Métrique en Ligne
VHR_2/VHR58
Émile VERHAEREN
LES MOINES
1885
MÉDITATION
Heureux, ceux-là, Seigneur, qui demeurent en toi, 12
Le mal des jours mauvais n’a point rongé leur âme, 12
La mort leur est soleil et le terrible drame 12
Du siècle athée et noir n’entame point leur foi. 12
5 Obscurs pour nos regards, ils sont pour loi les lampes, 12
Que les anges sur terre, avec leurs doigts tremblants, 12
Allument dans les soirs mortuaires et blancs 12
Et rangent comme un nimbe à l’entour de tes tempes. 12
Heureux le moine doux, pour qui l’orgueil n’est point, 12
10 Dont les yeux n’ont jamais, si ce n’est en prière, 12
Comme des braises d’or avivé leur lumière 12
Et dont l’amour retient le cœur à ton cœur joint. 12
Son esprit lumineux, telle une aube pascale, 12
Jette des feux pieux comme des fleurs de ciel ; 12
15 Il marche sans péché, ni désir véniel, 12
Comme en une fraîcheur de paix dominicale. 12
Heureux le moine saint s’abattant à genoux, 12
Devant ta croix, dressant au ciel ses larges charmes, 12
Et qui lave ton nom avec les mêmes larmes 12
20 Que nous prostituons à nos douleurs à nous. 12
Son cœur est tel qu’un lac dans la montagne blanche, 12
Qui réverbère en ses pâles miroirs dormants 12
Et ses vagues de prisme emplis de diamants 12
Toute clarté de Dieu qui sur terre s’épanche. 12
25 Heureux le moine rude, ardent, terrible, amer, 12
Dont le sang se déperd aux larmes des supplices, 12
Dont la peau se lacère aux griffes des cilices 12
Et qui traîne vers toi les loques de sa chair. 12
Pour en tordre le mal, ses mains tortionnaires 12
30 Ont d’un si noir effort étreint son corps pâmé, 12
Qu’il n’est plus qu’âme enfin et qu’il vit sublimé, 12
Tout seul, comme un rocher meurtri par les tonnerres. 12
Heureux les moines grands, heureux tous ceux qui vont 12
Là-bas, en des chemins de paix et de prière, 12
35 Les regards aimantés par la vague lumière 12
Qui se fait deviner par delà l’horizon. 12
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