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VIG_1/VIG7
Alfred de VIGNY
POÈMES ANTIQUES ET MODERNES
1826
LIVRE ANTIQUE
ANTIQUITÉ HOMÉRIQUES
Le Somnanbule
Poème
À M. SOUMET,
Auteur de Clytemnestre et de Saül.
Ὅρα δὲ πληγάς τάςδε, καρδία σέθεν.
Εὕδουσα γὰρ φρὴν ὄμμασιν λαμπρύνεται,
Ἐν ἡμέρᾳ δὲ μοῖρ’ ἀπρόσκοπος βροτῶν.
Αἰσχύλος..
Voyez, en esprit, ces blessures :
l'esprit, quand on dort, a des yeux,
et, quand on veille, il est aveugle.
ESCHYLE.
« Déjà, mon jeune époux ? Quoi ! l'aube paraît-elle ? 12
Non ; la lumière, au fond de l'albâtre, étincelle 12
Blanche et pure, et suspend son jour mystérieux ; 12
La nuit règne profonde et noire dans les cieux. 12
5 Vois, la Clepsydre encor n'a pas versé trois heures ; 12
Dors près de ta Néra, sous nos chastes demeures, 12
Viens, dors près de mon sein. » Mais lui, furtif et lent, 12
Descend du lit d'ivoire et d'or étincelant. 12
Il va, d'un pied prudent, chercher la lampe errante, 12
10 Dont il garde les feux dans sa main transparente, 12
Son corps blanc est sans voile, il marche pas à pas, 12
L'œil ouvert, immobile, en murmurant tout bas : 12
――――――
« Je la vois, la parjure !… Interrompez vos fêtes, 12
Aux mânes un autel… des cyprès sur vos têtes… 12
15 Ouvrez, ouvrez la tombe… Allons… qui descendra ? » 12
Cependant à genoux et tremblante, Néra, 12
Ses blonds cheveux épars, se traîne. » Arrête, écoute, 12
Arrête, ami ! les dieux te poursuivent, sans doute ; 12
Au nom de la pitié, tourne tes yeux sur moi ; 12
20 Vois, c'est moi, ton épouse en larmes devant toi ; 12
Mais tu fuis ; par tes cris ma voix est étouffée ! 12
Phoebé, pardonnez-lui ; pardonne-lui, Morphée. » 12
――――――
« J'irai… je frapperai… le glaive est dans ma main ; 12
Tous les deux… Pollion… c'est un jeune Romain… 12
25 Il ne résiste pas. Dieux ! qu'il est faible encore ! 12
D'un blond duvet, son front à peine se décore, 12
L'amour a couronné ce luxe éblouissant… 12
Écartez ce manteau, je ne vois pas le sang. » 12
Mais elle : « Ô mon amant ! compagnon de ma vie ! 12
30 Des foyers maternels si ton char m'a ravie 12
Tremblante mais complice, et si nos vœux sacrés 12
Ont fait luire à l'Hymen des feux prématurés, 12
Par cette sainte amour nouvellement jurée, 12
Par l'antique Vesta, par l'immortelle Rhée 12
35 Dont j'embrasse l'autel, jamais nulle autre ardeur 12
De mes pieux serments n'altéra la candeur ; 12
Non, jamais Pénélope, à l'aiguille pudique, 12
Plus chaste n'a vécu sous la foi domestique. 12
Pollion, quel est-il ? ― Je tiens tes longs cheveux… 12
40 Je dédaigne tes pleurs et tes tardifs aveux, 12
Corinne, tu mourras… ― Ce n'est pas moi ! Ma mère, 12
Il ne m'a point aimée ! Oh ! ta sainte colère 12
A comme un Dieu vengeur poursuivi nos amours ! 12
Que n'ai-je cru ma mère, et ses prudents discours ? 12
45 Je ne détourne plus ta sacrilège épée ; 12
Tiens, frappe, j'ai vécu, puisque tu m'as trompée 12
Ah ! Cruel !… mon sang coule !… Ah ! reçois mes adieux, 12
Puisses-tu ne jamais t'éveiller ! ― Justes dieux ! » 12
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