Métrique en Ligne
VHR_1/VHR2
Émile VERHAEREN
LES FLAMANDES
1883
LA VACHÈRE
Le mouchoir sur la nuque et la jupe lâchée, 12
Dès l'aube, elle est venue au pacage, de loin ; 12
Mais sommeillante encore, elle s'est recouchée, 12
Là, sous les arbres, dans un coin. 8
5 Aussitôt elle dort, bouche ouverte et ronflante ; 12
Le gazon monte, autour du front et des pieds nus ; 12
Les bras sont repliés de façon nonchalante, 12
Et les mouches rôdent dessus. 8
Les insectes de l'herbe, amis de chaleur douce 12
10 Et de sol attiédi, s'en viennent, à vol lent, 12
Se blottir, par essaims, sous la couche de mousse, 12
Qu'elle réchauffe en s'étalant. 8
Quelquefois, elle fait un geste gauche, à vide. 12
Effarouche autour d'elle un murmure ameuté 12
15 D'abeilles ; mais bientôt, de somme encore avide, 12
Se tourne de l'autre côté. 8
Le pacage, de sa flore lourde et charnelle, 12
Encadre la dormeuse à souhait : comme en lui, 12
La pesante lenteur des bœufs s'incarne en elle 12
20 Et leur paix lourde en son œil luit. 8
La force, bossuant de nœuds le tronc des chênes, 12
Avec le sang éclate en son corps tout entier : 12
Ses cheveux sont plus blonds que l'orge dans les plaines 12
Et les sables dans le sentier. 8
25 Ses mains sont de rougeur crue et rèche ; la sève 12
Qui roule, à flots de feu, dans ses membres hâlés, 12
Bat sa gorge, la gonfle, et, lente, la soulève 12
Comme les vents lèvent les blés. 8
Midi, d'un baiser d'or, la surprend sous les saules, 12
30 Et toujours le sommeil s'alourdit sur ses yeux, 12
Tandis que des rameaux flottent sur ses épaules 12
Et se mêlent à ses cheveux. 8
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