Métrique en Ligne
VIV_3/VIV109
Renée VIVIEN
Évocations
1903
L’AMANT DES SIRÈNES
Vous craignez le Désir, ô compagnons d’Ulysse. 12
Aveugles et muets, l’âme close au péril 12
De la voix qui ruisselle et du rire subtil, 12
Vous rêvez des foyers qui recueillent l’exil 12
5 Aux pieds lassés. Moi seul, ô compagnons d’Ulysse, 12
Moi seul ai dédaigné la fraude et l’artifice, 12
Moi seul ose l’Amour et le divin Péril. 12
Dénouant leurs cheveux fluides, les Sirènes, 12
Ceintes de la langueur et de l’ardeur des Morts, 12
10 S’approchent, un reflet de perles sur leurs corps. 12
Elles chantent, leur voix se mêle aux clairs accords 12
Des vagues et du vent… J’entrevois les Sirènes… 12
Elles chantent l’Amour qui corrode les veines 12
Comme un venin, et fait brûler le sang des Morts. 12
15 Elles chantent la paix de l’heureuse agonie, 12
Le sanglot nuptial dans l’ombre du Sommeil 12
Que ne pénètrent plus les flèches du soleil… 12
Elles chantent l’Amour qui s’apaise, pareil 12
Aux larmes sans douleur… Ah ! l’heureuse agonie, 12
20 Le lit où la couleur se mêle à l’harmonie, 12
Le flux et le reflux qui bercent le Sommeil… 12
Le vent m’emportera vers l’énigme des brumes… 12
J’irai, comme le mât d’un navire broyé, 12
Et j’abandonnerai mon âme de Noyé 12
25 Au rythme des remous, au velours déployé 12
Des algues, au baiser des brises et des brumes… 12
Le sel imprégnera d’étranges amertumes 12
Et de frais souvenirs mes lèvres de Noyé… 12
Ô lâches compagnons d’Ulysse ! Pour une heure 12
30 Je donne l’existence humaine ! Pour un chant 12
Vaguement répété par la mer au couchant, 12
Pour un visage à peine entrevu, se penchant 12
Sur le miroir brisé des ondes, — pour une heure, 12
J’accepte le silence où le néant demeure, 12
35 Le silence où périt la mémoire du chant… 12
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