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VOL_1/VOL14
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
Odes
Tragédie en trois actes
1709-1775
XIV
LA FÉLICITÉ DES TEMPS
OU L'ÉLOGE DE LA FRANCE
Est-il encor des satiriques 8
Qui, du présent toujours blessés, 8
Dans leurs malins panégyriques 8
Exaltent les siècles passés ; 8
5 Qui, plus injustes que sévères, 8
D'un crayon faux peignent leurs pères 8
Dégénérant de leurs aïeux, 8
Et leurs contemporains coupables, 8
Suivis d'enfants plus condamnables, 8
10 Menacés de pires neveux ? 8
Silence, imposture outrageante ; 8
Déchirez-vous, voiles affreux ; 8
Patrie auguste et florissante, 8
Connais-tu des temps plus heureux ? 8
15 De la cime des Pyrénées 8
Jusqu'à ces rives étonnées 8
Où la Mort vole avec l'Effroi, 8
Montre ta gloire et ta puissance ; 8
Mais pour mieux connaître la France, 8
20 Qu'on la contemple dans son roi. 8
Quelquefois la grandeur trop fière, 8
Sur son front portant les dédains, 8
Foule aux pieds, dans sa marche altière, 8
Les rampants et faibles humains. 8
25 Les Prières humbles, tremblantes, 8
Pâles, sans force, chancelantes, 8
Baissant leurs yeux mouillés de pleurs, 8
Abordent ce monstre farouche, 8
Un indigne éloge à la bouche, 8
30 Et la haine au fond de leurs cœurs. 8
Favori du dieu de la guerre, 8
Héros dont l'éclat nous surprend, 8
De tous les vainqueurs de la terre 8
Le plus modeste est le plus grand. 8
35 O modestie ! ô douce image 8
De la belle âme du vrai sage ! 8
Plus noble que la majesté, 8
Tu relèves le diadème, 8
Tu décores la valeur même, 8
40 Comme tu pares la beauté. 8
Nous l'avons vu ce roi terrible 8
Qui, sur des remparts foudroyés, 8
Présentait l'olivier paisible 8
A ses ennemis effrayés : 8
45 Tel qu'un dieu guidant les orages, 8
D'une main portant les ravages 8
Et les tonnerres destructeurs, 8
De l'autre versant la rosée 8
Sur la terre fertilisée, 8
50 Couverte de fruits et de fleurs. 8
L'airain gronde au loin sur la Flandre, 8
Il n'interrompt point nos loisirs, 8
Et quand sa voix se fait entendre, 8
C'est pour annoncer nos plaisirs ; 8
55 Les muses en habit de fêtes, 8
De lauriers couronnant leurs têtes, 8
Éternisent ces heureux temps ; 8
Et, sous le bonheur qui l'accable, 8
La Critique est inconsolable 8
60 De ne plus voir de mécontents. 8
Venez, enfants des Charlemagnes, 8
Paraissez, ombres des Valois ; 8
Venez contempler ces campagnes 8
Que vous désoliez autrefois : 8
65 Vous verrez cent villes superbes 8
Aux lieux où d'inutiles herbes 8
Couvraient la face des déserts, 8
Et sortir d'une nuit profonde 8
Tous les arts, étonnant le monde 8
70 De miracles toujours divers. 8
Au lieu des guerres intestines 8
De quelques brigands forcenés, 8
Qui se disputaient les ruines 8
De leurs vassaux infortunés, 8
75 Vous verrez un peuple paisible, 8
Généreux, aimable, invincible ; 8
Un prince au lieu de cent tyrans ; 8
Le joug porté sans esclavage ; 8
Et la concorde heureuse et sage 8
80 Du roi, des peuples, et des grands. 8
Souvent un laboureur habile, 8
Par des efforts industrieux, 8
Sur un champ rebelle et stérile 8
Attira les faveurs des cieux ; 8
85 Sous ses mains la terre étonnée 8
Se vit de moissons couronnée 8
Dans le sein de l'aridité ; 8
Bientôt une race nouvelle 8
De ces champs préparés pour elle 8
90 Augmenta la fécondité. 8
Ainsi Pyrrhus après Achille 8
Fit encore admirer son nom ; 8
Ainsi le vaillant Paul-Émile 8
Fut suivi du grand Scipion ; 8
95 Virgile, au-dessus de Lucrèce, 8
Aux lieux arrosés du Permesse 8
S'éleva d'un vol immortel ; 8
Et Michel-Ange vit paraître, 8
Dans l'art que sa main fit renaître, 8
100 Les prodiges de Raphaël. 8
Que des vertus héréditaires 8
A jamais ornent ce séjour ! 8
Vous avez imité vos pères ; 8
Qu'on vous imite à votre tour. 8
105 Loin ce discours lâche et vulgaire, 8
Que toujours l'homme dégénère, 8
Que tout s'épuise et tout finit : 8
La nature est inépuisable, 8
Et le Travail infatigable 8
110 Est un dieu qui la rajeunit. 8
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