Métrique en Ligne
VIV_4/VIV124
Renée VIVIEN
La Vénus des Aveugles
1904
LA FOURRURE
Je hume en frémissant la tiédeur animale 12
D’une fourrure aux bleus d’argent, aux bleus d’opale ; 12
J’en goûte le parfum plus fort qu’une saveur, 12
Plus large qu’une voix de rut et de blasphème, 12
5 Et je respire, avec une égale ferveur, 12
La Femme que je crains et les Fauves que j’aime. 12
Mes mains de volupté glissent, en un frisson, 12
Sur la douceur de la Fourrure, et le soupçon 12
De la bête traquée aiguise ma prunelle. 12
10 Mon rêve septentrional cherche les cieux 12
Dont la frigidité m’attire et me rappelle, 12
Et la forêt où dort la neige des adieux. 12
Car je suis de ceux-là que la froideur enivre. 12
Mon enfance riait aux lumières du givre. 12
15 Je triomphe dans l’air, j’exulte dans le vent, 12
Et j’aime à contempler l’ouragan face à face. 12
Je suis fille du Nord et des Neiges, — souvent 12
J’ai rêvé de dormir sous un linceul de glace. 12
Ah ! la Fourrure où se complaît ta nudité, 12
20 Où s’exaspérera mon désir irrité ! — 12
De ta chair qui détend ses impudeurs meurtries 12
Montent obscurément les chaudes trahisons, 12
Et mon âme d’hiver aux graves rêveries 12
S’abîme dans l’odeur perfide des Toisons. 12
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