LIVRE ANTIQUE |
ANTIQUITÉ HOMÉRIQUES |
Le Somnanbule |
Poème |
À M. SOUMET,
Auteur de Clytemnestre et de Saül.
Ὅρα δὲ πληγάς τάςδε, καρδία σέθεν.
Εὕδουσα γὰρ φρὴν ὄμμασιν λαμπρύνεται,
Ἐν ἡμέρᾳ δὲ μοῖρ’ ἀπρόσκοπος βροτῶν.
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Αἰσχύλος..
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Voyez, en esprit, ces blessures :
l'esprit, quand on dort, a des yeux,
et, quand on veille, il est aveugle.
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ESCHYLE.
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« Déjà, mon jeune époux ? Quoi ! l'aube paraît-elle ? |
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Non ; la lumière, au fond de l'albâtre, étincelle |
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Blanche et pure, et suspend son jour mystérieux ; |
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La nuit règne profonde et noire dans les cieux. |
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Vois, la Clepsydre encor n'a pas versé trois heures ; |
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Dors près de ta Néra, sous nos chastes demeures, |
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Viens, dors près de mon sein. » Mais lui, furtif et lent, |
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Descend du lit d'ivoire et d'or étincelant. |
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Il va, d'un pied prudent, chercher la lampe errante, |
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Dont il garde les feux dans sa main transparente, |
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Son corps blanc est sans voile, il marche pas à pas, |
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L'œil ouvert, immobile, en murmurant tout bas : |
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« Je la vois, la parjure !… Interrompez vos fêtes, |
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Aux mânes un autel… des cyprès sur vos têtes… |
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Ouvrez, ouvrez la tombe… Allons… qui descendra ? » |
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Cependant à genoux et tremblante, Néra, |
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Ses blonds cheveux épars, se traîne. » Arrête, écoute, |
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Arrête, ami ! les dieux te poursuivent, sans doute ; |
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Au nom de la pitié, tourne tes yeux sur moi ; |
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Vois, c'est moi, ton épouse en larmes devant toi ; |
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Mais tu fuis ; par tes cris ma voix est étouffée ! |
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Phoebé, pardonnez-lui ; pardonne-lui, Morphée. » |
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« J'irai… je frapperai… le glaive est dans ma main ; |
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Tous les deux… Pollion… c'est un jeune Romain… |
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Il ne résiste pas. Dieux ! qu'il est faible encore ! |
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D'un blond duvet, son front à peine se décore, |
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L'amour a couronné ce luxe éblouissant… |
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Écartez ce manteau, je ne vois pas le sang. » |
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Mais elle : « Ô mon amant ! compagnon de ma vie ! |
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Des foyers maternels si ton char m'a ravie |
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Tremblante mais complice, et si nos vœux sacrés |
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Ont fait luire à l'Hymen des feux prématurés, |
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Par cette sainte amour nouvellement jurée, |
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Par l'antique Vesta, par l'immortelle Rhée |
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Dont j'embrasse l'autel, jamais nulle autre ardeur |
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De mes pieux serments n'altéra la candeur ; |
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Non, jamais Pénélope, à l'aiguille pudique, |
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Plus chaste n'a vécu sous la foi domestique. |
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Pollion, quel est-il ? ― Je tiens tes longs cheveux… |
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Je dédaigne tes pleurs et tes tardifs aveux, |
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Corinne, tu mourras… ― Ce n'est pas moi ! Ma mère, |
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Il ne m'a point aimée ! Oh ! ta sainte colère |
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A comme un Dieu vengeur poursuivi nos amours ! |
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Que n'ai-je cru ma mère, et ses prudents discours ? |
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Je ne détourne plus ta sacrilège épée ; |
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Tiens, frappe, j'ai vécu, puisque tu m'as trompée |
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Ah ! Cruel !… mon sang coule !… Ah ! reçois mes adieux, |
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Puisses-tu ne jamais t'éveiller ! ― Justes dieux ! » |
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Écrit en
1819.
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