Métrique en Ligne
VER_8/VER522
Paul VERLAINE
BONHEUR
1891
XI
Prêtres de Jésus-Christ, la vérité vous garde. 12
Ah, soyez ce que pense une foule bavarde 12
Ou ce que le penseur lui-même dit de vous. 12
Bassement orgueilleux, haineusement jaloux, 12
5 Avares, impurs, durs, la vérité vous garde. 12
Et, de fait, nul de vous ne risque, ne hasarde 12
Un seul pan du prestige, un seul pli du drapeau, 12
Tant la doctrine exacte et du Bien et du Beau 12
Est là, qui vous maintient entre ses hauts dilemmes. 12
10 Plats comme les bourgeois, vautrés dans des Thélèmes 12
Ou guindés vers l'horreur pharisaïque alors, 12
Qu'importe, si Jésus, plus fort que des cœurs morts, 12
Règne par vos dehors du reste incontestables ? 12
Cultes respectueux, formules respectables, 12
15 Un emploi libéral et franc des Sacrements 12
(Car les temps ont du moins, dans leurs relâchements, 12
Parmi plus d'une bonne et délicate chose, 12
Laissé tomber l'affreux jansénisme morose) 12
Et ce seul mot sur votre enseigne : Charité ! 12
20 Mal gracieux, sans goût aucun, même affecté, 12
Pour si peu que ce soit d'art et de poésie, 12
Incapables d'un bout de lecture choisie, 12
D'un regard attentif, d'une oreille en arrêt 12
Pis qu'inconsciemment hostiles, on dirait, 12
25 A tout ce qui, dans l'homme et fleurit et s'allume, 12
Plus lourds que les marteaux et plus sourds qu'un enclume. 12
Sans même l'étincelle et le bruit triomphant, 12
Que fait ? si Jésus a, pour séduire l'enfant 12
Et le sage qu'est l'homme en sa double énergie, 12
30 Votre théologie et votre liturgie ? 12
D'ailleurs maints d'entre vous, troupeau trié déjà, 12
Valent mieux que le monde autour qui vous jugea, 12
Lisent clair, visent droit, entendent net en somme, 12
Vivent et pensent, plus que non pas un autre homme, 12
35 Que tels, mes chers lecteurs, que moi cet écrivain, 12
Tant leur science est courte et tant mon art est vain ! 12
C'est vrai qu'il sort de vous, comme de votre Maître, 12
Quand même une vertu qui vous fait reconnaître. 12
Elle offusque les sots, ameute les méchants, 12
40 Remplis les bons d'émois révérents et touchants, 12
Force indéfinissable ayant de tout en elle, 12
Comme surnaturelle et comme naturelle, 12
Mystérieuse et dont vous allez investis, 12
Grands par comparaison chez les peuples petits. 12
45 Vous avez tous les airs de toutes, sinon toutes 12
Les choses qu'il faut être en l'affre de vos routes. 12
Si vous ne l'êtes pas, du moins vous paraissez 12
Tels qu'il faut et semblez dans ce zèle empressés, 12
Poussant votre industrie et votre économie, 12
50 Depuis la sainteté jusqu'à la bonhomie. 12
Hypocrisie, émet un tiers, ou nullité ! 12
Bonhomie, on doit dire en chœur, et sainteté ! 12
Puisque, ô croyons toujours le bien de préférence, 12
Mais c'est surtout ce siècle et surtout cette France, 12
55 Que charme et que bénit, à quelles fins de Dieu ? 12
Votre ombre lumineuse et réchauffante un peu, 12
Seul bienfait apparent de la grâce invisible 12
Sur la France insensée et le siècle insensible, 12
Siècle de fer et France hélas ! toute de nerfs, 12
60 France d'où détalant partout comme des cerfs, 12
Les principes, respect, l'honneur de sa parole, 12
Famille, probité, filent en bande folle, 12
Siècle d'âpreté juive et d'ennuis protestants, 12
Noyant tout, le superbe et l'exquis des instants, 12
65 Au remous gris de mers de chiffres et de phrases. 12
Vous, phares deux parmi ces brumes et ces gazes, 12
Ah, luisez-nous encore et toujours jusqu'au jour, 12
Jusqu'à l'heure du coeur expirant vers l'amour 12
Divin, pour refleurir éternel dans la même 12
70 Charité, loin de cette épreuve froide et blême 12
Et puis, en la minute obscure des adieux, 12
Flambez, torches d'encens, et rallumez nos yeux 12
A l'unique Beauté, toute bonne et puissante, 12
Brûlez ce qui n'est plus la prière innocente, 12
75 L'aspiration sainte et le repentir vrai ! 12
Puisse un prêtre être là, Jésus, quand je mourrai ! 12
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