapeaux porte un Saint-Augustin, 10
Et pour plusieurs il marche avec audace. 10
Les ennemis s'avancent tout courbés 10
Dessus le dos de cent petits abbés. 10
Cessez, cessez, ô discordes civiles ! 10
145 Tout va changer : place, place, imbéciles ! 10
Un grand tombeau sans ornement, sans art, 10
Est élevé non loin de saint Médard. 10
L'esprit divin, pour éclairer la France, 10
Sous cette tombe enferme sa puissance ; 10
150 L'aveugle y court, et d'un pas chancelant, 10
Aux Quinze-Vingts retourne en tâtonnant. 10
Le boiteux vient clopinant sur la tombe, 10
Crie hosanna, saute, gigote, et tombe. 10
Le sourd approche, écoute, et n'entend rien. 10
155 Tout aussitôt, de pauvres gens de bien 10
D'aise pâmés, vrais témoins du miracle, 10
Du bon Pâris baisent le tabernacle. 10
Frère Lourdis, fixant ses deux gros yeux, 10
Voit ce saint œuvre, en rend grâces aux cieux, 10
160 Joint les deux mains, et riant d'un sot rire, 10
Ne comprend rien, et toute chose admire. 10
Ah ! le voici ce savant tribunal, 10
Moitié prélats et moitié monacal ; 10
D'inquisiteurs une troupe sacrée 10
165 Est là pour Dieu de sbires entourée. 10
Ces saints docteurs, assis en jugement, 10
Ont pour habits plumes de chat-huant ; 10
Oreilles d'âne ornent leur tête auguste, 10
Et, pour peser le juste avec l'injuste, 10
170 Le vrai, le faux, balance est dans leurs mains. 10
Cette balance a deux larges bassins ; 10
L'un tout comblé, contient l'or qu'ils escroquent, 10
Le bien, le sang des pénitents qu'ils croquent ; 10
Dans l'autre sont bulles, brefs, oremus, 10
175 Beaux chapelets, scapulaires, agnus. 10
Aux pieds bénits de la docte assemblée 10
Voyez-vous pas le pauvre Galilée, 10
Qui tout contrit leur demande pardon, 10
Bien condamné pour avoir eu raison ? 10
180 Murs de Loudun ! quel nouveau feu s'allume ? 10
C'est un curé que le bûcher consume : 10
Douze faquins ont déclaré sorcier 10
Et fait griller messire Urbain Grandier. 10
Galigaï, ma chère maréchale, 10
185 Du parlement épaulé de maint pair, 10
La compagnie ignorante et vénale 10
Te fait chauffer un feu brillant et clair, 10
Pour avoir fait pacte avec Lucifer. 10
Ah ! qu'aux savants notre France est fatale ! 10
190 Qu'il y fait bon croire au pape, à l'enfer, 10
Et se borner à savoir son Pater ! 10
Je vois plus loin cet arrêt authentique 10
Pour Aristote et contre l'émétique. 10
Venez, venez, mon beau père Girard, 10
195 Vous méritez un grand article à part. 10
Vous voilà donc, mon confesseur de fille, 10
Tendre dévot qui prêchez à la grille ! 10
Que dites-vous des pénitents appas 10
De ce tendron converti dans vos bras ? 10
200 J'estime fort cette douce aventure. 10
Tout est humain, Girard, en votre fait ; 10
Ce n'est pas là pécher contre nature : 10
Que de dévots en ont encor plus fait ! 10
Mais, mon ami, je ne m'attendais guère 10
205 De voir entrer le diable en cette affaire. 10
Girard, Girard, tous vos accusateurs, 10
Jacobin, carme, et faiseur d'écriture, 10
Juges, témoins, ennemis, protecteurs, 10
Aucun de vous n'est sorcier, je vous jure. 10
210 Lourdis enfin voit nos vieux parlements 10
De vingt prélats brûler les mandements, 10
Et par arrêt exterminer la race 10
D'un certain fou qu'on nomme saint Ignace ; 10
Mais, à leur tour, eux-même on les proscrit : 10
215 Quesnel en pleure, et saint Ignace en rit. 10
Paris s'émeut à leur destin tragique, 10
Et s'en console à l'Opéra-Comique. 10
O toi, Sottise ! ô grosse déité, 10
De qui les flancs à tout âge ont porté 10
220 Plus de mortels que Cybèle féconde 10
N'avait jadis donné de dieux au monde, 10
Qu'avec plaisir ton grand œil hébété 10
Voit tes enfants dont ma patrie abonde ! 10
Sots traducteurs, et sots compilateurs, 10
225 Et sots auteurs, et non moins sots lecteurs. 10
Je t'interroge, ô suprême puissance ! 10
Daigne m'apprendre, en cette foule immense, 10
De tes enfants qui sont les plus chéris, 10
Les plus féconds en lourds et plats écrits, 10
230 Les plus constants à broncher comme à braire 10
A chaque pas dans la même carrière : 10
Ah ! je connais que tes soins les plus doux 10
Sont pour l'auteur du Journal de Trévoux. 10
Tandis qu'ainsi Denys notre bon père 10
235 Devers la lune en secret préparait 10
Contre l'Anglais cet innocent mystère, 10
Une autre scène en ce moment s'ouvrait 10
Chez les grands fous du monde sublunaire. 10
Charle est déjà parti pour Orléans, 10
240 Ses étendards flottent au gré des vents. 10
A ses côtés, Jeanne, le casque en tête, 10
Déjà de Reims lui promet la conquête. 10
Voyez-vous pas ses jeunes écuyers, 10
Et cette fleur de loyaux chevaliers ? 10
245 La lance au poing, cette troupe environne 10
Avec respect notre sainte amazone. 10
Ainsi l'on voit le sexe masculin 10
A Fontevrauld servir le féminin. 10
Le sceptre est là dans les mains d'une femme, 10
250 Et père Anselme est béni par madame. 10
La belle Agnès, en ces cruels moments, 10
Ne voyant plus son amant qu'elle adore, 10
Cède aux chagrins dont l'excès la dévore ; 10
Un froid mortel s'empare de ses sens : 10
255 L'ami Bonneau, toujours plein d'industrie, 10
En cent façons la rappelle à la vie. 10
Elle ouvre encor ses yeux, ces doux vainqueurs, 10
Mais ce n'est plus que pour verser des pleurs ; 10
Puis, sur Bonneau se penchant d'un air tendre : 10
260 « C'en est donc fait, dit-elle, on me trahit. 10
Où va-t-il donc ? que veut-il entreprendre ? 10
Était-ce là le serment qu'il me fit, 10
Lorsqu'à sa flamme il me fit condescendre ? 10
Toute la nuit il faudra donc m'étendre, 10
265 Sans mon amant, seule, au milieu d'un lit ? 10
Et cependant cette Jeanne hardie, 10
Non des Anglais, mais d'Agnès ennemie, 10
Va contre moi lui prévenir l'esprit. 10
Ciel ! que je hais ces créatures fières, 10
270 Soldats en jupe, hommasses chevalières, 10
Du sexe mâle affectant la valeur, 10
Sans posséder les agréments du nôtre, 10
A tous les deux prétendant faire honneur, 10
Et qui ne sont ni de l'un ni de l'autre ! » 10
275 Disant ces mots, elle pleure et rougit, 10
Frémit de rage, et de douleur gémit. 10
La jalousie en ses yeux étincelle ; 10
Puis, tout à coup, d'une ruse nouvelle 10
Le tendre Amour lui fournit le dessein. 10
280 Vers Orléans elle prend son chemin, 10
De dame Alix et de Bonneau suivie. 10
Agnès arrive en une hôtellerie, 10
Où dans l'instant, lasse de chevaucher, 10
La fière Jeanne avait été coucher. 10
285 Agnès attend qu'en ce logis tout dorme, 10
Et cependant subtilement s'informe 10
Où couche Jeanne, où l'on met son harnois ; 10
Puis dans la nuit se glisse en tapinois, 10
De Jean Chandos prend la culotte, et passe 10
290 Ses cuisses entre, et l'aiguillette lace ; 10
De l'amazone elle prend la cuirasse. 10
Le dur acier, forgé pour les combats, 10
Presse et meurtrit ses membres délicats. 10
L'ami Bonneau la soutient sous les bras. 10
295 La belle Agnès dit alors à voix basse : 10
« Amour, Amour, maître de tous mes sens, 10
Donne la force à cette main tremblante, 10
Fais-moi porter cette armure pesante, 10
Pour mieux toucher l'auteur de mes tourments. 10
300 Mon amant veut une fille guerrière, 10
Tu fais d'Agnès un soldat pour lui plaire : 10
Je le suivrai ; qu'il permette aujourd'hui 10
Que ce soit moi qui combatte pour lui ; 10
Et si jamais la terrible tempête 10
305 Des dards anglais veut menacer sa tête, 10
Qu'ils tombent tous sur ces tristes appas ; 10
Qu'il soit du moins sauvé par mon trépas ; 10
Qu'il vive heureux ; que je meure pâmée 10
Entre ses bras, et que je meure aimée ! » 10
310 Tandis qu'ainsi cette belle parlait, 10
Et que Bonneau ses armes lui mettait, 10
Le roi Charlot à trois milles était. 10
La tendre Agnès prétend à l'heure même, 10
Pendant la nuit aller voir ce qu'elle aime. 10
315 Ainsi vêtue et pliant sous le poids, 10
N'en pouvant plus, maudissant son harnois, 10
Sur un cheval elle s'en va juchée, 10
Jambe meurtrie, et la fesse écorchée. 10
Le gros Bonneau, sur un Normand monté, 10
320 Va lourdement, et ronfle à son côté. 10
Le tendre Amour, qui craint tout pour la belle, 10
La voit partir et soupire pour elle. 10
Agnès à peine avait gagné chemin 10
Qu'elle entendit devers un bois voisin 10
325 Bruit de chevaux et grand cliquetis d'armes. 10
Le bruit redouble ; et voici des gendarmes, 10
Vêtus de rouge ; et, pour comble de maux, 10
C'étaient les gens de monsieur Jean Chandos. 10
L'un deux s'avance, et demande : Qui vive ? 10
330 A ce grand cri, notre amante naïve, 10
Songeant au roi, répondit sans détour : 10
Je suis Agnès ; vive France et l'Amour ! 10
A ces deux noms, que le ciel équitable 10
Voulut unir du nœud le plus durable, 10
335 On prend Agnès et son gros confident ; 10
Ils sont tous deux menés incontinent 10
A ce Chandos, qui terrible en sa rage, 10
Avait juré de venger son outrage, 10
Et de punir les brigands ennemis 10
340 Qui sa culotte et son fer avaient pris. 10
Dans ce moment où la main bienfaisante 10
Du doux sommeil laisse nos yeux ouverts, 10
Quand les oiseaux reprennent leurs concerts, 10
Qu'on sent en soi sa vigueur renaissante, 10
345 Que les désirs, pères des voluptés, 10
Sont par les sens dans notre âme excités ; 10
Dans ce moment, Chandos, on te présente 10
La belle Agnès, plus belle et plus brillante 10
Que le soleil aux bords de l'Orient. 10
350 Que sentis-tu, Chandos, en t'éveillant, 10
Lorsque tu vis cette nymphe si belle 10
A tes côtés, et tes grègues sur elle ? 10
Chandos, pressé d'un aiguillon bien vif, 10
La dévorait de son regard lascif. 10
355 Agnès en tremble, et l'entend qui marmotte 10
Entre les dents : Je raurai ma culotte ! 10
A son chevet d'abord il la fait seoir. 10
« Quittez, dit-il, ma belle prisonnière, 10
Quittez ce poids d'une armure étrangère. » 10
360 Ainsi parlant, plein d'ardeur et d'espoir, 10
Il la décasque, il vous la décuirasse. 10
La belle Agnès se défend avec grâce ; 10
Elle rougit d'une aimable pudeur, 10
Pensant à Charle, et soumise au vainqueur. 10
365 Le gros Bonneau, que le Chandos destine 10
Au digne emploi de chef de sa cuisine, 10
Va dans l'instant mériter cet honneur ; 10
Des boudins blancs il était l'inventeur, 10
Et tu lui dois, ô nation française, 10
370 Pâtés d'anguille et gigots à la braise. 10
« Monsieur Chandos, hélas ! que faites-vous ? 10
Disait Agnès d'un ton timide et doux. 10
— Pardieu, dit-il (tout héros anglais jure), 10
Quelqu'un m'a fait une sanglante injure. 10
375 Cette culotte est mienne ; et je prendrai 10
Ce qui fut mien où je le trouverai. » 10
Parler ainsi, mettre Agnès toute nue, 10
C'est même chose ; et la belle éperdue 10
Tout en pleurant était entre ses bras, 10
380 Et lui disait : « Non, je n'y consens pas. » 10
Dans l'instant même, un horrible fracas 10
Se fait entendre, on crie : « Alerte, aux armes ! » 10
Et la trompette, organe du trépas, 10
Sonne la charge, et porte les alarmes. 10
385 A son réveil, Jeanne, cherchant en vain 10
L'affublement du harnois masculin, 10
Son bel armet ombragé de l'aigrette, 10
Et son haubert, et sa large braguette, 10
Sans raisonner saisit soudainement 10
390 D'un écuyer le dur accoutrement, 10
Monte à cheval sur son âne, et s'écrie : 10
« Venez venger l'honneur de la patrie. » 10
Cent chevaliers s'empressent sur ses pas, 10
Ils sont suivis de six cent vingt soldats. 10
395 Frère Lourdis, en ce moment de crise, 10
Du beau palais, où règne la Sottise, 10
Est descendu chez les Anglais guerriers, 10
Environné d'atomes tout grossiers, 10
Sur son gros dos portant balourderies, 10
400 Œuvres de moine, et belles âneries. 10
Ainsi bâté, sitôt qu'il arriva, 10
Sur les Anglais sa robe il secoua, 10
Son ample robe ; et dans leur camp versa 10
Tous les trésors de sa crasse ignorance, 10
405 Trésors communs au bon pays de France. 10
Ainsi des nuits la noire déité, 10
Du haut d'un char d'ébène marqueté, 10
Répand sur nous les pavots et les songes, 10
Et nous endort dans le sein des mensonges. 10
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