Métrique en Ligne
VLS_1/VLS29
Léonise VALOIS
FLEURS SAUVAGES
1910
Les Ruines
(à Madame Chas W. Duckett)
Souvenir d'une excursion à Rigaud
Nous longions un chemin, non loin de la montagne, 12
En savourant à deux l'air pur de la campagne, 12
Nous avions cru tout voir du village charmant 12
Et nous nous en allions, sans regret, en causant ; 12
5 Nous discutions nos goûts sur nos fleurs favorites, 12
Tu cueillais les muguets et moi les marguerites, 12
Nous parlions du passé, de nos chers souvenirs, 12
De notre enfance heureuse et de ses doux plaisirs ; 12
Et notre intimité faisait cause commune 12
10 De mes soucis présents, de ta bonne fortune, 12
Nous devisions aussi sur le grand mot « Bonheur » 12
Qui sert à définir les mystères du cœur. 12
Nous pressâmes le pas ‒ la chaleur était grande ‒ 12
Des ruines ! m'écriai-je, et nulle autre demande 12
15 Ne t'allât supplier ; nos goûts s'étaient compris, 12
Nous gravîmes la côte, et les agneaux surpris 12
Fuyaient le vert sentier pour bondir dans la plaine, 12
Nous pardonnant ainsi d'envahir leur domaine. 12
De l'antique château, les vieux murs sont debout, 12
20 Un air de vétusté se répand sur le tout, 12
Et l'encens du silence émanant de ces pierres 12
Se mêle aux bruits confus qui semblent des prières. 12
Les marronniers en fleurs ont gardé le cachet 12
Des amoureux propos échangés en secret, 12
25 Et ces rameaux noués sont toujours les symboles 12
Des tendres cœurs épris se liant sans paroles. 12
Tout nous parle sans voix ! Seul le babil des nids, 12
En cet endroit désert confond son gazouillis 12
Aux ondes du ruisseau qui, près de là, murmure 12
30 Un air dans l'hymne doux de la grande nature. 12
Et notre esprit songeur peuple de souvenirs 12
Ce lieu tout saturé des plus riants plaisirs. 12
Vous réveillez la mort, âmes douces des choses ! 12
Au soleil de la vie, en des apothéoses, 12
35 Les âmes des aïeux viennent se ranimer, 12
Les cœurs vibrent encor du doux bonheur d'aimer ! 12
Et notre rêve ému, sous l'effet de ces charmes, 12
Croit voir tous leurs regrets se noyer dans leurs larmes ! 12
C'était déjà le soir ‒ Nous songeons au départ, 12
40 Tout le déclin du jour se dessine avec art 12
A l'horizon vermeil. Par toute la colline, 12
Tout être fait mystère et doucement s'incline… 12
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Je t'offre ce camée où j'ai mis de mon cœur, 12
Ne vas pas t'attrister de sa morne couleur 12
45 Car son relief est fait sur fond de sympathie 12
Et je ne l'ai sculpté qu'à ta demande amie. 12
logo du CRISCO logo de l'université