Métrique en Ligne
VHR_3/VHR93
Émile VERHAEREN
LES SOIRS
1887
LES SOIRS
I
DÉCORS LIMINAIRES
À TÉNÈBRES
Un catafalque d’or surgit au fond des soirs, 12
Quand les astres, comme des lampes, 8
Brûlent, en étageant leurs rampes, 8
Vers les lointains d’argent marbrant des parvis noirs. 12
5 Quel mort en ce cercueil ? Le cœur des hommes d’ombre. 12
Non des banals victorieux 8
Dont l’audace brûle les yeux, 8
Mais le cœur des vaincus que la tristesse encombre. 12
Ils ont passé rêveurs, muets, hagards et seuls, 12
10 Toujours découragés d’eux-mêmes, 8
Laissant l’éclat des diadèmes 8
À d’autres fronts et se vêtant de leurs linceuls. 12
Après, se regardant, inquiets et des choses 12
Et des autres — et sans amours ; 8
15 Et néanmoins cherchant toujours 8
Sur les fumiers du monde à se nourrir de roses. 12
Lointainement par les grands mirages tentés, 12
Et par les gloires médusaires, 8
Mais peur des vices nécessaires, 8
20 Et du cynique assaut de tant d’hostilités. 12
Leurs bras, rameaux tendus vers le printemps des rêves, 12
Sont retombés, — et pas un fruit, 8
Pas une fleur d’or ou de nuit, 8
Jamais, pas un seul rut de feuilles ni de sèves. 12
25 Ce qui flottait de Dieu dans l’albe immensité, 12
— Douceur éparse et messagère — 8
On l’a cristallisé naguère 8
Au seuil des temps, en des vases d’éternité. 12
Mais le cristal s’en est fêlé. Les grands calices 12
30 Se sont vidés de l’infini. 8
Et maintenant l’esprit bruni 8
De trouble et les regards usés par les supplices, 12
Raffinés de la mort, nous l’invoquons les soirs, 12
Quand les astres, comme des lampes, 8
35 Brûlent, en étageant leurs rampes, 8
Vers les lointains d’argent marbrant des parvis noirs. 12
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