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VOL_1/VOL8
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
Odes
Tragédie en trois actes
1709-1775
VIII
A MESSIEURS DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES
Qui ont été sous l'équateur et au cercle polaire,
mesurer des degrés de latitude.
O Vérité sublime ! ô céleste Uranie ! 12
Esprit né de l'esprit qui forma l'univers, 12
Qui mesures des cieux la carrière infinie, 12
Et qui pèses les airs : 6
5 Tandis que tu conduis sur les gouffres de l'onde 12
Ces voyageurs savants, ministres de tes lois, 12
De l'ardent équateur ou du pôle du monde, 12
Entends ma faible voix. 6
Que font tes vrais enfants ? Vainqueurs de la nature, 12
10 Ils arrachent son voile ; et ces rares esprits 12
Fixent la pesanteur, la masse, et la figure, 12
De l'univers surpris. 6
Les enfers sont émus au bruit de leur voyage : 12
Je vois paraître au jour les ombres des héros, 12
15 De ces Grecs renommés qu'admira le rivage 12
De l'antique Colchos. 6
Argonautes fameux, demi-dieux de la Grèce, 12
Castor, Pollux, Orphée, et vous, heureux Jason, 12
Vous de qui la valeur, et l'amour, et l'adresse, 12
20 Ont conquis la toison ; 6
En voyant les travaux et l'art de nos grands hommes, 12
Que vous êtes honteux de vos travaux passés ! 12
Votre siècle est vaincu par le siècle où nous sommes : 12
Venez, et rougissez. 6
25 Quand la Grèce parlait, l'univers en silence 12
Respectait le mensonge ennobli par sa voix : 12
Et l'Admiration, fille de l'ignorance, 12
Chanta de vains exploits. 6
Heureux qui les premiers marchent dans la carrière ! 12
30 N'y fassent-ils qu'un pas, leurs noms sont publiés ; 12
Ceux qui trop tard venus la franchissent entière 12
Demeurent oubliés. 6
Le Mensonge réside au temple de Mémoire : 12
Il y grava, des mains de la Crédulité, 12
35 Tous ces fastes des temps destinés pour l'histoire 12
Et pour la vérité. 6
Uranie, abaissez ces triomphes des fables : 12
Effacez tous ces noms qui nous ont abusés : 12
Montrez aux nations les héros véritables 12
40 Que vous seule instruisez. 6
Le Génois qui chercha, qui trouva l'Amérique, 12
Cortez qui la vainquit par de plus grands travaux, 12
En voyant des Français l'entreprise héroïque 12
Ont prononcé ces mots : 6
45 « L'ouvrage de nos mains n'avait point eu d'exemples, 12
Et par nos descendants ne peut être imité ; 12
Ceux à qui l'univers a fait bâtir des temples 12
L'avaient moins mérité. 6
« Nous avons fait beaucoup, vous faites davantage ; 12
50 Notre nom doit céder à l'éclat qui vous suit. 12
Plutus guida nos pas dans ce monde sauvage ; 12
La vertu vous conduit. » 6
Comme ils parlaient ainsi, Newton dans l'empyrée, 12
Newton les regardait, et du ciel entr'ouvert : 12
55 « Confirmez, disait-il, à la terre éclairée 12
Ce que j'ai découvert. 6
« Tandis que des humains le troupeau méprisable, 12
Sous l'empire des sens indignement vaincu, 12
De ses jours indolents traînant le fil coupable, 12
60 Meurt sans avoir vécu, 6
« Donnez un digne essor à votre âme immortelle 12
Éclairez des esprits nés pour la vérité. 12
Dieu vous a confié la plus vive étincelle 12
De la Divinité. 6
65 « De la raison qu'il donne il aime à voir l'usage ; 12
Et le plus digne objet des regards éternels, 12
Le plus brillant spectacle est l'âme du vrai sage 12
Instruisant les mortels. 6
« Mais surtout écartez ces serpents détestables, 12
70 Ces enfants de l'Envie, et leur souffle odieux ; 12
Qu'ils n'empoisonnent pas ces âmes respectables 12
Qui s'élèvent aux cieux. 6
« Laissez un vil Zoïle aux fanges du Parnasse 12
De ses coassements importuner le ciel, 12
75 Agir avec bassesse, écrire avec audace. 12
Et s'abreuver de fiel. 6
Imitez ces esprits, ces fils de la lumière, 12
Confidents du Très-Haut, qui vivent dans son sein, 12
Qui jettent comme lui sur la nature entière 12
80 Un œil pur et serein. » 6
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