Métrique en Ligne
VIC_1/VIC9
Gabriel VICAIRE
L’Heure enchantée
1890
Tristesse de la Vierge
I
Relevant de sa main blanche 7
Ses cheveux couleur de miel, 7
La Vierge un instant se penche 7
Au balcon doré du ciel. 7
5 Elle regarde le monde 7
Qui s’éveille à l’Orient, 7
Les étoiles dont la ronde 7
Passe, passe en tournoyant. 7
Aucun bruit dans l’étendue 7
10 À peine le cri lointain 7
D’une alouette éperdue, 7
Appelant le gai matin. 7
Et cette voix qui s’élance 7
Vers l’azur et les clartés, 7
15 Se fond dans le grand silence 7
Des espaces enchantés. 7
II
La Vierge écoute. Elle rêve, 7
Seulette au balcon des cieux. 7
Doucement le jour se lève, 7
20 Illuminant ses doux yeux. 7
Tout semé de rayons roses, 7
Le ciel s’éclaire, et soudain 7
La terre, au milieu des roses, 7
Apparaît comme un jardin. 7
25 Avec sa verte ceinture 7
De forêts au front changeant, 7
Elle semble, à l’aventure, 7
Voguer sur un lac d’argent. 7
Qu’elle est charmante et fleurie, 7
30 Sa face au-dessus des eaux ! 7
Que d’allégresse attendrie 7
Dans le chant de ses oiseaux ! 7
La vierge rêve. Elle admire 7
La parure des prés verts ; 7
35 En ses yeux divins se mire 7
La fraîcheur de l’univers. 7
Son âme s’est envolée, 7
Légère comme autrefois, 7
Vers l’heureuse Galilée 7
40 Où l’eau chante dans les bois. 7
Elle a connu cette aurore, 7
Quand elle était parmi nous ; 7
Elle croit sentir encore 7
Son enfant sur ses genoux. 7
45 À quoi bon le chœur des anges, 7
Le Paradis et sa cour, 7
Puisque Jésus dans ses langes 7
Lui sourit avec amour ! 7
III
Délicate fleur du songe, 7
50 Que ton éclat dure peu ! 7
Était-ce donc un mensonge, 7
Cette paix du grand ciel bleu ? 7
Sur le riant paysage 7
Une ombre noire a passé ; 7
55 L’homme a montré son visage, 7
La vie a recommencé. 7
La vierge qui s’inquiète 7
Se penche, et son cœur aimant 7
Entend la plainte que jette 7
60 Le monde éternellement. 7
Dieu, là-bas, tant de souffrance 7
Et qui fait si peu de bruit ! 7
Que d’êtres sans espérance 7
Ont pleuré toute la nuit ! 7
65 C’est grand’pitié. Notre Dame 7
Soupire en joignant les mains, 7
Comme au temps où, pauvre femme, 7
Elle errait par les chemins. 7
Elle se voit quasi morte 7
70 De lassitude et d’effroi ; 7
Chacun lui ferme sa porte ; 7
Son petit Jésus a froid. 7
Son enfant, tout son courage, 7
Ah ! comment le protéger ! 7
75 Les bourreaux sont à l’ouvrage, 7
On va venir l’égorger. 7
Et celle dont la parole 7
Éblouit le firmament, 7
Sur la terre, hélas ! si folle, 7
80 Pleure, pleure amèrement. 7
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