Métrique en Ligne
VER_8/VER537
Paul VERLAINE
BONHEUR
1891
XIV
L'ennui de vivre avec les gens et dans les choses 12
Font souvent ma parole et mon regard moroses. 12
Mais d'avoir conscience et souci dans tel cas 12
Exhausse ma tristesse, ennoblit mon tracas. 12
5 Alors mon discours chante et mes yeux de sourire 12
Où la divine certitude vient de luire 12
El la divine patience met son sel 12
Dans mon long bon conseil d'usage universel. 12
Car non pas tout à fait par un effet de l'âge 12
10 A mes heures je suis une façon de sage, 12
Presque un sage sans trop d'emphase ou d'embarras, 12
Répandant quelque bien et faisant des ingrats. 12
Or néanmoins la vie et son morne problème 12
Rendent parfois ma voix maussade et mon front blême, 12
15 De ces tentations je me sauve à nouveau 12
En des moralités juste à mon seul niveau ; 12
Et c'est d'un examen méthodique et sévère 12
Dieu qui sondez les reins ! que je me considère, 12
Scrutant mes moindres torts et jusques aux derniers, 12
20 Tel un juge interroge à fond des prisonniers. 12
Je poursuis à ce point l'humeur de mon scrupule 12
Que des gens ont parlé qui m'ont dit ridicule. 12
N'importe ! en ces moments est-ce d'humilité ? 12
Je me semble béni de quelque charité, 12
25 De quelque loyauté, pour parler en pauvre homme, 12
De quelque encore charité. —Folie en somme ! 12
Nous ne sommes rien. Dieu c'est tout. Dieu nous créa, 12
Dieu nous sauve. Voilà ! Voici mon aléa : 12
Prier obstinément. Plonger dans la prière 12
30 C'est se tremper aux flots d'une bonne rivière, 12
C'est faire de son être un parfait instrument 12
Pour combattre le mal et courber l'élément. 12
Prier intensément. Rester dans la prière, 12
C'est s'armer pour l'élan et s'assurer derrière 12
35 C'est de paraître doux et ferme pour autrui 12
Conformément à ce qu'on se rend envers lui. 12
La prière nous sauve après nous faire vivre, 12
Elle est le gage sûr et le mot qui délivre. 12
Elle est l'ange et la dame, elle est la grande sœur 12
40 Pleine d'amour sévère et de forte douceur. 12
La prière a des pieds légers comme des ailes ; 12
Et des ailes pour que ses pieds volent comme elles ; 12
La prière est sagace, elle pense, elle voit, 12
Scrute, interroge, doute, examine, enfin croit. 12
45 Elle ne peut nier, étant par excellence 12
La crainte salutaire et l'effort en silence, 12
Elle est universelle et sanglotte ou sourit, 12
Vole avec le génie et court avec l'esprit. 12
Elle est ésotérique ou bégaie, enfantine 12
50 Sa langue est indifféremment grecque ou latine, 12
Ou vulgaire, ou patoise, argotique s'il faut ! 12
Car souvent plus elle est en bas, mieux elle vaut. 12
Je me dis tout cela, je voudrais bien le faire. 12
O Seigneur, donnez-moi de m'élever de terre 12
55 Et l'humble voeu que seul peut former un enfant 12
Vers votre volonté d'après comme d'avant. 12
Telle action quelconque en tel temps de ma vie 12
Et que cette action quelconque soit suivie 12
D'un abandon complet en vous que formulât 12
60 Le plus simple et le plus ponctuel postulat, 12
Juste pour la nécessité quotidienne 12
En attendant toujours sans fin, ma mort chrétienne. 12
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