Métrique en Ligne
VHR_1/VHR23
Émile VERHAEREN
LES FLAMANDES
1883
TRUANDAILLES
Dites ! jadis, ripaillait-on 8
Dans les bouges et dans les fermes : 8
Les gars avaient les reins plus fermes 8
Et les garces plus beau téton. 8
5 Alors, en de longues tablées, 8
Autour des mets grossiers, mais bons, 8
Autour des lards et des jambons, 8
Et des mangeailles rassemblées, 8
De grands buveurs compacts et forts 8
10 Riaient, chantaient, gueulaient à boire, 8
Bâfraient à casser leur mâchoire, 8
Hurlaient à réveiller les morts. 8
Chacun avait, à droite, à gauche, 8
Chair de femelle à savourer, 8
15 Chair grasse, prête à se cabrer 8
En des ruades de débauche. 8
Chacun avait là deux brasiers, 8
Deux yeux allumés, deux prunelles, 8
Bûchers de voluptés charnelles, 8
20 Où rôtir des amours entiers. 8
Deux seins tout frais, tout ronds, tout rouges, 8
Frais et ronds à mordre dedans, 8
A les marquer d'un coup de dents ; 8
Deux seins appétissants de gouges, 8
25 Bombant le haut des tabliers, 8
Et ressemblant aux pommes mûres, 8
Qu'on voit grossir dans les ramures 8
Gigantesques des espaliers. 8
Toutes ces garces en folie 8
30 Sablaient aussi des brocs d'étain, 8
Et comme leurs gars, ventre plein, 8
Menton poissé, langue salie, 8
Râlaient en proie au rut fiévreux 8
Dans un emmêlement farouche, 8
35 Criaient, juraient à pleine bouche. 8
Et pour leurs mâles amoureux 8
Se battaient, tombaient pêle-mêle, 8
Parmi les tables, dans les coins, 8
Ruaient des pieds, tapaient des poings, 8
40 Roulaient dans une ivresse telle, 8
Qu'on eût dit entendre le bruit 8
D'une lutte à mort dans les bermes, 8
Et que les chiens veilleurs des fermes 8
Hurlaient d'effroi toute la nuit. 8
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