Métrique en Ligne
VER_9/VER362
Paul VERLAINE
PARALLÈLEMENT
1889
L’IMPÉNITENT
RÔDEUR vanné, ton œil fané 8
Tout plein d’un désir satané 8
Mais qui n’est pas l’œil d’un bélître. 8
Quand passe quelqu’un de gentil 8
5 Lance un éclair comme une vitre. 8
Ton blaire flaire, âpre et subtil, 8
Et l’étamine et le pistil, 8
Toute fleur, tout fruit, toute viande, 8
Et la langue d’homme entendu 8
10 Pourlèche ta lèvre friande. 8
Vieux faune en l’air guettant ton dû, 8
As-tu vraiment bandé, tendu 8
L’arme assez de tes paillardises ? 8
L’as-tu, drôle, braquée assez ? 8
15 Ce n’est rien que tu nous le dises. 8
Quoi, malgré ces reins fricassés, 8
Ce cœur éreinté, tu ne sais 8
Que dévouer à la luxure 8
Ton cœur, tes reins, ta poche à fiel, 8
20 Ta rate et toute ta fressure ! 8
Sucrés et doux comme le miel, 8
Damnants comme le feu du ciel, 8
Bleus comme fleur, noirs comme poudre, 8
Tu raffoles beaucoup des yeux 8
25 De tout genre en dépit du Foudre. 8
Les nez te plaisent, gracieux 8
Ou simplement malicieux 8
Étant la force des visages, 8
Étant aussi, suivant des gens, 8
30 Des indices et des présages. 8
Longs baisers plus clairs que des chants, 8
Tout petits baisers astringents 8
Qu’on dirait qui vous sucent l’âme, 8
Bons gros baisers d’enfants, légers 8
35 Baisers danseurs, telle une flamme. 8
Baisers mangeurs, baisers mangés, 8
Baisers buveurs, bus, enragés, 8
Baisers languides et farouches, 8
Ce que t’aimes bien, c’est surtout, 8
40 N’est-ce pas ? les belles boubouches. 8
Les corps enfin sont de ton goût, 8
Mieux pourtant couchés que debout, 8
Se mouvant sur place qu’en marche, 8
Mais de n’importe quel climat, 8
45 Pont-Saint-Esprit ou Pont-de-l’Arche. 8
Pour que ce goût les acclamât 8
Minces, grands d’aspect plutôt mat, 8
Faudrait pourtant du jeune en somme. 8
Pieds fins et forts, tout légers bras 8
50 Musculeux et des cheveux comme 8
Ça tombe, longs, bouclés ou ras, – 8
Sinon pervers et scélérats 8
Tout à fait, un peu d’innocence 8
En moins, pour toi sauver, du moins, 8
55 Quelque ombre encore do décence ? 8
Nenni do ! Vous, soyez témoins, 8
Dieux la connaissant dans les coins, 8
Que ces manières de parts telles, 8
Sont pour s’amuser mieux au fond 8
60 Sans trop musser aux bagatelles. 8
C’est ainsi que les choses vont 8
Et que les raillards fieffés font. 8
Mais tu te ris de ces morales, – 8
Tel un quelqu’un plus que pressé 8
65 Passe outre aux défenses murales ! 8
Et tu réponds, un peu lassé 8
De te voir ainsi relancé, 8
De ta voix que la soif dégrade 8
Mais qui n’est pas d’un marmiteux : 8
70 « Qu’y peux-tu faire, camarade, 8
Si nous sommes cet amiteux ? » 8
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