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VOL_1/VOL6
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
Odes
Tragédie en trois actes
1709-1775
VI
A MONSIEUR LE DUC DE RICHELIEU
SUR L'INGRATITUDE
O toi, mon support et ma gloire, 8
Que j'aime à nourrir ma mémoire 8
Des biens que ta vertu m'a faits, 8
Lorsqu'en tous lieux l'ingratitude 8
5 Se fait une pénible étude 8
De l'oubli honteux des bienfaits ! 8
Doux nœuds de la reconnaissance, 8
C'est par vous que dès mon enfance 8
Mon cœur à jamais fut lié ; 8
10 La voix du sang, de la nature, 8
N'est rien qu'un languissant murmure 8
Près de la voix de l'amitié. 8
Eh ! quel est en effet mon père ? 8
Celui qui m'instruit, qui m'éclaire, 8
15 Dont le secours m'est assuré ; 8
Et celui dont le cœur oublie 8
Les biens répandus sur sa vie, 8
C'est là le fils dénaturé. 8
Ingrats, monstres que la nature 8
20 A pétris d'une fange impure 8
Qu'elle dédaigna d'animer, 8
Il manque à votre âme sauvage 8
Des humains le plus beau partage ; 8
Vous n'avez pas le don d'aimer. 8
25 Nous admirons le fier courage 8
Du lion fumant de carnage, 8
Symbole du dieu des combats. 8
D'où vient que l'univers déteste 8
La couleuvre bien moins funeste ? 8
30 Elle est l'image des ingrats. 8
Quel monstre plus hideux s'avance ? 8
La Nature fuit et s'offense 8
A l'aspect de ce vieux giton ; 8
Il a la rage de Zoïle, 8
35 De Gacon l'esprit et le style, 8
Et l'âme impure de Chausson. 8
C'est Desfontaines, c'est ce prêtre 8
Venu de Sodome à Bicêtre, 8
De Bicêtre au sacré vallon : 8
40 A-t-il l'espérance bizarre 8
Que le bûcher qu'on lui prépare 8
Soit fait des lauriers d'Apollon ? 8
Il m'a dû l'honneur et la vie, 8
Et, dans son ingrate furie, 8
45 De Rousseau lâche imitateur, 8
Avec moins d'art et plus d'audace, 8
De la fange où sa voix coasse 8
Il outrage son bienfaiteur. 8
Qu'un Hibernois, loin de la France, 8
50 Aille ensevelir dans Bysance 8
Sa honte à l'abri du croissant ; 8
D'un œil tranquille et sans colère, 8
Je vois son crime et sa misère ; 8
Il n'emporte que mon argent. 8
55 Mais l'ingrat dévoré d'envie, 8
Trompette de la calomnie, 8
Qui cherche à flétrir mon honneur, 8
Voilà le ravisseur coupable, 8
Voilà le larcin détestable 8
60 Dont je dois punir la noirceur. 8
Pardon, si ma main vengeresse 8
Sur ce monstre un moment s'abaisse 8
A lancer ces utiles traits, 8
Et si de la douce peinture 8
65 De ta vertu brillante et pure 8
Je passe à ces sombres portraits. 8
Mais lorsque Virgile et le Tasse 8
Ont chanté dans leur noble audace 8
Les dieux de la terre et des mers, 8
70 Leur muse, que le ciel inspire, 8
Ouvre le ténébreux empire, 8
Et peint les monstres des enfers. 8
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