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VER_8/VER527
Paul VERLAINE
BONHEUR
1891
XVI
Seigneur, vous m'avez laissé vivre 8
Pour m'éprouver jusqu'à la fin. 8
Vous châtiez cette chair ivre, 8
Par la douleur et par la faim ! 8
5 Et Vous permîtes que le diable 8
Tentât mon âme misérable 8
Comme l'âme forte de Job, 8
Puis Vous m'avez envoyé l'ange 8
Qui gagna le combat étrange 8
10 Avec le grand aïeul Jacob. 8
Mon enfance, elle fut joyeuse : 8
Or, je naquis choyé, béni, 8
Et je crûs, chair insoucieuse 8
Jusqu'au temps du trouble infini 8
15 Qui nous prend comme une tempête, 8
Nous poussant comme par la tête 8
Vers l'abîme et prêts à tomber ; 8
Quant à moi, puisqu'il faut le dire, 8
Mes sens affreux et leur délire 8
20 Allaient me faire succomber, 8
Quand Vous parûtes, Dieu de grâce 8
Qui savez tout bien arranger, 8
Qui Vous mettez bien à la place, 8
L'auteur et l'ôteur du danger. 8
25 Vous me punîtes par moi-même 8
D'un supplice crû le suprême 8
(Oui, ma pauvre âme le croyait) 8
Mais qui n'était au fond rien qu'une 8
Perche tendue, ô qu'opportune ! 8
30 A mon salut qui se noyait. 8
Comprises les dures délices, 8
J'ai marché dans le droit sentier, 8
Y cueillant sous des cieux propices 8
Pleine paix et bonheur entier, 8
35 Paix de remplir enfin ma tâche, 8
Bonheur de n'être plus un lâche 8
Épris des seules voluptés 8
De l'orgueil et de la luxure, 8
Et cette fleur, l'extase pure 8
40 De bons projets exécutés. 8
C'est alors que la mort commence 8
Son œuvre inexpiable ? Non, 8
Mais qui me saisit de démence 8
Bien qu'encor criant Votre nom. 8
45 L'Ami me meurt, aussi la Mère, 8
Une rancune plus qu'amère 8
Me piétine en ce dur moment 8
Et me cantonne en la misère, 8
Dans la littérale misère 8
50 Du froid et du délaissement ! 8
Tout s'en mêle : la maladie 8
Vient en aide à l'autre fléau. 8
Le guignon, comme un incendie 8
Dans un pays où manque l'eau, 8
55 Ravage et dévaste ma vie, 8
Traînant à sa suite l'envie, 8
L'orde, l'obscène trahison, 8
La sale pitié dérisoire, 8
Jusqu'à cette rumeur de gloire 8
60 Comme une insulte à la raison ! 8
Ces mystères, je les pénètre. 8
Tous les motifs je les connais. 8
Oui, certes, Vous êtes le maître 8
Dont les rigueurs sont des bienfaits. 8
65 Mais, ô Vous, donnez-moi la force, 8
Donnez, comme à l'arbre l'écorce, 8
Comme l'instinct à l'animal, 8
Donnez à ce coeur votre ouvrage, 8
Seigneur, la force et le courage 8
70 Pour le bien et contre le mal. 8
Mais, hélas ! je ratiocine 8
Sur mes fautes et mes douleurs, 8
Espèce de mauvais Racine 8
Analysant jusqu'à mes pleurs. 8
75 Dans ma raison mal assagie 8
Je fais de la psychologie 8
Au lieu d'être un coeur pénitent 8
Tout simple et tout aimable en somme, 8
Sans plus l'astuce du vieil homme 8
80 Et sans plus l'orgueil protestant… 8
Je crois en l'Église romaine, 8
Catholique, apostolique et 8
La seule humaine qui nous mène 8
Au but que Jésus indiquait, 8
85 La seule divine qui porte 8
Notre croix jusques à la porte 8
Des libres cieux enfin ouverts, 8
Qui la porte par vos bras même, 8
O grand Crucifié suprême 8
90 Donnant pour nous vos maux soufferts. 8
Je crois en la toute-présence, 8
A la messe de Jésus-Christ, 8
Je crois à la toute-puissance 8
Du Sang que pour nous il offrit 8
95 Et qu'il offre au seul Juge encore 8
Par ce mystère que j'adore 8
Qui fait qu'un homme vain, menteur, 8
Pourvu qu'il porte le vrai signe 8
Qui le consacre entre tous digne, 8
100 Puisse créer le Créateur. 8
Je confesse la Vierge unique, 8
Reine de la neuve Sion, 8
Portant aux plis de sa tunique 8
La grâce et l'intercession. 8
105 Elle protège l'innocence, 8
Accueille la résipiscence 8
Et debout quand tous à genoux, 8
Impètre le pardon du Père 8
Pour le pécheur qui désespère… 8
110 Mère du Fils, priez pour nous ! 8
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