Métrique en Ligne
VER_9/VER368
Paul VERLAINE
PARALLÈLEMENT
1889
MAINS
CE ne sont pas des mains d’altesse, 8
De beau prélat quelque peu saint. 8
Pourtant une délicatesse 8
Y laisse son galbe succinct. 8
5 Ce ne sont pas des mains d’artiste, 8
De poète proprement dit, 8
Mais quelque chose comme triste 8
En fait comme un groupe en petit ; 8
Car les mains ont leur caractère, 8
10 C’est tout un monde en mouvement 8
Où le pouce et l’auriculaire 8
Donnent les pôles de l’aimant. 8
Les météores de la tête 8
Comme les tempêtes du cœur, 8
15 Tout s’y répète et s’y reflète 8
Par un don logique et vainqueur. 8
Ce ne sont pas non plus les palmes 8
D’un rural ou d’un faubourien ; 8
Encor leurs grandes lignes calmes 8
20 Disent : « Travail qui ne doit rien. » 8
Elles sont maigres, longues, grises, 8
Phalange large, ongle carré. 8
Tels en ont aux vitraux d’églises 8
Les saints sous le rinceau doré, 8
25 Ou tels quelques vieux militaires 8
Déshabitués des combats. 8
Se rappellent leurs longues guerres 8
Qu’ils narrent entre haut et bas. 8
Ce soir elles ont, ces mains sèches, 8
30 Sous leurs rares poils hérissés, 8
Des airs spécialement rêches, 8
Comme en proie à d’âpres pensers. 8
Le noir souci qui les agace, 8
Leur quasi-songe aigre les font 8
35 Faire une sinistre grimace 8
A leur façon, mains qu’elles sont. 8
J’ai peur à les voir sur la table 8
Préméditer là, sous mes yeux, 8
Quelque chose de redoutable, 8
40 D’inflexible et de furieux. 8
La main droite est bien à ma droite, 8
L’autre à ma gauche, je suis seul. 8
Les linges dans la chambre étroite 8
Prennent des aspects de linceul, 8
45 Dehors le vent hurle sans trêve, 8
Le soir descend insidieux… 8
Ah ! si ce sont des mains de rêve, 8
Tant mieux, – ou tant pis, – ou tant mieux ! 8
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