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VOL_1/VOL9
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
Odes
Tragédie en trois actes
1709-1775
IX
SUR LA PAIX DE 1736
L'Etna renferme le tonnerre 8
Dans ses épouvantables flancs ; 8
Il vomit le feu sur la terre, 8
Il dévore ses habitants. 8
5 Fuyez, Dryades gémissantes, 8
Ces campagnes toujours brûlantes, 8
Ces abîmes toujours ouverts, 8
Ces torrents de flamme et de soufre, 8
Échappés du sein de ce gouffre 8
10 Qui touche aux voûtes des enfers. 8
Plus terrible dans ses ravages, 8
Plus fier dans ses débordements, 8
Le Pô renverse ses rivages 8
Cachés sous ses flots écumants : 8
15 Avec lui marchent la Ruine, 8
L'Effroi, la Douleur, la Famine, 8
La Mort, les Désolations ; 8
Et, dans les fanges de Ferrare, 8
Il entraîne à la mer avare 8
20 Les dépouilles des nations. 8
Mais ces débordements de l'onde, 8
Et ces combats des éléments, 8
Et ces secousses qui du monde 8
Ont ébranlé les fondements, 8
25 Fléaux que le ciel en colère 8
Sur ce malheureux hémisphère 8
A fait éclater tant de fois, 8
Sont moins affreux, sont moins sinistres, 8
Que l'ambition des ministres 8
30 Et que les discordes des rois. 8
De l'Inde aux bornes de la France, 8
Le soleil, en son vaste tour, 8
Ne voit qu'une famille immense, 8
Que devrait gouverner l'Amour. 8
35 Mortels, vous êtes tous des frères ; 8
Jetez ces armes mercenaires : 8
Que cherchez-vous dans les combats ? 8
Quels biens poursuit votre imprudence ? 8
En aurez-vous la jouissance 8
40 Dans la triste nuit du trépas ? 8
Encor si pour votre patrie 8
Vous saviez vous sacrifier ! 8
Mais non ; vous vendez votre vie 8
Aux mains qui daignent la payer. 8
45 Vous mourez pour la cause inique 8
De quelque tyran politique 8
Que vos yeux ne connaissent pas ; 8
Et vous n'êtes, dans vos misères, 8
Que des assassins mercenaires 8
50 Armés pour des maîtres ingrats. 8
Tels sont ces oiseaux de rapine, 8
Et ces animaux malfaisants, 8
Apprivoisés pour la ruine 8
Des paisibles hôtes des champs : 8
55 Aux sons d'un instrument sauvage, 8
Animés, ardents, pleins de rage, 8
Ils vont, d'un vol impétueux, 8
Sans choix, sans intérêt, sans gloire, 8
Saisir une folle victoire 8
60 Dont le prix n'est jamais pour eux. 8
O superbe, ô triste Italie ! 8
Que tu plains ta fécondité ! 8
Sous tes débris ensevelie, 8
Que tu déplores ta beauté ! 8
65 Je vois tes moissons dévorées 8
Par les nations conjurées 8
Qui te flattaient de te venger : 8
Faible, désolée, expirante, 8
Tu combats d'une main tremblante 8
70 Pour le choix d'un maître étranger. 8
Que toujours armés pour la guerre 8
Nos rois soient les dieux de la paix ; 8
Que leurs mains portent le tonnerre, 8
Sans se plaire à lancer ses traits. 8
75 Nous chérissons un berger sage, 8
Qui, dans un heureux pâturage, 8
Unit les troupeaux sous ses lois. 8
Malheur au pasteur sanguinaire 8
Qui les expose en téméraire 8
80 A la dent du tyran des bois ! 8
Eh ! que m'importe la victoire 8
D'un roi qui me perce le flanc, 8
D'un roi dont j'achète la gloire 8
De ma fortune et de mon sang ! 8
85 Quoi ! dans l'horreur de l'indigence, 8
Dans les langueurs, dans la souffrance, 8
Mes jours seront-ils plus sereins 8
Quand on m'apprendra que nos princes 8
Aux frontières de nos provinces 8
90 Nagent dans le sang des Germains ? 8
Colbert, toi qui dans ta patrie 8
Amenas les arts et les jeux ; 8
Colbert, ton heureuse industrie 8
Sera plus chère à nos neveux 8
95 Que la vigilance inflexible 8
De Louvois, dont la main terrible 8
Embrasait le Palatinat, 8
Et qui, sous la mer irritée, 8
De la Hollande épouvantée 8
100 Voulait anéantir l'État. 8
Que Louis jusqu'au dernier âge 8
Soit honoré du nom de Grand ; 8
Mais que ce nom s'accorde au sage, 8
Qu'on le refuse au conquérant. 8
105 C'est dans la paix que je l'admire, 8
C'est dans la paix que son empire 8
Florissait sous de justes lois, 8
Quand son peuple aimable et fidèle 8
Fut des peuples l'heureux modèle, 8
110 Et lui le modèle des rois. 8
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