Métrique en Ligne
VIV_3/VIV115
Renée VIVIEN
Évocations
1903
LES NOYÉES
Voici l’heure de brume où flottent les Noyées, 12
Comme des nénuphars aux pétales flétris. 12
Leurs robes ont l’ampleur des voiles déployées 12
Qui ne connaîtront plus la douceur des abris. 12
5 D’étranges fleurs de mer étrangement parées, 12
Elles ont de longs bras de pieuvres, et leur corps 12
Se meut selon le rythme indolent des marées ; 12
Les remous de la vague animent leurs yeux morts. 12
Semblable aux algues d’ambre et d’or, leur chevelure 12
10 Fluide se répand en délicats réseaux, 12
Et leur âme est pareille aux conques où murmure 12
L’harmonie indécise et mouvante des eaux. 12
Elles aiment les nuits d’agonie et d’orage 12
Dont l’haleine engloutit les vaisseaux, et celui 12
15 Qui va mourir les voit au profond du naufrage, 12
Quand le dernier rayon de lune s’est enfui. 12
Elles tendent leurs mains ardentes d’amoureuses, 12
Elles tendent leurs mains en un geste d’appel, 12
Et leur lit nuptial aux profondeurs heureuses 12
20 S’entr’ouvre, parfumé d’un clair parfum de sel. 12
Elles aiment les nuits où persistent encore 12
L’ivresse et la langueur du jour, les nuits d’été 12
Brûlantes de senteurs, d’astres et de phosphore, 12
Où le rêve s’enfuit vers l’âpre volupté, 12
25 Où Psappha de Lesbôs, leur pâle Souveraine, 12
Chante l’Aphrodita qui corrompt les baisers 12
Et qui mêle au désir la stupeur et la haine, 12
L’Aphrodita qui vint des flots inapaisés, 12
L’Aphrodita puissante, aux colères divines, 12
30 Dont elle apprit jadis les solennels accents, 12
L’insatiable amour des lèvres féminines, 12
Des seins nus et des corps vierges et frémissants. 12
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