Métrique en Ligne
VIV_3/VIV117
Renée VIVIEN
Évocations
1903
LE BLOC DE MARBRE
Je dormais dans le flanc massif de la montagne… 12
Ses tiédeurs m’enivraient. Auprès de mon sommeil 12
Sourdait l’ardent effort des fleurs vers le soleil. 12
Nul ne troublait la paix large de la montagne. 12
5 Je dormais. Je semblais un astre dans la nuit, 12
Et l’ondoyant avril que l’amour accompagne 12
Tremblait divinement sur l’or de la campagne, 12
Sans rompre mon attente obscure dans la nuit. 12
Blancheur inviolée au fond de l’ombre éteinte, 12
10 J’ignorais le frisson du nuage, et le bruit 12
Des branches et des blés sous le vent qui s’enfuit 12
Et siffle… Je dormais au fond de l’ombre éteinte, 12
Lorsque tu m’arrachas à mon calme éternel, 12
Ô mon Maître ! ô Bourreau dont je porte l’empreinte ! 12
15 Dans la douleur et dans l’effroi de ton étreinte, 12
Je vécus, je perdis le repos éternel. 12
Je devins la Statue au front las, et la foule 12
Insulte d’un regard imbécile et cruel 12
Ma froide nudité sans geste et sans appel, 12
20 Pâture du désir passager de la foule. 12
Et je suis la victime orgueilleuse du Temps, 12
Car je souffre au delà de l’heure qui s’écoule. 12
Mon angoisse domine altièrement la houle 12
Gémissante qui meurt dans l’infini du Temps. 12
25 Je te hais, Créateur dont la pensée austère 12
A fait jaillir mon corps en de fiévreux instants, 12
Et dont je garde au cœur les rêves sanglotants. 12
Je porte tout le poids des soupirs de la terre, 12
Car je suis la victime orgueilleuse du Temps. 12
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