Métrique en Ligne
VIV_7/VIV230
Renée VIVIEN
Sillages
1908
INVOCATION
Dans l’Hadès souterrain où la nuit est parfaite 12
Te souviens-tu de l’île odorante, ô Psappha ? 12
Du verger où l’élan des lyres triompha, 12
Et des pommiers fleuris où la brise s’arrête ? 12
5 Toi qui fus à la fois l’amoureuse et l’amant, 12
Te souviens-tu d’Atthis, parmi les ombres pâles, 12
De ses refus et de ses rires, de ses râles, 12
De son corps étendu, virginal et dormant ?… 12
Te souviens-tu des hauts trépieds et de leurs flammes ? 12
10 De la voix d’Éranna, s’élevant vers la nuit, 12
Pour l’hymne plus léger qu’une aile qui s’enfuit, 12
Mais que ne perdra point la mémoire des femmes ? 12
Ouvre ta bouche ardente et musicale… Dis ! 12
Te souviens-tu de ta maison de Mytilène, 12
15 Des cris mélodieux, des baisers dont fut pleine 12
Cette demeure où tu parus et resplendis ? 12
Revois la mer, et ces côtes asiatiques 12
Si proches dans le beau violet du couchant, 12
Que, toi, tu contemplais, en méditant un chant 12
20 Sans faute, mais tiré des barbares musiques ! 12
Le Léthé peut-il faire oublier ces vergers 12
Qui dorment à l’abri des coups de vent maussades, 12
Et leurs pommes, et leurs figues, et leurs grenades, 12
Et le doux tremblement des oliviers légers ? 12
25 Peut-il faire oublier le pas lassé des chèvres 12
Vers l’étable, et l’odeur des vignes de l’été ?… 12
Dors-tu tranquillement là-bas, en vérité, 12
Toi dont le nom divin est toujours sur nos lèvres ? 12
Toi qui fus la prêtresse et l’égale des Dieux, 12
30 Toi que vint écouter l’Aphrodite elle-même, 12
Dis-nous que ton génie est demeuré suprême, 12
Que le sommeil n’a pu s’emparer de tes yeux ! 12
Parmi les flots pesants et les ombres dormantes, 12
Toi qui servis, dans sa beauté, l’Érôs vainqueur, 12
35 L’Érôs au feu subtil qui fait battre le cœur, 12
As-tu donc oublié le baiser des amantes ? 12
Les vierges de nos jours égalent en douceur 12
Celles-là que tes chants rendirent éternelles, 12
Les vignes de Lesbos sont toujours aussi belles, 12
40 La mer n’a point changé son murmure berceur. 12
Ah ! rejette en riants tes couronnes fanées ! 12
Et, si jamais l’amour te fut amer et doux, 12
Écoute maintenant et reviens parmi nous 12
Qui t’aimons à travers l’espace et les années ! 12
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