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VIG_1/VIG8
Alfred de VIGNY
POÈMES ANTIQUES ET MODERNES
1826
LIVRE ANTIQUE
ANTIQUITÉ HOMÉRIQUES
La Dryade
Idylle dans le goût de Théocrite
Πρῶτον μὲν εὐχῇ τῆδε πρεσϐεύω θεῶν
Τὴν πρωτόμαντιν Γαῖαν…
Σέϐω δὲ Νύμφας…
Αἰσχύλος..
Honorons d'abord la Terre,
qui, la première entre les dieux,
rendit ici les oracles…
J'adore aussi les nymphes…
ESCHYLE.
Vois-tu ce vieux tronc d'arbre aux immenses racines ? 12
Jadis il s'anima de paroles divines ; 12
Mais par les noirs hivers le chêne fut vaincu. 12
Et la dryade aussi, comme l'arbre, a vécu. 12
5 (Car, tu le sais, berger, ces déesses fragiles, 12
Envieuses des jeux et des danses agiles, 12
Sous l'écorce d'un bois où les fixa le sort, 12
Reçoivent avec lui la naissance et la mort.) 12
Celle dont la présence enflamma ces bocages 12
10 Répondait aux pasteurs du sein de verts feuillages, 12
Et, par des bruits secrets, mélodieux et sourds, 12
Donnait le prix du chant ou jugeait les amours. 12
Bathylle aux blonds cheveux, Ménalque aux noires tresses, 12
Un jour lui racontaient leurs rivales tendresses. 12
15 L'un parait son front blanc de myrte et de lotus ; 12
L'autre, ses cheveux bruns de pampres revêtus, 12
Offrait à la dryade une coupe d'argile ; 12
Et les roseaux chantants enchaînés par Bathylle, 12
Ainsi que le dieu Pan l'enseignait aux mortels, 12
20 S'agitaient, suspendus aux verdoyants autels. 12
J'entendis leur prière, et de leur simple histoire 12
Les Muses et le temps m'ont laissé la mémoire. 12
MÉNALQUE
Ô déesse propice ! écoute, écoute-moi ! 12
Les faunes, les sylvains dansent autour de toi, 12
25 Quand Bacchus a reçu leur brillant sacrifice ; 12
Ombrage mes amours, ô déesse propice ! 12
BATHYLLE
Dryade du vieux chêne, écoute mes aveux ! 12
Les vierges, le matin, dénouant leurs cheveux, 12
Quand du brûlant amour la saison est prochaine, 12
30 T'adorent ; je t'adore, ô dryade du chêne ! 12
MÉNALQUE
Que Liber protecteur, père des longs festins, 12
Entoure de ses dons tes champêtres destins, 12
Et qu'en écharpe d'or la vigne tortueuse 12
Serpente autour de toi, fraîche et voluptueuse ! 12
BATHYLLE
35 Que Vénus te protège et t'épargne ses maux, 12
Qu'elle anime, au printemps, tes superbes rameaux ; 12
Et, si de quelque amour, pour nous mystérieuse, 12
Le charme te liait à quelque jeune yeuse, 12
Que ses bras délicats et ses feuillages verts 12
40 A tes bras amoureux se mêlent dans les airs ! 12
MÉNALQUE
Ida ! j'adore Ida, la légère bacchante : 12
Ses cheveux noirs, mêlés de grappes et d'acanthe, 12
Sur le tigre, attaché par une griffe d'or, 12
Roulent abandonnés ; sa bouche rit encor 12
45 En chantant Évoé ; sa démarche chancelle ; 12
Les pieds nus, ses genoux que la robe décèle, 12
S'élancent, et son œil, de feux étincelant, 12
Brille comme Phébus sous le signe brûlant. 12
BATHYLLE
C'est toi que je préfère, ô toi, vierge nouvelle, 12
50 Que l'heure du matin à nos désirs révèle ! 12
Quand la lune au front pur, reine des nuits d'été, 12
Verse au gazon bleuâtre un regard argenté, 12
Elle est moins belle encor que ta paupière blonde, 12
Qu'un rayon chaste et doux sous son long voile inonde. 12
MÉNALQUE
55 Si le fier léopard, que les jeunes sylvains 12
Attachent rugissant au char du dieu des vins, 12
Voit amener au loin l'inquiète tigresse 12
Que les faunes, troublés par la joyeuse ivresse, 12
N'ont pas su dérober à ses regards brûlants, 12
60 Il s'arrête, il s'agite, et de ses cris roulants 12
Les bois sont ébranlés ; de sa gueule béante, 12
L'écume coule à flots sur une langue ardente ; 12
Furieux, il bondit, il brise ses liens, 12
Et le collier d'ivoire et les jougs phrygiens : 12
65 Il part, et, dans les champs qu'écrasent ses caresses, 12
Prodigue à ses amours de fougueuses tendresses. 12
Ainsi, quand tu descends des cimes de nos bois, 12
Ida ! lorsque j'entends ta voix, ta jeune voix, 12
Annoncer par des chants la fête bacchanale, 12
70 Je laisse les troupeaux, la bêche matinale, 12
Et la vigne et la gerbe où mes jours sont liés : 12
Je pars, je cours, je tombe et je brûle à tes pieds. 12
BATHYLLE
Quand la vive hirondelle est enfin réveillée, 12
Elle sort de l'étang, encoreencor toute mouillée, 12
75 Et, se montrant au jour avec un cri joyeux, 12
Au charme d'un beau ciel, craintive, ouvre les yeux ; 12
Puis, sur le pâle saule, avec lenteur voltige, 12
Interroge avec soin le bouton et la tige ; 12
Et, sûre du printemps, alors, et de l'amour, 12
80 Par des cris triomphants célèbre leur retour. 12
Elle chante sa joie aux rochers, aux campagnes, 12
Et, du fond des roseaux excitant ses compagnes : 12
« Venez ! dit-elle ; allons, paraissez, il est temps ! 12
Car voici la chaleur, et voici le printemps. » 12
85 Ainsi, quand je te vois, ô modeste bergère ! 12
Fouler de tes pieds nus la riante fougère, 12
J'appelle autour de moi les pâtres nonchalants, 12
A quitter le gazon, selon mes vœux, trop lents ; 12
Et crie, en te suivant dans ta course rebelle : 12
90 « Venez ! oh ! venez voir comme Glycère est belle ! » 12
MÉNALQUE
Un jour, jour de Bacchus, loin des jeux égaré, 12
Seule je la surpris au fond du bois sacré : 12
Le soleil et les vents, dans ces bocages sombres, 12
Des feuilles sur ses traits faisaient flotter les ombres ; 12
95 Lascive, elle dormait sur le thyrse brisé ; 12
Une molle sueur, sur son front épuisé, 12
Brillait comme la perle en gouttes transparentes, 12
Et ses mains, autour d'elle, et sous le lin errantes, 12
Touchant la coupe vide, et son sein tour à tour, 12
100 Redemandaient encore et Bacchus et l'Amour. 12
BATHYLLE
Je vous adjure ici, nymphes de la Sicile, 12
Dont les doigts, sous les fleurs, guident l'onde docile ; 12
Vous reçûtes ses dons, alors que sous nos bois, 12
Rougissante, elle vint pour la première fois. 12
105 Ses bras blancs soutenaient sur sa tête inclinée 12
L'amphore, œuvre divine aux fêtes destinée, 12
Qu'emplit la molle poire, et le raisin doré, 12
Et la pêche au duvet de pourpre coloré ; 12
Des pasteurs empressés l'attention jalouse 12
110 L'entourait, murmurant le nom sacré d'épouse ; 12
Mais en vain : nul regard ne flatta leur ardeur ; 12
Elle fut toute aux dieux et toute à la pudeur. 12
――――――
Ici, je vis rouler la coupe aux flancs d'argile ; 12
Le chêne ému tremblait, la flûte de Bathylle 12
115 Brilla d'un feu divin ; la dryade un moment, 12
Joyeuse, fit entendre un long frémissement, 12
Doux comme les échos dont la voix incertaine 12
Murmure la chanson d'une flûte lointaine. 12
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