Métrique en Ligne
VIC_1/VIC1
Gabriel VICAIRE
L’Heure enchantée
1890
Une Fée
I
Ah ! c’est une fée 5
Toute jeune encor, 5
Ah ! c’est une fée 5
De lune coiffée. 5
5 À sa robe verte 5
Un papillon d’or, 5
À sa robe verte, 5
À peine entr’ouverte. 5
Elle va légère, 5
10 Au son du hautbois, 5
Elle va légère 5
Comme une bergère. 5
Elle suit la ronde 5
Des dames des bois, 5
15 Elle suit la ronde 5
Qui va par le monde. 5
Sa gorge enfantine 5
Tremble doucement, 5
Sa gorge enfantine 5
20 Couleur d’églantine. 5
Elle ignore même 5
Qu’on ait un amant. 5
Elle ignore même 5
Ce doux mot : Je t’aime ! 5
II
25 Or, une nuit d’été, sous la lune d’opale, 12
Comme elle passait blanche, une fleur à la main, 12
À cette heure où le ciel se teint de rose pâle, 12
Tremblante, elle s’arrête au détour d’un chemin. 12
Parmi les boutons d’or, dans l’herbe, sous les saules, 12
30 Un jeune homme était là, qui semblait endormi. 12
De blonds cheveux couvraient ses robustes épaules. 12
Sa bouche souriait, entr’ouverte à demi. 12
Il se lève, et ses yeux, d’où sort une lumière, 12
Regardent fixement le fantôme enchanté. 12
35 Est-ce un rêve ? Jamais châtelaine ou fermière 12
N’eut cet air de candeur et cette pureté. 12
Elle aussi le regarde et bientôt s’émerveille. 12
Robin n’approche pas de cet adolescent. 12
« Quel songe ! » pense-t-elle, et voici que s’éveille 12
40 L’aurore de l’amour en son cœur innocent. 12
— « Miraculeuse enfant de cette nuit charmante, 12
Viens-tu pour m’éblouir d’un pays fabuleux ? 12
Dis à ton serviteur une parole aimante ; 12
Laisse-moi, sans colère, adorer tes yeux bleus. » 12
45 Il s’est mis à genoux au milieu des pervenches, 12
Radieux et fleuri comme le fils du roi. 12
Elle avait peur. Bien vite il a pris ses mains blanches 12
Et murmure tout bas : — « Je te veux ; réponds-moi. » 12
Elle aurait dû s’enfuir. Déjà les vieilles fées, 12
50 Là-bas, là-bas, sous terre, apprêtaient leurs fuseaux. 12
D’invisibles lilas envoyaient leurs bouffées ; 12
On entendait au loin le réveil des oiseaux. 12
Elle aurait dû s’enfuir. Mais les bois et la plaine, 12
La rivière et le vent, tout lui parlait d’aimer, 12
55 Et, laissant de ses doigts tomber la marjolaine, 12
Elle sentait son cœur prêt à se consumer… 12
Ô merveilleux hymen du ciel et de la terre ! 12
Chantez, beaux rossignols, la chanson des époux. 12
Ouvrez, sombres forêts, vos portes de mystère. 12
60 Éternelle jeunesse, épanouissez-vous ! 12
Chaque jour, depuis lors, dès que la nuit câline 12
En ses bras maternels berce le monde enfant, 12
Dans le bois qui scintille en haut de la colline, 12
Ils vont cueillir la fleur de l’amour triomphant. 12
65 L’étoile du berger les cherche dans l’espace. 12
Les murmures d’en bas leur viennent apaisés. 12
Comme un vol d’oiseaux blancs qui passe et puis repasse, 12
La lune sur leur bouche argente leurs baisers. 12
Elle dit : « Prends-moi toute, ô mon seigneur superbe. 12
70 Je tremblais. Ton regard m’a bientôt rassuré. 12
Je suis le liseron qui se cache dans l’herbe ; 12
Toi, maître, le grand arbre au feuillage doré. » 12
Il répond : « Comme un prêtre à la porte du temple, 12
J’aime à tes pieds divins, chère, à m’agenouiller. 12
75 Toute mon âme brûle alors que je contemple 12
L’anémone d’argent que je n’ose effeuiller. » 12
Parfois, en pleins fourrés, une harde s’élance, 12
Et, l’oreille aux aguets, suit le bruit de leurs pas. 12
Ils vont. Leur amour seul éveille le silence. 12
80 Le temps heureux s’envole. Ils ne s’en doutent pas. 12
Mais quand l’aube, en chantant, les mains pleines de roses, 12
Frappe à coups redoublés à la porte des cieux, 12
Quand les heures de jour passent en robes roses, 12
Oh ! la peine cruelle et les tristes adieux ? 12
85 — « Entends-tu, cher trésor, le chant de l’alouette ? » 12
— « L’Orient s’illumine. Il faut nous séparer. » 12
En leurs yeux attristés pâlit la violette. 12
La fée a pris son vol et s’est mise à pleurer. 12
Elle s’évanouit, ainsi qu’une fumée 12
90 Que le vent éparpille à l’horizon lointain, 12
Et, lui, regarde encor l’image bien aimée 12
Se fondre lentement dans le bleu du matin. 12
III
Hélas ! hélas ! on épie 7
Ton amour, pauvre garçon. 7
95 Voici beau jour que la pie 7
L’a dit au colimaçon. 7
Depuis longtemps la vipère 7
S’en gausse avec le corbeau. 7
Tous deux font très bien la paire. 7
100 Des secrets c’est le tombeau. 7
Carabosse et Mélusine 7
À leur tour ont clabaudé. 7
— « Écoutez, voisin, voisine, 7
Notre sœur a cascadé. 7
105 « Et celui qu’elle préfère, 7
C’est le garçon du moulin. » 7
— « Pas possible ! Quelle affaire ! 7
Seigneur, que c’est donc vilain ! 7
« Narrez-nous toujours la chose. » 7
110 — « Voici : C’était un beau blond. 7
Ils se rencontraient… Je n’ose 7
Vraiment en dire plus long. » 7
— « Bah, racontez tout de même. » 7
— « Eh bien ! donc, il lui parla. 7
115 Elle répondit : Je t’aime. » 7
— « Tiens, tiens, voyez-vous cela. » 7
— « Et depuis lors, Dieu sait comme 7
En plein bois ils se baisaient. » 7
— « Oh, maman ! Baiser un homme ! » 7
120 — « C’est pourtant ce qu’ils faisaient. » 7
— « Et d’où vient cette nouvelle ? » 7
— « C’est Robin qui l’apporta. » 7
— « Pauvre Sœur ! » — « Pas de cervelle ! » 7
— « Patati — et patata ! » 7
IV
125 Titania, la reine aux doux yeux d’améthyste, 12
Ignorait tout encor. Sa fine camériste 12
Lui conte l’aventure, un soir, en la coiffant : 12
— « Que dis-tu là, ma bonne, une si douce enfant ! » 12
— « Hélas ! madame, hélas ! la chose est trop certaine. » 12
130 — « Encore si c’était avec un capitaine ! » 12
Et le soir même, avant d’entrer en son lit bleu, 12
La belle a tout appris à son époux. — « Corbleu ! 12
Fait Obéron, ceci dépasse un peu les bornes. 12
N’est-il plus au village assez de maritornes 12
135 Pour qu’on laisse en repos les dames de ma cour ! 12
Un homme à notre sœur déclarer son amour ! 12
L’affaire est scandaleuse ; un exemple s’impose. 12
Vite, allez-moi quérir la coupable, et qu’elle ose 12
Faire à nos pieds l’aveu de son indignité. » 12
140 Un grand lit de justice est sur l’heure arrêté. 12
On s’y rend de partout et même du royaume 12
De Belzébuth. Follet, Sylphe, Lutin ou Gnome, 12
Chacun veut avoir part à la fête. Voici 12
D’aimables compagnons sentant fort le roussi, 12
145 Puck, Robin Bon-Enfant qui joue avec les filles, 12
Et le soir, dans leur lit, fourre un paquet d’aiguilles, 12
Ariel qui soupire on ne sait trop pourquoi, 12
Jacques l’enchifrené qui reste toujours coi, 12
Charlot, Jean de la Lune et Pierre les Dimanches, 12
150 Et le roi des Coucous et la reine des Tanches. 12
Comme des églantiers les uns sont droits et verts, 12
Les autres sont tortus et vont tout de travers. 12
Il en est qui sont fiers d’arborer une bosse. 12
Les uns vont à cheval, les autres en carrosse. 12
155 D’aucuns marchent courbés sur d’énormes bâtons ; 12
Leur nez fait la causette avec leurs trois mentons, 12
Et, branlants comme il sied à des personnes d’âge, 12
Ils gémissent : « Oh, oh ! que de dévergondage ! » 12
Avec un galurin sur sa tête d’oiseau, 12
160 Plus d’une mère-grand file son blanc fuseau. 12
Derrière on aperçoit, en robes dégrafées, 12
Les ondines du bois joli, les jeunes fées 12
Qui se poussent du coude et rient du coin de l’œil. 12
Et tout ce monde, heureux ou triste, en joie, en deuil, 12
165 Va, vient, court, coassant comme un cent de grenouilles. 12
Des vieilles en fureur brandissent leurs quenouilles. 12
Plick fait un pied de nez, Plock un saut périlleux, 12
Quand tout à coup plus rien. Silence merveilleux. 12
Le Seigneur Obéron paraît sur la pelouse 12
170 Et donne galamment la droite à son épouse, 12
Dont le corsage en fleur semble tout un jardin. 12
— « Messieurs, la cour, glapit l’huissier, un vieil ondin. 12
Silence et chapeau bas, on appelle la cause. » 12
Et voici venir, fraîche et blonde et toute rose, 12
175 La délinquante. Hélas ! Elle est en grand émoi, 12
Très fière cependant. — « Approche, dit le roi, 12
On m’en a raconté de belles sur ton compte. 12
Une fée embrasser un homme, quelle honte ! 12
Si le fait est prouvé, tu sais ce qui t’attend. 12
180 Nous ne te voulons plus chez nous. En un instant, 12
Comme ton bel ami, tu deviendras mortelle. 12
Plus de robes d’argent, d’or ou de brocatelle, 12
Plus de rondes, le soir, dans le cercle enchanté. 12
La bise, en peu de temps, fanera ta beauté. 12
185 Il te faudra bientôt, villageoise enlaidie, 12
Subir la pauvreté, le froid, la maladie, 12
Mener paître les veaux tous les jours que Dieu fait, 12
Et danser, ventre vide, en face du buffet. 12
Le front ceint de fenouil, de rue et d’amourette, 12
190 Nous irons, folâtrant et riant. Toi, pauvrette, 12
Tu tireras la langue avec ton étourdi. » 12
À grands coups de battoir l’auditoire applaudit. 12
L’enfant tremble et pâlit un peu. Toujours coquette, 12
Elle fait trois saluts comme veut l’étiquette, 12
195 Et murmure : « Madame, et vous, Seigneur… » — « Bon, bon, 12
Est-il vrai qu’on t’ait vue avec ce vagabond ? » 12
Une faible rougeur est montée à sa joue ; 12
Frémissante et superbe, elle répond : — « J’avoue. 12
« Mon gentil roi, 4
200 Ma douce reine, 4
L’amour m’entraîne ; 4
Oubliez-moi. 4
« Et vous de même, 4
Esprits mutins, 4
205 Sylphes, lutins, 4
Frères que j’aime. 4
« Je n’irai plus 4
Voir sur la lande 4
La sarabande 4
210 Des nains velus, 4
« Au loin surprendre 4
Le doux secret 4
Qu’à la forêt 4
Dit la nuit tendre, 4
215 Faire, en soufflant, 4
Quand l’aube approche, 4
Tinter la cloche 4
Du muguet blanc. 4
« Adieu, fleurettes 4
220 Au cœur rusé 4
Dont j’ai frisé 4
Les collerettes, 4
« Adieu, adieu, 4
Beaux scarabées, 4
225 Perles tombées 4
Du grand ciel bleu, 4
« Ombres légères 4
Du bois joli 4
Où j’ai mon lit 4
230 Dans les fougères, 4
« Lune d’argent, 4
Miroir céleste, 4
Adieu, je reste 4
Avec mon Jean ! 4
235 « Combien sa bouche 4
A de douceur ! 4
Mon ravisseur 4
N’est point farouche. 4
« D’un bras vaillant, 4
240 Blanc comme neige, 4
Il me protège 4
En souriant. 4
« À la rosée, 4
Plus de cent fois, 4
245 Il m’a dit : Sois 4
Mon épousée. 4
« Rire, jaser, 4
La pauvre affaire ! 4
Moi, je préfère 4
250 Un franc baiser… 4
« Mon roi, ma reine, 4
Toute la cour, 4
Vive l’amour 4
Qui nous entraîne ! 4
255 « De ce garçon 4
Je suis coiffée. 4
Adieu la fée 4
Et sa chanson ! » 4
V
Dans un pré semé de fleurettes jaunes, 10
260 Un pré qui scintille au soleil levant, 10
Je sais quelque part, sous un bouquet d’aulnes, 10
Une maisonnette à l’abri du vent. 10
Elle est fort ancienne et toute petite. 10
Mais quand le matin point à l’horizon, 10
265 Comme elle sourit, dans la clématite, 10
Avec son toit bleu, la chère maison ! 10
C’est là qu’oubliant les métamorphoses 10
De la lune pâle et du vent moqueur, 10
L’adorable enfant effeuille des roses, 10
270 Son fidèle ami tout près de son cœur ! 10
Elle n’est plus fée, elle est toujours sage, 10
Et, tendre et jolie, elle garde encor 10
Un brin d’églantine à son fin corsage, 10
Un nœud de ruban dans ses tresses d’or. 10
275 Le jupon troussé comme une bergère, 10
Elle vole ainsi qu’un oiseau des bois ! 10
Elle apaise tout de sa main légère ; 10
Un charme est encore au bout de ses doigts. 10
L’époux qui revient, au soir, de l’ouvrage, 10
280 Les bras fatigués et le pied poudreux, 10
S’arrête un instant et reprend courage. 10
Son cœur bat gaiement, son cœur amoureux. 10
Il a vu de loin sa mignonne blonde, 10
Douce comme un rêve au milieu des blés, 10
285 Bercer, en chantant quelque vieille ronde, 10
Un amour d’enfant aux cheveux bouclés. 10
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