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VOL_1/VOL7
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
Odes
Tragédie en trois actes
1709-1775
VII
SUR LE FANATISME
Charmante et sublime Émilie 8
Amante de la Vérité, 8
Ta solide philosophie 8
T'a prouvé la Divinité. 8
5 Ton âme, éclairée et profonde, 8
Franchissant les bornes du monde, 8
S'élance au sein de son auteur. 8
Tu parais son plus bel ouvrage ; 8
Et tu lui rends un digne hommage, 8
10 Exempt de faiblesse et d'erreur. 8
Mais si les traits de l'Athéisme 8
Sont repoussés par ta raison, 8
De la coupe du Fanatisme 8
Ta main renverse le poison : 8
15 Tu sers la justice éternelle, 8
Sans l'âcreté de ce faux zèle 8
De tant de dévots malfaisants, 8
Tel qu'un sujet sincère et juste 8
Sait approcher d'un trône auguste 8
20 Sans les vices des courtisans. 8
Ce Fanatisme sacrilège 8
Est sorti du sein des autels ; 8
Il les profane, il les assiège, 8
Il en écarte les mortels. 8
25 O Religion bienfaisante, 8
Ce farouche ennemi se vante 8
D'être né dans ton chaste flanc ! 8
Mère tendre, mère adorable, 8
Croira-t-on qu'un fils si coupable 8
30 Ait été formé de ton sang ? 8
On a vu souvent des athées 8
Estimables dans leurs erreurs ; 8
Leurs opinions infectées 8
N'avaient point corrompu leurs mœurs. 8
35 Spinosa fut toujours fidèle 8
A la loi pure et naturelle 8
Du Dieu qu'il avait combattu ; 8
Et ce Desbarreaux qu'on outrage, 8
S'il n'eut pas les clartés du sage, 8
40 En eut le cœur et la vertu. 8
Je sentirais quelque indulgence 8
Pour un aveugle audacieux 8
Qui nierait l'utile existence 8
De l'astre qui brille à mes yeux. 8
45 Ignorer ton être suprême, 8
Grand Dieu ! c'est un moindre blasphème, 8
Et moins digne de ton courroux, 8
Que de te croire impitoyable, 8
De nos malheurs insatiable, 8
50 Jaloux, injuste comme nous. 8
Lorsqu'un dévot atrabilaire, 8
Nourri de superstition, 8
A, par cette affreuse chimère, 8
Corrompu sa religion, 8
55 Le voilà stupide et farouche ; 8
Le fiel découle de sa bouche, 8
Le Fanatisme arme son bras ; 8
Et, dans sa piété profonde, 8
Sa rage immolerait le monde 8
60 A son Dieu, qu'il ne connaît pas. 8
Ce sénat proscrit dans la France, 8
Cette infâme Inquisition, 8
Ce tribunal où l'ignorance 8
Traîna si souvent la raison ; 8
65 Ces Midas en mitre, en soutane, 8
Au philosophe de Toscane 8
Sans rougir ont donné des fers. 8
Aux pieds de leur troupe aveuglée, 8
Abjurez, sage Galilée, 8
70 Le système de l'univers. 8
Écoutez ce signal terrible 8
Qu'on vient de donner dans Paris ; 8
Regardez ce carnage horrible, 8
Entendez ces lugubres cris ; 8
75 Le frère est teint du sang du frère, 8
Le fils assassine son père, 8
La femme égorge son époux ; 8
Leurs bras sont armés par des prêtres. 8
O ciel ! sont-ce là les ancêtres 8
80 De ce peuple léger et doux ? 8
Jansénistes et molinistes, 8
Vous qui combattez aujourd'hui 8
Avec les raisons des sophistes, 8
Leurs traits, leur bile, et leur ennui, 8
85 Tremblez qu'enfin votre querelle 8
Dans vos murs un jour ne rappelle 8
Ces temps de vertige et d'horreur ; 8
Craignez ce zèle qui vous presse : 8
On ne sent pas dans son ivresse 8
90 Jusqu'où peut aller sa fureur. 8
Malheureux, voulez-vous entendre 8
La loi de la religion ? 8
Dans Marseille il fallait l'apprendre 8
Au sein de la contagion, 8
95 Lorsque la tombe était ouverte, 8
Lorsque la Provence, couverte 8
Par les semences du trépas, 8
Pleurant ses villes désolées 8
Et ses campagnes dépeuplées, 8
100 Fit trembler tant d'autres États. 8
Belsunce, pasteur vénérable, 8
Sauvait son peuple périssant ; 8
Langeron, guerrier secourable, 8
Bravait un trépas renaissant ; 8
105 Tandis que vos lâches cabales 8
Dans la mollesse et les scandales 8
Occupaient votre oisiveté 8
De la dispute ridicule 8
Et sur Quesnel et sur la bulle, 8
110 Qu'oubliera la postérité. 8
Pour instruire la race humaine 8
Faut-il perdre l'humanité ? 8
Faut-il le flambeau de la Haine 8
Pour nous montrer la Vérité ? 8
115 Un ignorant, qui de son frère 8
Soulage en secret la misère, 8
Est mon exemple et mon docteur ; 8
Et l'esprit hautain qui dispute, 8
Qui condamne, qui persécute, 8
120 N'est qu'un détestable imposteur. 8
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