Métrique en Ligne
VHR_1/VHR3
Émile VERHAEREN
LES FLAMANDES
1883
ART FLAMAND
I
Art flamand, tu les connus, toi, 8
Et tu les aimas bien, les gouges, 8
Au torse épais, aux tétons rouges ; 8
Tes plus fiers chefs-d'œuvre en font foi. 8
5 Que tu peignes reines, déesses, 8
Ou nymphes, émergeant des flots 8
Par troupes, en roses îlots, 8
Ou sirènes enchanteresses, 8
Ou femelles aux contours pleins, 8
10 Symbolisant les saisons belles, 8
Grand art des maîtres, ce sont elles, 8
Ce sont les gouges que tu peins. 8
Et pour les créer, grasses, nues, 8
Toutes charnelles, ton pinceau 8
15 Faisait rougeoyer sous leur peau 8
Un feu de couleurs inconnues. 8
Elles flamboyaient de tons clairs, 8
Leurs yeux s'allumaient aux étoiles, 8
Et leurs poitrines sur tes toiles 8
20 Formaient de gros bouquets de chair. 8
Les Sylvains rôdaient autour d'elles, 8
Ils se roulaient, suant d'amour, 8
Dans les broussailles d'alentour 8
Et les fourrés pleins de bruits d'ailes. 8
25 Ils amusaient par leur laideur, 8
Leurs yeux, points ignés trouant l'ombre, 8
Illuminaient, dans un coin sombre, 8
Leurs sourires, gras d'impudeur. 8
Ces chiens en rut cherchaient des lices ; 8
30 Elles, du moins pour le moment, 8
Se défendaient, frileusement, 8
Roses, et resserrant les cuisses. 8
Et telles, plus folles encor, 8
Arrondissant leurs hanches nues, 8
35 Et leurs belles croupes charnues, 8
Où cascadaient leurs cheveux d'or, 8
Les invitaient aux assauts rudes, 8
Les excitaient à tout oser, 8
Bien que pour le premier baiser 8
40 Ces femelles fissent les prudes. 8
II
Vous conceviez, maîtres vantés, 8
Avec de larges opulences, 8
Avec de rouges violences, 8
Les corps charnus de vos beautés. 8
45 Les femmes pâles et moroses 8
Ne miraient pas dans vos tableaux, 8
Comme la lune au fond des eaux, 8
Leur étisie et leurs chloroses, 8
Leurs fronts tristes, comme les soirs, 8
50 Comme les dolentes musiques, 8
Leurs yeux malades et phtisiques, 8
Où micassent les désespoirs, 8
Leurs grâces fausses et gommées, 8
S'allanguissant sur les sofas, 8
55 Sous des peignoirs en taffetas 8
Et des chemises parfumées. 8
Vos pinceaux ignoraient le fard, 8
Les indécences, les malices 8
Et les sous-entendus de vices. 8
60 Qui clignent de l'œil dans notre art, 8
Et les Vénus de colportage, 8
Les rideaux à demi tirés, 8
Les coins de chair moitié montrés 8
Dans les nids du décolletage, 8
65 Les sujets vifs, les sujets mous, 8
Les Cythères des bergeries, 8
Les pâmoisons, les hystéries, 8
L'alcôve — Vos femmes à vous, 8
Dans la splendeur des paysages, 8
70 Et des palais, lambrissés d'or, 8
Dans la pourpre et dans le décor 8
Somptueux des anciens âges, 8
Vos femmes suaient la santé, 8
Rouge de sang, blanche de graisse ; 8
75 Elles menaient les ruts en laisse 8
Avec des airs de royauté. 8
logo du CRISCO logo de l'université