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VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
Odes
Tragédie en trois actes
1709-1775
I
SUR SAINTE GENEVIÈVE
Imitation d'une ode latine, par le R. P. Lejay
Qu'aperçois-je ! est-ce une déesse 8
Qui s'offre à mes regards surpris ? 8
Son aspect répand l'allégresse, 8
Et son air charme mes esprits. 8
5 Un flambeau brillant de lumière, 8
Dont sa chaste main nous éclaire, 8
Jette un feu nouveau dans les airs. 8
Quels sons, quelles douces merveilles, 8
Viennent de frapper mes oreilles 8
10 Par d'inimitables concerts ? 8
Un chœur d'esprits saints l'environne, 8
Et lui prodigue des honneurs ; 8
Les uns soutiennent sa couronne, 8
Les autres la parent de fleurs. 8
15 O miracle ! ô beautés nouvelles ! 8
Je les vois, déployant leurs ailes, 8
Former un trône sous ses pieds. 8
Ah ! je sais qui je vois paraître ! 8
France, pouvez-vous méconnaître 8
20 L'héroïne que vous voyez ? 8
Oui, c'est vous que Paris révère 8
Comme le soutien de ses lis : 8
Geneviève, illustre bergère, 8
Quel bras les a mieux garantis ? 8
25 Vous qui, par d'invisibles armes, 8
Toujours au fort de nos alarmes 8
Nous rendîtes victorieux, 8
Voici le jour où la mémoire 8
De vos bienfaits, de votre gloire, 8
30 Se renouvelle dans ces lieux. 8
Du milieu d'un brillant nuage 8
Vous voyez les humbles mortels 8
Vous rendre à l'envi leur hommage, 8
Prosternés devant vos autels ; 8
35 Et les puissances souveraines 8
Remettre entre vos mains les rênes 8
D'un empire à vos lois soumis. 8
Reconnaissant et plein de zèle, 8
Que n'ai-je su, comme eux fidèle, 8
40 Acquitter ce que j'ai promis ! 8
Mais, hélas ! que ma conscience 8
M'offre un souvenir douloureux ! 8
Une coupable indifférence 8
M'a pu faire oublier mes vœux. 8
45 Confus, j'en entends le murmure. 8
Malheureux ! je suis donc parjure ! 8
Mais non ; fidèle désormais, 8
Je jure ces autels antiques, 8
Parés de vos saintes reliques, 8
50 D'accomplir les vœux que j'ai faits. 8
Vous, tombeau sacré que j'honore, 8
Enrichi des dons de nos rois, 8
Et vous, bergère que j'implore, 8
Écoutez ma timide voix. 8
55 Pardonnez à mon impuissance, 8
Si ma faible reconnaissance 8
Ne peut égaler vos faveurs. 8
Dieu même, à contenter facile, 8
Ne croit point l'offrande trop vile 8
60 Que nous lui faisons de nos cœurs. 8
Les Indes, pour moi trop avares, 8
Font couler l'or en d'autres mains : 8
Je n'ai point de ces meubles rares 8
Qui flattent l'orgueil des humains. 8
65 Loin d'une fortune opulente, 8
Aux trésors que je vous présente 8
Ma seule ardeur donne du prix ; 8
Et si cette ardeur peut vous plaire, 8
Agréez que j'ose vous faire 8
70 Un hommage de mes écrits. 8
Eh quoi ! puis-je dans le silence 8
Ensevelir ces nobles noms 8
De protectrice de la France 8
Et de ferme appui des Bourbons ? 8
75 Jadis nos campagnes arides, 8
Trompant nos attentes timides, 8
Vous durent leur fertilité ; 8
Et, par votre seule prière, 8
Vous désarmâtes la colère 8
80 Du ciel contre nous irrité. 8
La Mort même, à votre présence, 8
Arrêtant sa cruelle faux, 8
Rendit des hommes à la France, 8
Qu'allaient dévorer les tombeaux. 8
85 Maîtresse du séjour des ombres, 8
Jusqu'au plus profond des lieux sombres 8
Vous fîtes révérer vos lois. 8
Ah ! n'êtes-vous plus notre mère, 8
Geneviève ? ou notre misère 8
90 Est-elle moindre qu'autrefois ? 8
Regardez la France en alarmes, 8
Qui de vous attend son secours ! 8
En proie à la fureur des armes, 8
Peut-elle avoir d'autre recours ? 8
95 Nos fleuves, devenus rapides 8
Par tant de cruels homicides, 8
Sont teints du sang de nos guerriers ; 8
Chaque été forme des tempêtes 8
Qui fondent sur d'illustres têtes, 8
100 Et frappent jusqu'à nos lauriers. 8
Je vois en des villes brûlées 8
Régner la mort et la terreur ; 8
Je vois des plaines désolées 8
Aux vainqueurs mêmes faire horreur. 8
105 Vous qui pouvez finir nos peines, 8
Et calmer de funestes haines, 8
Rendez-nous une aimable paix ! 8
Que Bellone, de fers chargée 8
Dans les enfers soit replongée, 8
110 Sans espoir d'en sortir jamais ! 8
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