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VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
Odes
Tragédie en trois actes
1709-1775
IV
LE VRAI DIEU
Se peut-il que dans ses ouvrages 8
L'homme aveugle ait mis son appui, 8
Et qu'il prodigue ses hommages 8
A des dieux moins divins que lui ? 8
5 Jusqu'à quand, par d'affreux blasphèmes, 8
Rendrons-nous des honneurs suprêmes 8
Aux métaux qu'ont formés nos mains ? 8
Jusqu'à quand l'encens de la terre 8
Ira-t-il grossir le tonnerre 8
10 Prêt à tomber sur les humains ? 8
Descends des demeures divines, 8
Grand Dieu les temps sont accomplis ; 8
L'Erreur enfin sur ses ruines 8
Va voir des temples rétablis. 8
15 Un jour pur commence à paraître ; 8
Sur la terre un Dieu vient de naître 8
Pour nous arracher au tombeau. 8
De l'enfer les monstres terribles, 8
Abaissant leurs têtes horribles, 8
20 Tremblent au pied de son berceau. 8
Mais l'homme, constant dans sa rage, 8
S'oppose à sa félicité ; 8
Amoureux de son esclavage, 8
Il s'endort dans l'iniquité. 8
25 Je vois ses mains infortunées, 8
Aux palmes du ciel destinées, 8
S'offrir à des fers odieux. 8
Il boit dans la coupe infernale, 8
Et l'épais venin qu'elle exhale 8
30 Dérobe le jour à ses yeux. 8
Ne peut-il des nuages sombres 8
Percer la longue obscurité ? 8
Son Dieu porte à travers les ombres 8
Le flambeau de la vérité. 8
35 Ouvre les yeux, homme infidèle ; 8
Suis le Dieu puissant qui t'appelle : 8
Mais tu te plais à l'ignorer. 8
Affermi dans l'ingratitude, 8
Tu voudrais que l'incertitude 8
40 Te dispensât de l'adorer. 8
Mets le comble à tes injustices, 8
Il n'est plus temps de reculer ; 8
Ses vertus condamnent tes vices : 8
Il faut le suivre, ou l'immoler. 8
45 L'Erreur, la Colère, l'Envie, 8
Tout s'est armé contre sa vie. 8
Que tardes-tu ? perce son flanc. 8
De ses jours il t'a rendu maître ; 8
Et qui l'a bien pu méconnaître 8
50 Craindra-t-il de verser son sang ? 8
Ciel ! déjà ta rage exécute 8
Ce qu'a présagé ma douleur ; 8
Ton juge, à tous les maux en butte, 8
Va succomber sous ta fureur. 8
55 Je vous vois, victime innocente, 8
Sous le faix d'une croix pesante, 8
Vous traîner jusqu'au triste lieu. 8
Tout est prêt pour le sacrifice : 8
Vous semblez, de vos maux complice, 8
60 Oublier que vous êtes Dieu. 8
O toi dont la course céleste 8
Annonce aux hommes ton auteur, 8
Soleil ! en cet état funeste 8
Reconnais-tu ton Créateur ? 8
65 C'est à toi de punir la terre : 8
Si le ciel suspend son tonnerre, 8
Ta clarté doit s'évanouir. 8
Va te cacher au sein de l'onde : 8
Peux-tu donner le jour au monde, 8
70 Quand ton Dieu cesse d'en jouir ? 8
Mais quel prodige me découvre 8
Les flambeaux obscurs de la nuit ? 8
Le voile du temple s'entrouvre, 8
Le ciel gronde, le jour s'enfuit. 8
75 La terre, en abîmes ouverte, 8
Avec regret se voit couverte 8
Du sang d'un Dieu qui la forma ; 8
Et la Nature consternée 8
Semble à jamais abandonnée 8
80 Du feu divin qui l'anima. 8
Toi seul, insensible à tes peines, 8
Tu chéris l'instant de ta mort. 8
Grand Dieu ! grâce aux fureurs humaines, 8
L'univers a changé de sort. 8
85 Je vois des palmes éternelles 8
Croître en ces campagnes cruelles 8
Qu'arrosa ton sang précieux. 8
L'homme est heureux d'être perfide, 8
Et, coupables d'un déicide, 8
90 Tu nous fais devenir des dieux. 8
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