Métrique en Ligne
VHR_3/VHR94
Émile VERHAEREN
LES SOIRS
1887
LES DÉBÂCLES
1888
DÉFORMATION MORALE
DIALOGUE
…Sois ton bourreau toi-même ; 6
N’abandonne l’amour de te martyriser 12
À personne, jamais. Donne ton seul baiser 12
Au désespoir ; déchaîne en toi l’âpre blasphème ; 12
5 Force ton âme, éreinte-la contre l’écueil : 12
Les maux du cœur qu’on exaspère, on les commande ; 12
La vie, hélas ! ne se supporte et ne s’amende 12
Que si la volonté la terrasse d’orgueil ; 12
Sa norme est la douleur. Hélas ! qui s’y résigne ? 12
10 — Certes, je veux nouer mes tortures en moi : 12
Comme jadis les grands chrétiens, mordus de foi, 12
S’émaciaient, avec une ferveur maligne, 12
Je veux boire les souffrances, comme un poison 12
Vivant et fou ; je cinglerai de mon angoisse 12
15 Mes pauvres jours, ainsi qu’un tocsin de paroisse 12
S’exalte à disperser le deuil sur l’horizon. 12
Cet héroïsme intime et bizarre m’attire : 12
Se préparer sa peine et provoquer son mal, 12
Avec acharnement, et dompter l’animal 12
20 De misère et de peur, qui dans le cœur se mire 12
Toujours ; se redresser cruel et contre soi, 12
Vainqueur de quelque chose enfin, et moins languide 12
Et moins banalement en extase du vide. 12
— Sois ton pouvoir, sois ton tourment, sois ton effroi. 12
25 Et puis, il est des champs d’hostilités tentantes 12
Que des hommes de marbre, avec de fortes mains, 12
Ont cultivés, il est de terribles chemins ; 12
Par où des pas battants et des marches battantes 12
Sont entendus : c’est là, que sur tel roc vermeil, 12
30 Le soir allume, au loin, le sang et les tueries 12
Et que luisent, parmi les lianes flétries, 12
Des éclatants couteaux de crime et de soleil ! 12
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