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VOL_1/VOL21
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
Odes
Tragédie en trois actes
1709-1775
XXI
SUR LE PASSÉ ET LE PRÉSENT
Si la main des rois et des prêtres 8
Ébranla le monde en tout temps, 8
Et si nos coupables ancêtres 8
Ont eu de coupables enfants, 8
5 O triste muse de l'histoire, 8
Ne grave plus à la mémoire 8
Ce qui doit périr à jamais ! 8
Tu n'as vu qu'horreur et délire. 8
Les annales de chaque empire 8
10 Sont les archives des forfaits. 8
La Fable est encor plus funeste ; 8
Ses mensonges sont plus cruels. 8
Tantale, Atrée, Égisthe, Oreste, 8
N'épouvantez plus les mortels. 8
15 Que je hais le divin Achille, 8
Sa colère en malheurs fertile, 8
Et tous ces ridicules dieux 8
Que vers le ruisseau du Scamandre 8
Du haut du ciel on fait descendre 8
20 Pour inspirer un furieux ! 8
Josué, je hais davantage 8
Tes sacrifices inhumains. 8
Quoi ! trente rois dans un village 8
Pendus par tes dévotes mains ! 8
25 Quoi ! ni le sexe, ni l'enfance, 8
De ton exécrable démence 8
N'ont pu désarmer la fureur ! 8
Quoi ! pour contempler ta conquête, 8
A ta voix le soleil s'arrête ! 8
30 Il devait reculer d'horreur. 8
Mais de ta horde vagabonde 8
Détournons mes yeux éperdus. 8
O Rome ! ô maîtresse du monde ! 8
Verrai-je en toi quelques vertus ? 8
35 Ce n'est pas sous l'infâme Octave ; 8
Ce n'est pas lorsque Rome esclave 8
Succombait avec l'univers, 8
Ou quand le Sixième Alexandre 8
Donnait dans l'Italie en cendre 8
40 Des indulgences et des fers. 8
L'innocence n'a plus d'asile : 8
Le sang coule à mes yeux surpris, 8
Depuis les vêpres de Sicile 8
Jusqu'aux matines de Paris. 8
45 Est-il un peuple sur la terre 8
Qui dans la paix ou dans la guerre 8
Ait jamais vu des jours heureux ? 8
Nous pleurons ainsi que nos pères, 8
Et nous transmettons nos misères 8
50 A nos déplorables neveux. 8
C'est ainsi que mon humeur sombre 8
Exhalait ses tristes accents ; 8
La nuit, me couvrant de son ombre, 8
Avait appesanti mes sens : 8
55 Tout à coup un trait de lumière 8
Ouvrit ma débile paupière, 8
Qui cherchait en vain le repos ; 8
Et, des demeures éternelles, 8
Un génie étendant ses ailes 8
60 Daigna me parler en ces mots : 8
« Contemple la brillante aurore 8
Qui t'annonce enfin les beaux jours : 8
Un nouveau monde est près d'éclore ; 8
Até disparaît pour toujours. 8
65 Vois l'auguste Philosophie, 8
Chez toi si longtemps poursuivie, 8
Dicter ses triomphantes lois. 8
La Vérité vient avec elle 8
Ouvrir la carrière immortelle 8
70 Où devaient marcher tous les rois. 8
Les cris affreux du fanatique 8
N'épouvantent plus la raison ; 8
L'insidieuse Politique 8
N'a plus ni masque ni poison. 8
75 La douce, l'équitable Astrée 8
S'assied, de grâces entourée, 8
Entre le trône et les autels ; 8
Et sa fille, la Bienfaisance, 8
Vient de sa corne d'abondance 8
80 Enrichir les faibles mortels. » 8
Je lui dis : « Ange tutélaire, 8
Quels dieux répandent ces bienfaits ? 8
3/4 C'est un seul homme. » Et le vulgaire 8
Méconnaît les biens qu'il a faits ! 8
85 Le peuple, en son erreur grossière, 8
Ferme les yeux à la lumière, 8
Il n'en peut supporter l'éclat. 8
Ne recherchons point ses suffrages : 8
Quand il souffre, il s'en prend aux sages ; 8
90 Est-il heureux, il est ingrat. 8
On prétend que l'humaine race, 8
Sortant des mains du Créateur, 8
Osa, dans son absurde audace, 8
S'élever contre son auteur. 8
95 Sa clameur fut si téméraire 8
Qu'à la fin Dieu, dans sa colère, 8
Se repentit de ses bienfaits. 8
O vous que l'on voit de Dieu même 8
Imiter la bonté suprême, 8
100 Ne vous en repentez jamais ! 8
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